Colloque sur jeunes, médias et diversitésà Bruxelles. Heureux qui communique ?, par Tito Dupret
« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage ». Ce joli vers de Du Bellay avait été détourné en un « Heureux qui communique » au début des années nonante par le recteur de l’Ihecs, à Bruxelles. J’y suivais alors mes études de journalisme. C’est dire si je me réjouis d’y retourner aujourd’hui pour suivre le colloque « Jeunes, médias et diversités. Les pratiques de la diversité : de la production à la réception ».
D’autant que l’amphi de l’époque s’est transformé en un très bel écrin à dominante rouge tout en rondeur. L’accueil et l’organisation sont irréprochables et la liste des participants est de plus de 150 personnes, dont la fonction et l’institution qui leur sont rattachées promet en effet jeunesse et diversité.
Rapidement certains sujets sortent du lot : A films ouverts de Média-animation organise des concours de vidéos sur la diversité. Le résultat est un répertoire à 90% fait par des jeunes. Il montre que chaque histoire fait un écart à la réalité, à une norme dans une logique de dramatisation, de théâtralisation de l’Autre tel qu’imaginé par les vidéastes. À bien y regarder, les médias sont clivant et véhiculent des stéréotypes sans nuances pour servir une démonstration moralisatrice.
Helena Oikarinen-Jabai vient confirmer cela à sa façon. La responsabilité des médias pour stigmatiser les communautés est clairement pointée par ses travaux. Elle a mesuré que pour se sentir pleinement finlandais, il faut se moquer des autres pays.
La diversité en prend un coup ! Mais pas seulement sur le terrain, sur le plan intellectuel aussi car vouloir la mesurer, c’est user de stéréotypes pourtant unanimement dénoncés. On tourne en rond. Pour étudier la diversité, il faut en effet catégoriser, normer, segmenter, ce qui est contraire et nuit par définition à la diversité.
À rebrousse-poil, la recherche en éducation aux médias de Normand Landry rappelle que le vocabulaire de littératie médiatique manque de consensus pour un nombre croissant et proliférant de concepts qu’il considère contre-productifs parce qu’ils font un bruit parasite et fragmentent la jeune discipline. Trop jeune et victime de son enthousiasme, elle souffre d’une trop grande diversité. L’auteur insiste aussi sur la disjonction entre textes académiques et offres scolaires d’enseignants en décalage avec leurs élèves. Pour y remédier, il appelle à une approche internationale qu’il voudrait associée aux droits humains, vers l’idée de droits de la communication.
Autre sujet sans transition, Balazs Boross soutient que le Media coming out relève désormais du rite de passage homosexuel. Uit de Kast, émission de téléréalité hollandaise, offre ainsi un espace d’expression utilisé pour s’exposer et briser le tabou à la maison. La caméra peut aussi être telle qu’on lui raconte son histoire pour ne pas la décevoir. D’ici à inventer il n’y a bien sûr qu’un pas, conclut le chercheur.
Une autre intervention étudie l’identité géo-culturelle sur Facebook dans le contexte pseudo-mondial d’internet. Deux chercheuses, Catherine Bouko et Laura Calabrese, constatent un repli communautaire avec une prise de parole par un petit nombre de membres actifs seulement qui partagent photos et infos dans des groupes attachés à leur localité. Elles y observent aussi un état d’esprit consensuel, une autocensure de la critique, beaucoup de commentaires sur les commentaires, dont beaucoup de souvenirs personnels.
Cependant les groupes explorés n’existent pas préalablement et ne partagent a priori pas ces souvenirs. Or le temps du passé et le « je » dominent. Il s’en dégage deux fonctions principales : renforcer sa propre identité culturelle et faciliter la communication et les interactions. Mais la création de liens reste très faible car il y a très peu d’acteurs en fait. À noter que les membres sont âgés ; à rebours encore du stéréotype jeune.
A ce propos, Nicole Boubée supprime toute illusion avec une enquête qualitative sur l’intérêt des 15-25 ans pour les informations médiatiques. L’info-divertissement est cité plusieurs fois spontanément par l’échantillon dont la consommation de la presse se révèle strictement scolaire. Il y a très peu de combinaisons internet-télévision-presse écrite.
Un seul média semble suffire pour prendre connaissance d’une info. En vérité les jeunes utilisent peu de médias et peu de supports : internet n’a rien changé. Il existe bien une distance critique, mais elle est de convenance car il y a incapacité de définir ce qu’est une information fiable.
Elyamine Settoul quant à lui a réalisé cinquante entrevues de gens entre 15 et 75 ans, d’origine maghrébine, urbains et semi-ruraux. Le chercheur parle de double présence grâce à internet versus la fameuse double absence de l’immigré. Avant, il y avait la radio du pays d’origine puis le magnétoscope avec les cassettes reçues par la poste ; dont les mariages au « bled ». Aujourd’hui, il y a le triple Play pour tous et l’objectif premier et répété est de palier à la nostalgie.
Normalité et banalité des pratiques médiatiques se sont donc installées. Y compris via les autres chaînes grâce aux paysages de western, de bergers de montagne... Il y a une même quête générale d’évasion du quotidien et indistinction entre les chaînes pour ce faire. D’ailleurs les personnes interrogées ne se sentent pas d’affiliation nationale. On regarde toutes les chaînes sans savoir d’où elles viennent. La confusion entre chaîne égyptienne et saoudienne est courante par exemple.
De plus il y a un glissement vers la consommation individuelle par la multiplication des écrans et l’offre internet. Ce qui est nouveau est aussi le mépris pour les chaînes de « blédards ». Ceci s’explique aussi par la difficulté linguistique car la rupture entre dialecte et arabe médiatique a grandi avec les générations. Les jeunes ont une vision archaïque des chaînes locales et une appétence pour la musique hybride, genre BeurFM, très globalisée et multi-ethnique. Dans le même esprit, le multi-équipement permet d’avoir un salon arabe et un salon français dans les familles. Le chercheur estime cependant qu’il n’y a pas d’identité transnationale.
D’autres sujets sont abordés mais un tiers seulement du public inscrit est présent et il ne variera pas pendant deux jours. L’écrin de connaissances à partager devient rapidement un aquarium de scientifiques en vase clos.
De public, il n’y a que ceux qui présentent leurs travaux et quelques étudiants, surtout affairés à la logistique. De débat, inutile de chercher la question qui bouscule : on se ménage les uns les autres puisque tout le monde passe à la tribune. Vingt minutes, puis on cède sa place derrière l’ordinateur bardé de powerpoints. Je plains cette dame qui doit partager six ans de recherches. Elle parle si vite que je n’ai rien compris. Je crois avoir capté cette phrase : la médiativité est la médiatisation de la médiation médiatique. Bref, les sujets sont survolés à toute vitesse par leurs auteurs. Tout de même, ne désenchantons pas. Tel qu’exprimé plus haut : certains sujets sortent du lot.
Mais dans l’ensemble, heureux qui communique et c’est plié. Car lorsque le débat est ouvert en fin de séance, je suis surpris d’entendre si souvent « je ne sais pas » pour toute réponse. En effet, dès qu’il sort des limites de sa recherche, le scientifique évite de se prononcer. Pudeur, timidité ? Non : isolement, posture et prudence intellectuels. Le protocole d’étude est souvent une barricade pour justifier une pudibonderie scientifique.
Alors comment croire aux lendemains de ce genre de rencontre ? Elle semble héritée d’une époque où l’érudition était accessible et possible. Aujourd’hui, l’inflation du nombre de chercheurs, de recherches et de connaissances interdit au temps de la réflexion de prendre celui de la communication.