La formation d’ITECO en 1976, un
jeu scout ? Non, peut-être, par Antonio de la Fuente
Nous sommes en 1976.
Soweto est à feu et à sang,
Mao tire sa révérence, l’Espagne
se dégage du franquisme.
Ivo Van Damme revient des
Jeux olympiques de Montréal
couvert d’argent puis se tue
sur l’autoroute d’Orange. Le
grand banditisme surgit dans
le Brabant wallon, Roger Nols
sévit à Schaerbeek, la princesse
Paola, dans sa toute première
allocution en public
tient des propos printaniers :
« C’est depuis que je vis en
Belgique que j’ai découvert ce
que peut être le charme d’un
jardin ».
Au Relais Patro de Natoye,
ITECO tient sa traditionnelle
formation de base qui ne s’appelle
pas encore Ici ou ailleurs
que faire ? mais, dans la foulée
de ce qu’ITECO fait depuis
1963, se propose de creuser
cette double interrogation.
Avec questionnements et analyses
mais aussi jeux et
échanges. Avec un accent sur
la réalité d’ici déjà très poussé
au programme. Pour preuve,
cette promenade enquête sur
Natoye. A l’arrivée, les participants
constatent que leur
analyse du départ sur le milieu
rural ne correspond pas à
ce que disent les personnes
interviewées dans le village.
Pour elles, tout va bien, les
gens de la ville qui viennent
s’installer apportent de l’argent
et tout et tout. Ce constat
met le groupe devant la question
de savoir si on a le droit
d’aller développer des gens
qui sont heureux comme ils
sont. S’il faut déverser un savoir
sur des gens qui ne savent
pas où marcher avec.
Parmi les intervenants à la
formation, Gilbert Cellier présente
le milieu rural, Pascal
Veys les relations économiques
internationales et le
sous-développement, Michel
Molitor, devenu depuis lors
vice-recteur de l’UCL, la Wallonie
d’alors et Jacques
Devos la communauté de la
Poudrière.
Parmi les animateurs, Marie
Ghislaine Pincetti-Stoffels, à
présent professeur à l’Institut
Cardijn, se rappelle : « J’ai
travaillé à ITECO juste après
mon retour du Brésil où
j’étais restée cinq ans. J’ai
voulu, dans un premier temps,
continuer ici une activité liée
aux rapports Nord-Sud (on
n’utilisait pas encore ces termes
à cette époque-là, bien
sûr). Ensuite, après réflexion
dans un groupe d’autres personnes,
toutes revenues d’un
séjour long dans le Sud, je me
suis dit que, pour moi en tout
cas, je voyais la continuité de
cette solidarité sous une autre
forme : auprès des pauvres
d’ici. Je me suis donc orientée
vers ATD Quart Monde et ensuite
le travail social.
« J’en retiens que l’une des
lignes directrices de la formation
était une conscientisation
sur le fondement des rapports
Nord-Sud, rapports qui se déroulaient
sans ambiguïté
aucune dans le sens d’un néocolonialisme
du Nord sur le
Sud. Il était donc important
que les personnes en partance
connaissent le contexte historique
et socio-économique
global de leur projet personnel
et ne considèrent pas que leur
démarche soit exclusivement
une « aide à des pauvres ».
« La pédagogie utilisée en ce
temps-là me paraissait active,
conscientisante et tout à fait
pertinente à la prise de conscience
des rapports de domination
que nous contribuons à
entretenir. Je co-animais avec
Albert Loren, jésuite, alors
responsable et animateur principal.
Je me souviendrai toujours
de ce jeu que nous observions,
destiné justement à
éveiller à notre position de
capitalistes invétérés. L’idée
était de constater qu’on cherche
toujours à gagner sur
l’autre, à être plus que l’autre,
à avoir plus que lui. De là où
nous étions assis, un peu à
l’écart, en observant l’un des
groupes, Albert me dit : « Regarde
celle-là, elle capitalise
sous ses fesses » en mentionnant
une jeune qui cachait
ainsi ses cartons (ses atouts
en vue de gagner). On a eu un
de ces fous rires ! ».
Albert Loren, de retour en
Belgique après un long séjour
de travail en formation pour le
développement au Tchad,
avoue que « c’est bien loin
pour que je me rappelle suffisamment
de quoi il s’agissait.
J’ai eu l’occasion depuis lors
de rencontrer l’une ou l’autre
personne ayant suivi ces formations
et qui en gardaient le
meilleur souvenir. A l’époque,
c’était surtout une démarche
assez exigeante d’analyse critique
des motivations des jeunes
qui voulaient partir, avec
en arrière-fond une analyse
assez critique des relations
entre le Nord et le Sud. Dans
cette perspective ce fut certainement
un ensemble d’activités
fort bien ficelées, du
moins pour ceux qui les mettaient
en œuvre. Il faut aussi
reconnaître que l’époque nous
a beaucoup influencés ».
Lors de l’évaluation, des
participants affirment
qu’ITECO est orienté, insistant
toujours sur les conditions
sociales de production des
opinions émises, mais permet
que s’expriment d’autres opinions.
L’avis majoritaire est
favorable : la formation n’a
pas apporté de réponses à nos
questions, mais a favorisé la
recherche pour mieux éclairer
nos choix.
Heureusement, les avis critiques
ne manquent pas : « Cela
a donné l’impression d’être un
jeu scout ». Nous sommes au
Relais Patro, tout de
même...