Le dilemme des partis politiques : gagner des nouvelles voix parmi les jeunes électeurs mais ne pas en perdre chez les anciens. La solution : créer des lieux de participation où les derniers-nés attendent la maturité sans faire trop de remous, par Charlotte Chatelle
Jeunesse blasée, démotivée, perdue ?...Agressive, violente, en quête de sens ? Que de maux de la société semblent être portés par les jeunes. Enfermés dans un rôle de perturbateur social ou de victime du système, ils seraient trop actifs ou pas assez. Cette stigmatisation présente dans de nombreux médias est également relayée par certains politiciens en quête d’électorat conservateur et sécuritaire.
Thibaut Wyngaard, jeune conseiller communal Ecolo à Uccle, à Bruxelles, regrette que les jeunes soient souvent appréhendés en politique sous l’angle de la délinquance ou de l’incivilité. Selon lui, leur représentativité dans la gestion politique ne correspond pas à ce qu’elle pourrait et devrait être. Il s’est donc engagé dans sa commune pour défendre les intérêts d’une tranche d’âge peu représentée. En 2006, il était le seul conseiller communal d’Uccle à avoir moins de trente ans.
Les récentes élections régionales de juin 2009 engagent le même constat : les moins de 35 ans sont sous-représentés sur les listes du PS, du MR ou du CDH. Pour la région de Bruxelles, le PS et le CDH proposaient chacun un candidat jeune, deux si l’on prend en compte les 20 premières places. Mais si l’on rabaisse le critère « jeune » à un âge qui ne dépasse pas les 30 ans, seul le CDH en propose un, à la 18ème position. Quant au MR, le cadet de son top 20 a 39 ans. Ecolo relève la moyenne avec trois candidats de moins de 35 ans aux dix premières places de sa liste électorale bruxelloise et cinq dans le top 20. Parmi eux, deux ont moins de 30 ans. L’âge moyen des candidats pour la région de Bruxelles toutes listes confondues s’élève à 47 ans.
Alors, manque d’intérêt de la part des jeunes ou manque de confiance des partis au moment de constituer les listes électorales ? Probablement un peu des deux. Si les plus jeunes sont loin d’être apolitiques, ils s’engagent généralement plus facilement dans des actions de proximité associées à une dimension militante. A tout juste 21 ans, Anne Lambelin était la cadette de la liste PS du Brabant wallon aux élections régionales de juin 2009. Elle constate que les étudiants sont souvent peu attirés par les partis politiques perçus comme statiques et donc peu séduisants pour les jeunes qui privilégient l’action.
Des groupes comme Attac ou le Comité d’action et de soutien aux sans-papiers font régulièrement parler d’eux sur le campus de l’ULB avec des actes de militance symboliques et spectaculaires. En marge de l’institutionnel, il s’agit bien d’un engagement politique qui prend la forme d’une lutte pour un changement sociétal. Cette mobilisation particulière soutenue par de nombreux étudiants récolte plus souvent la méfiance des politiciens que leur soutien. Les revendications portées restent alors bloquées sur le plan associatif sans trouver d’écho dans la sphère institutionnelle.
Il existe pourtant des lieux de participation politique pour les jeunes qui devraient leur permettre de contribuer de manière active aux décisions les concernant. Le Conseil de la jeunesse d’expression française (CJEF) a ainsi pour mission de promouvoir la participation de la génération des 18-30 ans dans la définition et la mise en œuvre des politiques qui leur sont destinées. Ce conseil, composé de représentants des organisations de jeunesse reconnues, est chargé de donner des avis aux acteurs politiques dans tous les domaines qui concernent les jeunes en Belgique francophone (les pendants néerlandophone et germanophone existent également). Il s’agit donc d’une instance consultative officielle qui a le mérite d’attribuer un rôle à la jeunesse sur la scène politique.
Le CJEF n’a cependant aucun pouvoir décisionnel. Il est à ce sujet assez ironique de constater que malgré sa vocation de porte-voix de la jeunesse, la réforme du Conseil a été votée l’année passée sans que ce dernier n’ait été consulté au préalable. Ce projet, approuvé par la Communauté française, était pourtant loin de faire l’unanimité parmi les organisations de jeunesse composant le CJEF. Il n’avait visiblement pas été jugé pertinent de solliciter l’avis des acteurs concernés au sujet de leur future représentation politique.
Cet incident reflète-t-il la place (ou faut-il dire l’absence de place ?) occupée par les jeunes dans les sphères décisionnelles ? Les instances consacrées à et autogérées par la jeunesse n’ont-elles finalement qu’un rôle consultatif à jouer sur commande ?
Constatons toutefois que certaines décisions ont été influencées par la mobilisation au sein des conseils de jeunesse communautaires et communaux, de fédérations ou encore de réseaux d’organisations de jeunesse. L’interdiction du Mosquito, cet appareil anti-jeunes censé chasser ceux qui dérangent par des ultrasons insupportables aux oreilles des cadets et inaudibles passé 25 ans, constitue un exemple récent d’aboutissement d’une mobilisation de la jeunesse. Ce succès paraît cependant bien pâle lorsqu’on pense qu’il ne s’agit pas ici d’une avancée dans le domaine des politiques de jeunesse mais bien de la prohibition d’un appareil discriminant et stigmatisant qui témoigne bien de la crainte qu’inspire la jeunesse.
La Fédération des étudiants francophones, FEF, estime quant à elle que leurs revendications n’ont pas trouvé de relais gouvernementaux suffisants pendant ces cinq dernières années. Selon elle, trop peu d’avancées ont été concrétisées dans le domaine de l’enseignement supérieur sujet à un certain désintérêt politique.
Le gouvernement de la Communauté française aurait tout intérêt à mieux considérer les revendications des étudiants si l’on tient compte de l’allongement de la période d’étude et de la tendance démographique au rajeunissement à Bruxelles.
Mais si le programme du Gouvernement bruxellois propose certaines avancées en matière de politique de la jeunesse, il envisage la problématique essentiellement sous l’angle de l’emploi : jeunes chômeurs, jeunes travailleurs. Les intérêts propres aux étudiants y sont très peu défendus. L’absence de politique en faveur d’une meilleure représentation des jeunes issus de milieux populaires au sein des organes consultatifs est également à regretter dans le programme de la Communauté française. Ceux-ci sont en effet sous-représentés dans un groupe déjà minorisé. Leur voix a donc bien du mal à se faire entendre. Les partis devraient cependant être les premiers à viser une meilleure représentativité sociale en leur sein.
Certes, le programme du gouvernement de la Région Bruxelloise et celui de la Communauté française comportent des propositions concrètes en faveur des jeunes. Il reste à espérer que celles-ci soient effectivement réalisées. La législature précédente laisse en effet un parfum de déception avec un bilan assez pauvre en matière de réalisations pour les jeunes.
Face à cette faible motivation du monde politique, une plateforme nationale d’organisations et de mouvements principalement étudiants a été créée à l’initiative de la FEF. La plateforme ResPact mène depuis 2007 un combat collectif pour la réduction des coûts directs et indirects des études supérieures. Ses revendications se fondent sur l’article 13 du pacte de New York ratifié par la Belgique en 1983. Celui-ci impose une série de réformes visant à approcher l’égalité d’accès aux études par, entre autres, une diminution progressive des coûts (entendus comme les dépenses globales liées aux études : le minerval mais aussi le logement, l’alimentation, les supports de cours) dans la perspective de l’instauration de la gratuité.
Le point de départ de la campagne menée par la plateforme ResPact est un constat qui émane d’une enquête réalisée par ce même collectif auprès de 5 mille étudiants de l’enseignement supérieur. Il ressort de ce travail que 57 % des étudiants estiment scandaleux de devoir payer autant pour leurs études. 19 % trouvent que « c’est un peu cher mais nos études le valent » et seuls 5 % affirment que c’est un coût normal. Suite à cette enquête, la plateforme reproche l’absence de politique de logements étudiants, le prix trop élevé du minerval et des supports de cours, le manque de volonté politique pour favoriser l’accessibilité aux activités culturelles pour les étudiants ainsi qu’une faible prise en considération de frais connexes tels que l’accès à internet. Le collectif relève cependant une amélioration du côté de la mobilité avec une réduction sensible du coût de certains transports en commun. En conclusion, la FEF et les autres organisations, initiatives et mouvements engagés dans cette campagne depuis plus de deux ans réclament une meilleure politique d’aide aux étudiants.
Une partie souvent sous-estimée de la population n’a aujourd’hui toujours pas l’accès économique à l’enseignement supérieur entravant ainsi largement le principe d’égalité scolaire déjà compromis dans le secondaire. Le collectif exige des mesures pour une démocratisation des études, et tente d’infléchir les décisions des pouvoirs institutionnels en interpellant le monde politique par des actions locales, nationales et européennes. Cette mobilisation est jusqu’ici restée vaine. Le pouvoir politique semble rester sourd à la voix de ces jeunes. Alors que le processus de Bologne se poursuit entraînant derrière lui des conséquences fort critiquées en termes d’accessibilité aux études.
Les partis sont pourtant en quête de jeunes à intégrer dans leurs rangs. Pour une question d’image, d’électorat ou de renouvellement, les cadets sont sollicités par les aînés. Anne Lambelin ne se serait probablement jamais présentée comme candidate pour les élections régionales si le député fédéral André Flahaut lui-même ne lui en avait pas fait la demande. Propulsé ainsi dans le grand tourbillon politique n’est-ce pas là donner aux jeunes une chance de s’engager ? Probablement. Et c’est également le cas des nombreuses initiatives telles que les parlements de jeunesse communautaires qui ont pour objectif principal la conscientisation des jeunes au processus démocratique. Sensibiliser à la citoyenneté est primordial dans un contexte où la politique institutionnelle est affublée d’une image assez négative et peu intéressante.
Sensibiliser donc, par la simulation du travail législatif ou par l’octroi d’un statut consultatif, une jeunesse un peu blasée, c’est évidemment pour les jeunes une occasion de rencontrer le monde politique, d’apprendre à mieux le connaître, le comprendre et le vivre. Ces lieux de croisement offrent également l’opportunité de se forger des outils pour un éventuel engagement à venir. Mais la question de la participation aux processus décisionnels reste posée. Peut-on vraiment dire que les simulacres d’exercice politique et l’inscription en bas des listes électorales représentent une réelle prise en considération des jeunes ?
A l’heure où la logique sécuritaire et stigmatisante domine les discours et les politiques de jeunesse, il est délicat pour les partis de jouer sur les deux tableaux. Les jeunes n’inspirent pas confiance mais représentent aussi un certain électorat. Il est vrai que tous les grands partis ont une organisation de jeunesse qui compte de potentiels futurs élus. Selon Benoît Rihoux, politologue à l’UCL, elles ont été créées principalement dans le but de recruter les jeunes. Et Emilie Van Haute, chercheuse au Centre d’études de la vie politique à l’ULB, d’ajouter que ces organisations permettent également aux partis d’infiltrer certains milieux de jeunes. Sans réel pouvoir de participation politique, elles ont néanmoins l’opportunité de se positionner sur des questions de société et de faire connaître l’idéologie du parti auprès de leurs pairs.
Il semble donc que les partis sont en proie à une certaine schizophrénie vis-à-vis des jeunes. La volonté de leur donner la parole est présente mais pas celle de les écouter. On promotionne leur participation, mais on la confine dans un espace bien déterminé. Gagner des nouvelles voix parmi les jeunes électeurs mais ne pas en perdre chez les anciens est un véritable dilemme… La solution qui semble émerger d’un consensus tacite est celle de la reconnaissance partielle d’espaces politiques réservés aux jeunes. Des lieux de participation sont créés et même encouragés mais en marge de ceux au sein desquels se prennent les véritables décisions sociétales. Des niches sont ainsi aménagées pour que les derniers-nés de la politique attendent la maturité sans faire trop de remous. Elles se déclinent sous la forme d’associations, de mouvements ou d’initiatives qui soulèvent des problématiques et défendent des intérêts qui sont peu, voire pas, relayés au niveau des décideurs.
Mais ne soyons pas trop pessimistes, les dernières élections de juin 2009 permettent d’oser espérer la possibilité d’un futur décloisonnement générationnel dans la politique belge. La victoire des écologistes est également celle de beaucoup de jeunes. Il s’agit en effet du parti francophone ayant favorisé le plus la présence de jeunes à des places éligibles sur ses listes électorales. Ce n’est pas un hasard si le parti Ecolo se trouve être le chouchou de la dernière génération de votants. Alors, les jeunes bientôt partenaires actifs des décideurs ? On veut le croire !