Tout semble possible, même une autre musique

Mise en ligne: 18 septembre 2009

A Esperanzah, comme chaque été, tendance à la solidarité, par André Linard

Des chevelures tressées, des avions en papier vert portant des messages positifs, une foulebariolée, un homme au collier de feuilles de cannabis, des foulards scouts... et une atmosphère détendue. Des filles en short et en jupes, mais aucune avec un foulard sur la tête. Les tee-shirts des bénévoles qui parlent de travail décent et affirment qu’un autre monde est possible. En bas, près de la Sambre, un camping surpeuplé. Pas de doute, nous sommes à Esperanzah, huitième du nom.

Qualifié généralement de « festival le plus altermondialiste », l’événement a rassemblé quelque 10 mille personnes par jour à l’abbaye de Floreffe, près de Namur, ce week-end. Comme à Couleur Café, à Bruxelles, un mois plus tôt, des ONG étaient présentes, et tout comme des vendeurs de produits artisanaux ou alimentaires du tiers monde (les mêmes, d’ailleurs), dont on ne sait pas toujours à qui sont destinés les bénéfices. Et comme là-bas, aussi, la programmation fait la part belle à la musique du monde, avec quand même une place aux artistes locaux. Pourtant, la différence est palpable.

Couleur Café présente des noms connus, et s’il garde des couleurs, il est nettement moins café. Les artistes africains dont la présence était rappelée dans une rétrospective des vingt éditions s’appellent Cesaria Evora, Alpha Blondy, Papa Wemba, Manu Dibango, Jonnhy Clegg, Mory Kante... Des valeurs sûres, sans surprises, alors qu’à Esperanzah, seuls quelques noms, comme Tiken Jah Fakoly, parlent aux amateurs du genre. « Promouvoir la diversité musicale, c’est aussi faire découvrir ce qui est peu connu », confirme un spectateur, lui-même artiste. Par contre, les artistes présents à Floreffe ont en commun de contester d’une manière ou d’une autre le système économique mondial.

Pas toujours de façon très originale, sans doute. Dénoncer les pouvoirs africains corrompus et le fait que ce continent est le plus riche en ressources mais où les gens sont les plus pauvres, cela fait trente ans que certains le font, dans leurs chansons, mais au-delà du discours sur scène, quoi ? L’exil, pour plusieurs, comme l’Algérienne Souad Massi.

Mais cela plaît au public, très branché sur la remise en cause du système. Les activités annexes vont toutes dans ce sens. Dans l’espace Hasta la victoria (jusqu’à la victoire, slogan révolutionnaire latino bien connu), des jeux invitent à définir des prix justes pour les paysans. Ailleurs, on signe une pétition pour des emplois décents, et on enfonce le clou de cette exigence auprès des autorités. Des casquettes à message : « Congo, merci pour ton coltan », lit-on sur une visière.

Rien de génial, mais une tendance généralisée à la solidarité, une ambiance nettement moins commerciale qu’ailleurs, des contacts faciles. Des ONG qu’ailleurs on peut ne pas voir, tandis qu’ici, elles sont partie intégrante du festival. Et surtout, une logique que les organisateurs poussent jusqu’au bout, en s’interrogeant, cette année, sur leurs propres pratiques envers les artistes, via la notion de travail décent dans la musique elle-même.

Pour Jean-Yves Laffineur, directeur d’Esperanzah, « consommer de la musique dans un festival implique de se poser des questions sur ses pratiques sociales, artistiques et environnementales ». D’ailleurs, dès l’allée qui grimpe la colline de l’Abbaye, les spectateurs étaient assaillis de questions : « Les artistes sont-ils aussi des travailleurs ? » ; « c’est quoi, un salaire décent pour un musicien ? »...

Les organisateurs ont voulu mettre en oeuvre une logique de musique équitable, à l’instar du commerce équitable. Mieux payer les producteurs de culture des pays du Sud, donc ? Pas si simple ! Car, pour Jean-Yves Laffineur, « ce terme renvoie surtout à la question de la diversité musicale et culturelle. Il y a un énorme dysfonctionnement dans le marché de la musique, qui est aux mains d’une poignée de majors (multinationales de la culture, comme Universal). Celles-ci visent avant tout la rentabilité, alors que de nombreux artistes peinent à émerger ».

L’équation n’est pas simple. Car pour contourner les majors, il faut se faire connaître, notamment via l’internet,... donc par des téléchargements gratuits ou, en Afrique, par le piratage. Comment alors assurer une rémunération équitable ? Personne n’a la réponse. Les organisateurs d’Esperanzah disent explorer des pistes, comme la priorité aux artistes émergents et aux marques de disques indépendantes. Ils ne sont pas les seuls.