Voici venu le temps de la webpolitique

Mise en ligne: 18 septembre 2009

Internet change-t-il dès à présent la politique de demain ?, par Charlotte Chatelle

L’ère des nouvelles technologies en réseau bat son plein. Les jeunes européens de 12 à 18 ans utilisent internet de façon quasi universelle et 30 % d’entre eux possèdent même leur propre blog ou page web. Tel est le constat de la recherche Mediappro réalisée dans le cadre du programme européen Safer Internet [1] et coordonnée par Thierry De Smedt, professeur au Département de communication de l’UCL. Alors internet peut-il engendrer un changement des prises de position politique derrière les claviers, particulièrement chez ses principaux utilisateurs, les jeunes, et notamment par le biais des sites de réseaux sociaux et autres blogs ?

Non, affirme Thierry De Smedt, internet n’a pas le pouvoir de modifier le rapport à la politique. Ce dernier dépend surtout d’une culture dont les jeunes héritent. Si les nouveaux médias soutiennent et appuient l’engagement, ils ne créent pas d’office une nouvelle forme de citoyenneté. S’exprimer par le biais d’un site permet toutefois de prendre position et de se faire connaître. Les opinions deviennent plus manifestes et se prévalent d’un nouveau public qui approuve ou désapprouve, réagit ou reste indifférent, agresse ou soutient.

Thierry De Smedt souligne qu’une réelle organisation politique se forme rarement sur internet. Il s’agit dans la plupart des cas d’individus qui se retrouvent sous la forme d’une mosaïque de groupes qui s’assemblent et se désassemblent dans une dynamique en perpétuel mouvement. Le web offre donc de nouveaux espaces de communication favorisant une associativité qui ne semble pas vécue comme un terrain politique entendu au sens de structure et fonctionnement d’une société.

Il apparaît cependant que la nouvelle génération d’hommes et femmes politiques ne partage pas cet avis. La mobilisation des nouveaux médias se fait en effet de plus en plus importante au fil des campagnes électorales. Les e-mails, les sites de réseaux sociaux tels que Facebook ou Twitter et même les SMS sont aujourd’hui autant de possibilités de communication en période électorale que les candidats utilisent pour se faire connaître en offrant aux internautes une petite fenêtre sur leur vie.

Il est toutefois difficile de déterminer l’impact réel de ces intrusions dans la vie virtuelle des électeurs. Selon Thierry De Smedt les messages véhiculés par le média internet ne diffèrent pas fondamentalement des autres en ce qui concerne leur potentiel de séduction. Qu’ils soient envoyés par mail ou par la poste, à contenu égal ils connaîtront le même sort.

Peut-on alors affirmer que le web est politiquement neutre ?

Certains évènements récents indiqueraient plutôt le contraire. Prenons l’exemple du scrutin de mai 2009 en Suisse qui avait pour objet l’introduction du passeport biométrique. Alors que dans la plupart des pays européens l’admission de ce passeport s’est effectuée sans remous, en Suisse de vives réactions populaires ont précédé le vote. Les opposants concentraient une forte proportion de jeunes qui craignaient pour la protection de la vie privée. Avec très peu de moyens, ils ont réussi à mener une campagne très active et largement diffusée en utilisant internet. Jamais ce média n’avait été à ce point mobilisé dans un débat de société en Suisse. La campagne n’a certes pas renversé l’issue du vote mais l’admission du passeport biométrique s’est réalisée de justesse avec un résultat de 50,1 %.

Internet aurait également joué un rôle important dans l’élection de Barack Obama. Ce dernier s’est régulièrement exposé sur des sites tels que Facebook ou Youtube pour communiquer de façon plus informelle avec les électeurs. Mais peut-on affirmer que les votes auraient été différents si les nouvelles technologies n’avaient pas été mobilisées ? Evidemment non. Il faudrait mettre en place une enquête exhaustive sur le sujet pour pouvoir trancher. Reste que même si internet ne modifie pas les opinions de ses utilisateurs, elle représente un outil social puissant. Cet outil, s’il est mobilisé à des fins associatives ou politiques peut permettre à une action d’avoir une plus large portée avec moins de moyens. Il peut également soutenir la création de groupes militants.

Rien ne permet donc de penser que les nouveaux médias modifient les opinions de leurs publics. Mais ne contribuent-ils pas à les renforcer ? Ne facilitent-ils pas l’engagement ?

Les campagnes menées sur internet ne sensibilisent peut-être pas à la cause mais donnent aux receveurs une occasion d’agir. Elles permettent d’informer sur des actions à venir ou de s’impliquer sans quitter les doigts du clavier en signant une pétition par exemple. Il devient donc en principe plus facile de poser un acte de militance.

Les prises de positions politiques s’élaborent dans le processus de socialisation (auquel participent principalement la famille et les pairs) mais peuvent se prolonger sur internet. Les informations perçues sont triées selon des critères d’opinions prédéterminés pour ne retenir que celles qui sont pertinentes. Cette sélection n’est pas une spécificité du web, elle s’opère également dans la vie de tous les jours et est particulièrement frappante en période électorale lorsque les tracts inondent les boîtes aux lettres, que les affiches couvrent les murs et que les politiciens investissent les marchés.

Si la propagande virtuelle ne change pas les opinions, elle peut toutefois les conforter dans l’action. La participation à un blog implique déjà une prise de position publique et une nouvelle appartenance à un groupe qui partage un point de vue.

La forte augmentation des formes de discrimination sur internet peut se comprendre dans ce sens. Le web représente un nouveau terrain de communication pour une opinion minorisée partagée par des individus qui se posent souvent en victimes sociales. Les commentaires sur les sites racistes et xénophobes dévoilent souvent le sentiment de ne pas pouvoir s’exprimer dans la sphère publique. Internet devient alors un espace de liberté dans lequel il est permis d’étaler sa haine et son rapport difficile à la société.

Le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, en Belgique, constate dans son rapport annuel paru le 8 juillet 2009 l’explosion des messages haineux à caractère raciste ou xénophobe sur la toile. Si 2008 connaît une légère diminution des signalements de discriminations en Belgique par rapport à 2007, elle n’en est pas moins en augmentation par rapport aux années précédentes. 40% des discriminations pour lesquelles le Centre est saisi sont d’origine ethnique ou nationale. Les signalements dans les secteurs de l’emploi et sur internet culminent à 20% chacun laissant d’autres secteurs tels que la vie sociale (il s’agit là d’incidents entre personnes privées dans des espaces publics), le logement ou les services publics et privés loin derrière.

Les chaînes de mails qui diffusent des récits tronqués ou largement amplifiés incitant à la discrimination constituent une grande part de cette ascension de violence virtuelle. Il suffit d’aller jeter un œil sur les forums des journaux belges pour évaluer l’ampleur du phénomène. Un article du Vif -L’Express abordant le thème du conflit intergénérationnel est ainsi pris d’assaut par des internautes qui passent le contenu sous le filtre de l’idéologie raciste. Les réflexions se renforcent et se font concurrence au fil des commentaires dans un triste tourbillon de haine. Les premières victimes de ce déballage d’opinions : les jeunes immigrés turcs et maghrébins. A la fois bourreaux et victimes, les jeunes investissent internet en y reproduisant les fractures présentes dans la société.

Peut-on alors parler de nouvelles technologies au service de l’exclusion ?

Pas vraiment. Elles n’infiltrent pas les consciences mais servent de support aux opinions, y compris les plus extrêmes. Malgré la prolifération de discriminations sur internet ces dernières années, les partis d’extrême droite étaient en recul aux dernières élections en Belgique et en France. Ces partis essayent pourtant de surfer sur la vague du racisme virtuel en se servant des forums et des blogs pour diffuser récits et anecdotes aux conclusions racistes. Le 28 avril 2008, la RTBF a dévoilé dans son journal télévisé du soir qu’un des jeux vidéo les plus connus sur internet servait de façade à un groupe raciste. Dans Battlefield 2 les internautes jouent en équipe un scénario de guerre. Une des équipes est composée de néo-nazis et invitent les autres joueurs à rejoindre les sections locales de leur mouvement.

La propagande des groupes d’extrême droite combinée à l’investissement massif de l’espace internet à des fins discriminatoires a donc une influence limitée qui ne se traduit pas dans les votes des citoyens. Il semble s’agir plutôt de déverser des sentiments non politisés dans un espace appréhendé comme un punching-ball social.

Internet n’est donc pas (encore ?) un agent formateur d’opinion mais peut faciliter l’action militante. Thierry De Smedt n’exclut pas la possibilité pour ce jeune média de développer dans le futur sa capacité à modifier le rapport à la politique. Une étude du Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs (Crioc), de mai 2006, constate que de nombreuses marques se servent d’internet pour rallier de nouveaux consommateurs. Elles proposent leurs produits à des jeunes mineurs qui ne disposent souvent pas d’un regard critique suffisant pour faire face aux techniques de manipulation commerciale. Le marketing viral et le buzz-marketing sont les moyens les plus courants utilisés par les marques sur internet pour toucher les adolescents. Leur objectif est de rendre les consommateurs vecteurs de la marque. Le principe est d’envoyer sous forme de mails de petits films drôles ou encore des jeux véhiculant un message vers des leaders d’opinion identifiés au préalable. Si le message est suffisamment amusant, original, qu’il attise la curiosité ou qu’il propose un service qui semble intéressant, ces leaders d’opinion vont diffuser l’information à leur réseau de connaissances initiant ainsi un bouche-à-oreille croissant. Ces nouvelles techniques commerciales rencontrent un succès considérable parmi les jeunes générations. Assaillis par la publicité des marques et la surexposition aux messages commerciaux, les jeunes ont tendance à accorder plus de crédit aux sources d’informations qui leur sont proches comme les blogs ou les e-mail. Les marques se sont engouffrées dans la brèche en construisant une publicité participative qui bénéficie d’emblée d’une connotation positive liée au réseau de connaissances.

L’objectif est atteint lorsque la marque pénètre dans la sphère intime du jeune et qu’elle devient son « amie ». Elle va ensuite lui prouver qu’elle répond à ses besoins.
Certaines marques utilisent les forums et les chats pour informer sur les modes et les nouveaux produits : ce qu’il faut consommer pour « être dans le coup ». D’autres proposent d’inclure les consommateurs dans les processus de décisions par le biais d’avis ou de suggestions d’innovations à poster sur le site. Le Crioc conclut que ce nouveau marketing qui favorise et instrumentalise l’interaction est en train de modifier le rapport à la marque.

La possibilité existe qu’une telle évolution se produise dans le domaine des opinions politiques. Si les mouvements sociaux virtuels sont encore souvent désorganisés, ils pourraient se développer pour devenir des agents de formation politique. Mais de toute façon, les techniques de propagande pour influencer les inclinaisons politiques des jeunes auront une portée limitée, car elles continueront probablement à se former dans les interactions réelles avec la famille et les pairs. Une éducation critique au média internet à destination des jeunes surfeurs leur permettrait cependant d’éviter certains pièges.

[1Enquête menée auprès de plus de 7 mille jeunes dans neuf pays européens : Belgique, Danemark, Estonie, France, Grèce, Italie, Pologne, Portugal, et Royaume-Uni.