Les jeunes ont-ils raison d’avoir peur ?

Mise en ligne: 16 décembre 2015

Oui, répond Olivier Galland, qui analyse en détail les causes du malaise de la jeunesse, par Charlotte Chatelle

Olivier Galland [1]dresse un portrait assez sombre de la jeunesse française. Le ton est donné dès les premières pages avec la présentation des résultats d’une enquête commandée par la Fondation pour l’innovation politique. On y découvre des jeunes « profondément pessimistes et désabusés » qui se traînent au plus bas des scores d’optimisme et de confiance européens. Cette noirceur s’applique tant à leur avenir personnel qu’à celui de la société en général. La France est également le pays qui connaît le plus grand écart de satisfaction à propos de la vie entre jeunes et adultes. Si l’on en croit ces chiffres, il existe bien une souffrance particulière à la jeunesse française.

Partant de ce constat, Olivier Galland inspecte les différentes pistes pouvant expliquer ce malaise. Il aborde la question de la conjoncture économique peu favorable aux jeunes qui portent le poids de la flexibilité en matière d’emploi sur leurs épaules. Ils font leurs premiers pas dans le monde professionnel en accédant à des emplois souvent précaires. Si, pour les jeunes diplômés, il s’agit d’une transition vers une situation stable, pour les jeunes sans diplômes la précarité a tendance à s’installer. L’impression d’évoluer dans une société bloquée et en décadence engendre chez de nombreux jeunes un sentiment d’impuissance qui peut amener soit à un certain fatalisme empreint de conformisme, soit à une forme de radicalité politique.

La perte de confiance envers les institutions peut s’expliquer en partie par la dégradation du sentiment d’appartenance à la société. Le partage de valeurs facilite en effet l’engagement d’une relation de confiance. Le scepticisme envers les institutions se comprend également par la compétition réelle masquée sous un discours faussement égalitaire. Les « meilleurs » finissent par s’intégrer au projet collectif alors que les autres restent sur la touche.

Cette relation difficile avec les institutions se dévoile dans l’attitude des jeunes à l’égard de la politique. Comparés aux adultes, les jeunes se mobilisent peu lors des scrutins. Le taux d’abstentionnisme est en effet plus élevé chez les cadets qui s’éloignent de plus en plus d’une politique jugée déconnectée de leur réalité.

Conformisme ou révolte

L’évolution de la « culture jeune » est une autre explication du divorce entre les jeunes et la politique. Sous la forme d’une contre-culture, les jeunes des années soixante participaient activement à la vie sociale. La culture adolescente actuelle s’est défaite de sa dimension militante pour se concentrer sur la consommation de masse. Et alors qu’avant le passage vers l’âge adulte était lent et progressif avec la conjonction d’une socialisation horizontale et verticale, cela ne semble plus être le cas maintenant. La « culture jeune » est devenue totalitaire et hermétique aux autres classes d’âge creusant ainsi le fossé intergénérationnel que l’on connaît.

Quant à l’école comme outil d’intégration sociale des jeunes, Olivier Galland estime qu’elle ne remplit plus son rôle. Elle n’est plus associée ni à la formation citoyenne ni aux espoirs de promotion sociale. Le renouvellement par la création d’espaces de participation des jeunes aux processus décisionnels les concernant devrait être exploré pour favoriser l’engagement citoyen. L’école doit aussi restaurer son image de moteur de la réussite ternie par l’idée qu’ont beaucoup de jeunes d’une école de l’élite qui repère et sélectionne les plus forts au détriment des autres.

Conformisme ou révolte sont donc, selon Olivier Galland, les réactions politiques les plus répandues chez les jeunes qui connaissent un affaiblissement du sentiment d’appartenance sociétale. Cela explique que la participation politique classique chez les jeunes soit en baisse alors que la participation contestataire ponctuelle sous forme de manifestations, grèves ou pétitions est en hausse. Les enjeux des mobilisations de la jeunesse se focalisent généralement sur des thématiques la concernant directement. Les jeunes s’engagent pour se défendre. Chaque annonce de réforme touchant l’emploi jeune ou la scolarité entraîne depuis vingt ans un vent de panique chez les principaux concernés qui font bloc pour contrer des changements qu’ils estiment presque toujours dirigés contre leurs intérêts.

La jeunesse guette le mouvement politique avec méfiance. De leur côté, les hommes politiques ont tendance à contourner les jeunes pour éviter la confrontation au lieu de négocier avec eux. Incompréhension et défiance des deux côtés donc. Cette fracture qui concerne la jeunesse française en général est encore plus frappante dans les zones urbaines victimes de ségrégation, Les émeutes de 2005 en sont la manifestation récente. Ces jeunes qui ne se sentent ni représentés ni écoutés en sont arrivés à utiliser la violence pour se faire entendre. Marginalisés au sein d’une jeunesse déjà sous-représentée politiquement, ils sont mis à l’écart de la construction collective de la société.

Crise de confiance

Globalement les questions concernant la jeunesse sont peu ou mal comprises en politique et les mécanismes de représentation qui lui sont destinés sont souvent inefficaces. Les jeunes apparaissent comme des acteurs invisibles qui se réveillent lorsqu’ils se sentent menacés. Leur protestation, ponctuelle, débouche rarement sur des propositions politiques. Ils sont peu nombreux à s’engager de façon permanente dans le secteur associatif. Peu organisés, ils ne sont pas considérés comme des interlocuteurs crédibles. Selon l’enquête de l’Observatoire de la vie étudiante, en 2006, 78 % des jeunes ne participent à aucune association autre que sportive contre 70 % des adultes. Seulement 2 % font partie d’un syndicat, 2,5 % d’un parti politique, 2 % d’une organisation de jeunesse. Même les étudiants sont peu mobilisés : 4 % à peine participent à une association de représentation étudiante.

Le livre conclut sur une jeunesse en crise de confiance tant à l’égard des élites politiques, administratives et économiques qu’à l’égard de ses propres capacités. Cette crise de confiance entretient une crise des valeurs puisque le projet politique porté par les élites ne parvient pas à atteindre les jeunes.

La réconciliation de la politique et de la jeunesse passera par l’abandon des stigmates du jeune perçu par les décideurs soit comme un problème (ils adoptent alors une posture paternaliste), soit comme un danger (posture autoritaire, voire répressive). La jeunesse doit être envisagée comme une source d’innovation et d’évolution pour la société. Il ne faudra pas seulement en convaincre les élites politico-administratives mais aussi les jeunes qui semblent avoir perdu une bonne part d’estime d’eux-mêmes.

La conclusion qui fait écho au titre du livre est que les jeunes Français ont effectivement des raisons d’avoir peur. Cette peur est principalement alimentée par la société qui est incapable de les conforter et les rassurer à un moment clé de leur vie où ils se façonnent en tant que citoyens.

L’ouvrage d’Olivier Galland a le mérite d’analyser de façon détaillée les différentes causes qui peuvent expliquer le malaise de la jeunesse française. Il propose des pistes d’actions pour une meilleure intégration sociale des jeunes et pour une réduction de la fracture intergénérationnelle. Les angles de vue sont multiples et la problématique est envisagée tant par rapport aux jeunes que par rapport aux institutions ou au contexte national.

Un léger regret cependant concerne le ton assez sombre du livre, à l’image des jeunes qu’il décrit. Alors que l’auteur critique la stigmatisation de la jeunesse, il semble parfois tomber lui-même dans cet écueil. Les adolescents y sont présentés comme obsédés par la mode et la consommation. Quant aux jeunes adultes, ils apparaissent toujours comme les victimes d’un système au sein duquel ils n’ont aucune capacité d’action ou comme les contestataires absolus de tout mouvement politique. Dommage qu’aucune initiative politique constructive des jeunes n’ait été intégrée dans l’analyse et qu’il faille attendre les dernières lignes pour trouver une timide note d’espoir.

[1Olivier Galland, Les jeunes Français ont- ils raison d’avoir peur ?, Armand Colin, 2009.