Rézosossio, cékoiça ? Du neuf ou du vieux recyclé par le net ?, par Xavier Guigue
De nombreux sites web font naître les réseaux sociaux. Pourtant les regroupements sociaux et les interconnexions à l’intérieur de ces groupements ne datent pas d’hier. Mais l’effet de mode est là pour réduire l’Histoire à la modernité numérique.
Yahoo !360° définit ainsi le réseau social comme un site qui aide les utilisateurs à créer leur profil et à partager leur contenus préférés. Il se vante d’apprendre aux ados à communiquer avec des groupes sociaux vivants et intéressants ! Comble de l’innovation, Yahoo permet aux utilisateurs de « noter leurs pensées dans un journal », d’être fan d’une même équipe de foot… Le site insiste lourdement sur le caractère identitaire des pages créées par les utilisateurs : « avoir ton propre espace », « tout ce que tu veux », « c’est toi le maître »… et sur les perspectives que cela ouvre : « « il n’y a aucune limite ». Afin de rassurer les utilisateurs inquiets pour leur futur ou bien tranquilliser leurs parents, Yahoo précise que les compétences utilisées par les ados leur seront précieuses pour les métiers à venir.
Du côté de Myspace, c’est plus minimaliste et moins prétentieux. Myspace invite chaque jeune à parler de lui, à agrandir son cercle d’amis, à télécharger ses photos et vidéos, à partager ce qu’il fait… La liberté y serait plus canalisée quand la personnalisation du profil est proposée avec une bibliothèque de thèmes et un éditeur de profil.
Habbo, plus récent et plus petit dans le monde des réseaux sociaux numériques, se présente comme un hôtel virtuel où se rencontrent des adolescents qui ont le choix entre les espaces publics et des pièces privées créées par eux-mêmes. La liberté y est surveillée pour éviter les dérapages injurieux, racistes et sexuels tandis que les auteurs du site affirment s’efforcer d’éduquer « les utilisateurs sur la meilleure façon de se comporter pour surfer en toute sécurité dans l’hôtel ».
Habbo est gratuit, mais si le joueur veut meubler son appartement, il lui faudra payer. Eh oui, les réseaux sociaux sont des mines d’or à exploiter. Rupert Murdoch, qui possède des médias présents sur les cinq continents, a senti le vent. Selon Guillaume Devaux, (Le Journal du net) c’est pour le magnat de la presse une révolution comparable à l’invention de l’imprimerie. Il faut donc se placer sur le marché qui permet de relier les individus les uns aux autres sans passer par les médias papiers, audios ou visuels. Murdoch a donc racheté Myspace, fort de 90 millions d’utilisateurs. Selon le magazine Wired, il y aurait 280 mille nouveaux utilisateurs chaque jour, avec un milliard de pages disponibles quotidiennement, utilisateurs fidèles puisque le taux de fidélisation est de 67 %.
Campagnes de pub et sponsoring sont des sources d’enrichissement. Les jeux aussi, les jeux multi-joueurs (ou social games) rapportent de l’argent grâce au micro-transactions (pour jouer, il faut parfois acheter des objets virtuels !). Plus malins encore sont les casual games. Fréderic Cavazza les décrit comme des jeux à prise en main rapide et qui collent à l’actualité. Pas chers et rapides d’accès, ils bénéficient « d’une forte viralité ». Et c’est là-dessus que compte les Murdoch et cie : le marketing viral (autrement dit le bouche à oreille électronique ou le « du clic à l’écran » pour être plus exact) est une « technique mercatique reposant sur la transmission de proche en proche, par voie électronique, de messages commerciaux ». L’utilisateur du réseau devient le propagandiste de la marque commerciale en diffusant lui-même le message. C’est bien la publicité qui coûte la moins chère à l’annonceur. Elle est rapide et ciblée.
Ainsi chez Microsoft, les consommateurs (ou les conso-mateurs) peuvent « créer des blogs, partager des photos, organiser des événements, envoyer et recevoir des fichiers volumineux et synchroniser tous leurs calendriers, profils et réseaux sociaux. C’est là que les conversations en ligne ont lieu, et que les publicités en ligne créatives peuvent toucher les publics clés lorsqu’ils prennent des avis, et influencent ainsi autrui… ». Le géant de la Silicon Valley parie sur la publicité numérique permettant « un dialogue plus approfondi entre la marque et le consommateur. Cela nécessite une approche plus créative et plus collaborative de la planification et de l’exécution des campagnes… » ceci dans le but de « maximiser le retour sur investissement et de jouir de solutions évolutives couvrant Internet, la téléphonie mobile, l’e-mail, la messagerie instantanée, les réseaux sociaux et tous les autres médias numériques ».
Mais si les jeunes n’hésitent pas à faire connaître dans les réseaux sociaux les mérites d’un produit qu’ils apprécient, ils savent aussi être prudents. C’est le résultat d’une étude de Synovate portant sur 12 mille jeunes dans 26 pays. Cette étude constate la réactivité très grande des jeunes aux messages publicitaires : si 47 % réagissent aux annonces en ligne, 76 % des personnes interrogées font circuler régulièrement des informations sur des produits commerciaux avec lucidité. Ainsi 49 % pensent que l’étiquette écolo que les marques accolent à leurs produits est surtout un argument de vente. Ils cherchent à savoir ce que pensent ceux qui ont acquis tel produit. Ils expriment vouloir des produits utiles et plus de 25% d’entre eux utilisent les réseaux sociaux pour dire ce qu’ils pensent des marques et donner leur point de vue. Au fur et à mesure, les utilisateurs de ces réseaux créent pour chacun de leur réseau un système de propagation, mais aussi de filtrage des pubs numériques diffusées par les annonceurs. Dans ce cas c’est le « client » qui a le contrôle contrairement au média classique comme la télé.
Combien sont-ils de jeunes à surfer ou à plonger dans ces réseaux sociaux ? Une enquête Ipsos en 2008 en France dénombrait 64 % des Français internautes avec une hausse de 8 % en un an. Et 59 % de ces internautes fréquentaient les réseaux sociaux. Du côté des jeunes, ils étaient 16 % des 15-20 ans et six mois plus tard 32 %... une hausse considérable. Et déjà en 2006, 74 % des créateurs de blogs en France avaient entre 11 et 24 ans. La jeunesse investit donc massivement ces espaces.
Mais cela en fait-il pour autant un contre pouvoir ? Ce n’est pas évident. Pour deux raisons : la première c’est la facilité avec laquelle une tendance émergeante peut être récupérée sur un plan économique ou politique ; la deuxième c’est que l’engagement ne se limite souvent qu’à une adresse mail ou à un comptage automatique de signatures. Comme le signale le journaliste Laurent Dupin, faire partie d’un groupe sur Facebook ou être militant « presse bouton » n’est pas vraiment un engagement politique.
Par contre, cela correspond bien à l’évolution constatée par Madeleine Gauthier, de l’Observatoire québécois Jeunes et société : Quand les mouvements politiques stagnent, les mouvements de jeunes se renforcent, à leur manière. Et le net permet « le refus d’une certaine unification de la pensée, ce besoin de liberté de parole, cette absence de fidélité au parti » comme le notait déjà en 1994 le sociologue Jacques Ion. « Tout cela traduit bien les changements de sens de l’engagement politique notamment chez les jeunes… ». Il permet aussi une valorisation symbolique visible et rapide, et pourquoi pas matérielle, là où l’engagement militant des anciennes générations (désintéressés ?) ne cherchait pas ce type de récompense.
Vous cherchez à visiter une ville et à rentrer en contact avec quelques-uns de ses habitants : allez sur Couchsurfing. Vous y trouverez un hébergement, un guide, un ami peut-être, vous contribuerez à la vie de votre hôte. Couchsurfing cherche à être un réseau de personnes facilitant les échanges, la compréhension de l’autre dans un esprit de tolérance… pour faire un « monde meilleur ». Ces personnes sont plus d’un million à travers le monde, avec cinq à dix mille nouveaux membres par semaine. L’initiative est trop jeune pour savoir si elle va se démocratiser, mûrir ou bien rester au stade des bonnes intentions car il ne suffit pas de voyager et de se faire des amis pour créer un monde meilleur. Ce qui est ici intéressant, c’est qu’elle permet de quitter l’écran et de sortir du virtuel.
Mais selon Nicolas Guillaume, spécialiste du web, « dans la vraie vie, nous évoluons dans plusieurs cercles (personnels, professionnels, amicaux, institutionnels….). Nous ne partageons pas les mêmes informations et nous ne sollicitons pas ces cercles de la même manière. Aujourd’hui, les sites de réseaux sociaux fonctionnellement les plus aboutis ne proposent pas ces possibilités ». Le passage du réseau virtuel au réseau réel risque donc de ne pas être aussi facile.
Quant aux réseaux sociaux catalogués comme nuisibles voire asociaux et dans le meilleur des cas « à risque » que sont les « jeunes de la rue », c’est en dehors du net qu’ils se construisent bien réellement. C’est un espace de socialisation pour des jeunes leur permettant d’affronter des violences familiales, scolaires… ou vécues comme telles. Selon Madeleine Gauthier, c’est une forme d’interpellation politique des carences de nos institutions qui devraient incarner des idéaux de justice et d’égalité et dont les jeunes ne profitent pas.
Ce rapide tour d’horizon de ce qu’on appelle les réseaux sociaux nous montre quelques-unes de ses limites mais aussi certaines de ses possibilités. Il prouve aussi que ce mode de fabrication du lien social est en adéquation avec une partie de la jeunesse, en tout cas pour celle qui a accès au numérique.
Certains mouvements d’éducation à la citoyenneté investissent prudemment cet espace. Une réflexion approfondie sur les enjeux éducatifs, le contenu et les méthodes ne serait pas inutile pour ne pas sacrifier à l’effet de mode le sens des actions à long terme.