Un exercice de simulation sur l’inégalité et l’exclusion, sur le pouvoir et le conflit
Origine
Ce jeu a été ramené du Québec et adapté par ITECO en 1986. Une équipe d’animateurs sociaux québécois y avait déjà modifié un modèle venu des Etats-Unis, dont la toute première version est due à G. Shirts et s’intitule Starpower.
Nombre des participants
De quinze à trente personnes. En-dessous de ce nombre, les sous-groupes ne sont plus assez nombreux. Au-delà de trente personnes, il devient difficile d’observer les réactions et les phénomènes émergents. Il faut compter de deux à trois animateurs.
Durée de l’activité
Il faut compter une journée pour le déroulement de tout l’exercice. Généralement, nous prenons la matinée pour les cinq ou six séquences du jeu et l’après-midi pour l’analyse et l’évaluation de l’activité.
Espace requis
Un local suffisamment spacieux pour que les trois groupes aient chacun leur espace de discussion : une classe, une salle. Un coin pour la « prison » est à prévoir également. Avant le début du jeu, il importe que la salle où il se déroulera soit débarrassée des chaises et des tables. Il faut que le local soit entièrement dégagé. Si des tables sont disposées le long des murs, on veillera à ce qu’elles ne puissent servir à s’y asseoir. Il faut que les participants vivent l’inconfort d’une pièce nue où l’on ne peut s’asseoir que par terre. Il serait bon de prévoir un chariot avec des boissons et des friandises qui sera introduit le moment voulu dans le local.
Objectifs
Ce jeu s’adresse à des adultes intéressés par la découverte, l’analyse et la compréhension des mécanismes de communication et de pouvoir entre les groupes et les classes sociales, ainsi que sur la question de l’inégalité et de l’exclusion sociales.
Depuis 1986, nous avons animé des centaines de fois ce jeu avec des syndicalistes, des coopérants, des étudiants, des enseignants, des cadres, des militaires, des travailleurs sociaux, des militants, des animateurs, des techniciens en Europe et en Afrique … La matière apparue et son exploitation ont été certes inégales, mais nous n’avons jamais été déçus du résultat.
Les participants sont amenés à vivre à échelle réduite et simplifiée les conflits et les relations de pouvoir qui existent dans la société. Ce jeu est un exercice de simulation, il ne s’agit nullement d’un jeu de rôle, les participants ne s’identifient pas à un personnage donné. Il s’agit plutôt de vivre une situation similaire à la réalité. Les participants y réagissent selon leur propre personnalité et leurs habitudes. Il importe donc de rester soi-même dans un cadre qui représente la vie quotidienne au sein de la société.
Comme dans toute réalité, il y a un certain nombre de règles à respecter. En dehors de celles- ci, toute initiative reste possible. Cette reproduction microcosmique d’un système social est génératrice de phénomènes de conflits, de frustration, de prise de conscience, de pouvoir, d’exploitation, de capitalisation et parfois même de délinquance, rencontrés dans nos sociétés. Les relations de domination présentes dans le jeu conduisent les participants à expérimenter les phénomènes de la dépendance et de l’aliénation. Mais des prises de conscience ont lieu qui peuvent déboucher sur l’organisation collective et des renversements du système de domination.
Le déroulement du jeu est censé conduire vers la prise de conscience par les participants de la place qu’ils occupent dans la société ; vers le développement des solidarités à l’intérieur des mêmes catégories sociales ; vers la découverte des dimensions sociales, politiques et culturelles issues des échanges économiques ; et vers une analyse des possibilités d’évolution à l’intérieur d’un tel cadre.
Déroulement
L’exercice se déroule en deux phases : le jeu proprement dit, d’une durée moyenne de trois heures ; et l’analyse de ce qui s’est produit, d’une durée moyenne de trois heures aussi. Au départ, il est important d’annoncer que cet exercice nous met en situation de simuler une société et que la société que nous allons recréer est comme toutes les sociétés le lieu d’échanges économiques. Ces échanges obéissent à des règles qui vont être énumérés. Exemple de présentation : « Ce que nous allons vivre ensemble est une expérience de groupe appelée jeu de simulation. Ce type d’action pédagogique a pour fonction de créer une micro-société. C’est en ce sens que l’on parle de simulation, c’est-à-dire simuler la réalité sociale. Les participants n’ont donc pas à faire semblant, ni à jouer un rôle. Il s’agit de s’engager en toute spontanéité, totalité et gratuité dans l’expérience qui s’offre à nous. Pour permettre à notre société de se former et de fonctionner, il faut un minimum de règles ou de lois que nous allons lire ensemble ».
Lire alors les règles, montrer les jetons qui sont l’objet des échanges, les jetons-boni, expliquer que des points additionnels seront donnés à ceux qui réussissent à faire des séries. Répondre aux questions. Expliquer aussi que nous vivrons un certain nombre de périodes, représentant chacune une année de vie de la société, pendant lesquels nous échangerons des jetons comptant des points. L’objectif de départ est d’avoir le plus de points possibles. Les points sont figurés par des jetons de couleurs différentes et des valeurs allant de cinq, dix, quinze, vingt-cinq et cinquante points. Des points additionnels sont attribués lorsqu’un participant accumule des jetons d’une même couleur (séries) : cinq jetons d’une même couleur permettent d’obtenir vingt points supplémentaires ; quatre jetons d’une même couleur ramènent dix points supplémentaires ; et trois jetons d’une même couleur donnent cinq points supplémentaires. Il y a aussi des jetons-boni qui valent trente points supplémentaires.
Au début du jeu, chaque participant reçoit une enveloppe contenant des jetons qu’il pourra échanger avec des partenaires. Ces jetons, de valeurs différentes, représentent un capital de départ. Ces échanges se font pendant des périodes limitées qui représentent chacun une année de vie et ils obéissent à des règles. Chaque période de jeu comprend trois phases : une phase d’échanges, une phase bonus et une phase de compilation.
Echange
Pendant la phase d’échange, il faut impérativement obéir aux règles suivantes :
A ce stade d’explication, le jeu peut commencer. On entame alors la première période de jeu. A la fin de la phase d’échange, chacun sera invité à compter ses points et à les inscrire sur une feuille portant son nom. Cette feuille sera affichée. On répartira alors les participants en trois groupes en fonction des résultats obtenus. Les totaux les plus élevés constitueront le groupe des carrés. Ils seront décorés d’un signe distinctif, une étiquette autocollante avec un carré. Ce groupe contiendra toujours une minorité de joueurs. Sur vingt participants, il y aura trois carrés, par exemple.
Les personnes dont les points sont directement inférieurs aux carrés constitueront le groupe des triangles. Ils reçoivent le signe distinctif du triangle. Ce groupe contiendra toujours un nombre de joueurs intermédiaire par rapport aux deux autres groupes. Sur vingt participants, il y aura six triangles.
Les totaux les plus bas constitueront le groupe des ronds. Ils seront munis du signe distinctif des ronds. Ce groupe contiendra toujours la majorité des joueurs. Toujours sur vingt participants, il y aura donc onze ronds. Selon les totaux à chaque période, une personne peut changer de groupe, mais cela implique inévitablement qu’elle déloge un autre joueur. En effet, le nombre de participants par groupe reste le même jusqu’à la fin du jeu.
Boni
A partir de la seconde période, après la phase d’échanges et après que les totaux individuels de points ont été faits, chaque équipe recevra un ou plusieurs boni valant chacun trente points. Durée de cette opération : cinq minutes.
Les joueurs devront se partager les boni au sein de leur équipe. L’unanimité est requise, faute de quoi les boni seront retirés et personne ne pourra en bénéficier. Les jetons boni peuvent être attribués à une même personne ou à des personnes différentes et les points des boni seront ajoutés aux points des bénéficiaires.
Compilation de points
L’attribution des boni entraîne souvent des modifications dans les équipes. Tel membre du groupe des ronds montera chez les triangles faisant du même coup régresser un triangle vers les ronds. Le jeu peut commencer dès que les règles ont été affichées, lues et expliquées par l’animateur. Généralement, cinq ou six périodes sont suffisantes pour constituer un outil de réflexion. Après la première période, le groupe se divise en trois sous-groupes selon le niveau des points totalisés. La répartition s’opère en fonction des points de chacun. La taille des trois sous-groupes est fonction du nombre total des participants. Par exemple, avant de commencer le jeu, l’animateur décidera de répartir un groupe de dix-huit participants en trois carrés, six triangles et neuf ronds. C’est aux animateurs d’apprécier le nombre des boni qu’ils partageront selon l’évolution du jeu.
Chaque période comporte trois phases :
A chaque nouvelle période qui commence, l’animateur annoncera un ou plusieurs avantages attribués aux carrés et qui leur donnent un « pouvoir » sur les autres participants. Ainsi, l’animateur annonce avant le début de la deuxième période que les carrés ont tous les droits sur les chaises. Si un triangle ou un rond désire s’asseoir, il devra négocier cela avec un carré qui fixera le prix de la chaise.
Au début de la troisième période, les carrés conservent le pouvoir sur les chaises et ont en plus le pouvoir de gérer les boissons existantes (entrée du chariot à boissons qui est amené aux carrés). Au début de la quatrième période, vu l’état de misère qui règne chez les ronds, ceux-ci doivent donner leurs chaussures aux carrés, et pour les récupérer s’arranger avec eux. Le pouvoir sur les chaises et les boissons demeure. Les ronds jouent à présent pieds nus.
Avant la cinquième période, les trois plus pauvres vont en prison (coin ou local à prévoir). Les carrés reçoivent des billets de liberté qu’ils géreront à leur guise. Bien sûr, ces contraintes peuvent être adaptées (cigarettes, repas de midi, accès aux toilettes, etc). La dernière période se caractérise par une ultime donnée supplémentaire : les carrés ont le pouvoir de changer toutes les règles du jeu. A ce moment, l’animateur annonce qu’à présent, tout le pouvoir appartient donc aux carrés.
Avis aux animateurs
Idéalement, il faut trois animateurs pour ce jeu, un meneur de jeu et deux observateurs. Ceux-ci donnent un coup de main pour distribuer les enveloppes au début de chaque période. Le meneur de jeu doit veiller constamment à faire respecter les règles de départ.
L’animateur doit être le gardien des règles de départ, mais il doit aussi laisser le groupe évoluer de manière non directive. Il incarne les règles, et cependant il y a des règles injustes qui peuvent être aménagées, changées ou abolies.
Les participants ont à gérer leurs espaces d’échange et de discussion de manière autonome. L’animateur ne peut rien imposer d’autre que les contraintes de chaque séquence (chaises, prison, etc...) Les participants en font ce qu’ils veulent et il est important de laisser se dérouler le jeu comme ils le souhaitent, le choisissent, le subissent. C’est à eux d’organiser leur société, les animateurs représentant « juste » le principe de réalité. Il est permis d’être en désaccord ou de se rebeller contre l’ordre des choses.
En général, les participants « n’y pensent pas » (n’osent pas, ne savent comment s’organiser) pendant le jeu. Dès lors, dans le débat final, surgissent des réactions de défense normales contre les animateurs ou de justification quant à l’impossibilité de se révolter. Cependant, lorsqu’on demande aux participants quelles sont ces impossibilités, ils n’ont pas de réponse. C’est une des raisons pour lesquelles la non-directivité est nécessaire.
Souvent les questions fusent : Qu’y a-t-il au juste dans les enveloppes ? Comment celles- ci sont-elles réparties ? Combien de séquences y a-t-il ? Il est plus intéressant que le groupe découvre les réponses par lui-même et à son propre rythme.
L’animateur doit s’efforcer de voir si le groupe tend à se cristalliser dans une impasse, ou si la situation conflictuelle et frustrante se résout par une tentative de création d’un système différent, plus juste et humanisé, ou encore par une résolution du type révolte ou révolution. Si, au contraire, le jeu plafonne, le meneur de jeu arrête l’exercice et introduit la phase d’analyse. Il est donc important que le meneur de jeu, aidé des observateurs, soit attentif à la dynamique en évolution de chacun des groupes. Il ne doit surtout rien « casser » de ce qui peut se mettre en place comme adaptation ou comme alternative. Il est important de toujours laisser évoluer le groupe par lui-même.
Matériel nécessaire
Chaises, boissons (un repas, facultativement), papiers pour les comptes, feuilles de compilation (voir ci-dessous), bics, papier collant, étiquettes autocollantes, enveloppes ou sachets avec les jetons plus des jetons de réserve, grandes feuilles avec les règles et les valeurs des jetons, tickets « liberté », tickets « repas ».
Un nombre d’enveloppes correspondant au nombre de périodes multiplié par le nombre de participants doit être prêt avant le début du jeu. Pour un groupe de dix-huit participants, par exemple, il faut préparer dix-huit enveloppes avec le même contenu, à distribuer au début de la première période ; et puis pour les cinq périodes suivantes, si on a décidé qu’il y aurait trois personnes dans les carrés, huit triangles et neuf ronds, on prépare : 3 X 5 = 15 enveloppes pour les carrés 6 X 5 = 30 enveloppes pour les triangles 9 X 5 = 45 enveloppes pour les ronds. Les enveloppes doivent toujours contenir cinq jetons.
Au premier tour, les enveloppes contiennent toutes un jeton de chaque valeur pour que tout le monde ait les mêmes chances de départ. A partir de la deuxième séquence et jusqu’à la fin, les enveloppes des carrés contiennent un jeton de cinquante points, un jeton de vingt-cinq points et trois jetons au hasard parmi les jetons de quinze, de dix et de cinq. Les enveloppes des triangles contiennent un jeton de vingt-cinq points et quatre jetons au hasard parmi les jetons de quinze, de dix et de cinq points. Les enveloppes des ronds contiennent cinq jetons pris au hasard parmi les jetons de quinze points, de dix et de cinq points. Pour tous, la valeur maximale dans les enveloppes est de cent vingt-cinq points et la valeur minimale est de quarante-cinq points.
L’analyse
L’annonce de la fin du jeu peut paraître frustrante à certains joueurs, mais on comprendra qu’il est plus important de commencer le travail d’analyse.
A ce stade, nous proposons un travail en deux temps. Dans un premier temps, réunion des groupe initiaux, ronds, carrés et triangles (ceux qui ont changé de groupe au cours du jeu peuvent rester dans le groupe où ils sont restés plus longtemps), pour refaire l’historique de leur groupe, la manière dont les passages d’un groupe à l’autre ont été vécus, quelles ont été les stratégies tentées ou mises en place, et pourquoi ? En bref, comment s’est tracé le chemin qui a mené à la situation finale ?
Voici quelques questions que nous pouvons suggérer :
1 Souvenez-vous des divers sentiments que vous avez ressentis au cours du jeu (colère, frustration, euphorie, déception…)
2 Comment, à partir de votre groupe, avez-vous perçu les deux autres ?
3 Pouvez-vous distinguer différentes phases du jeu ?
4 Pour gérer la situation, avez-vous eu des stratégies individuelles ou collectives ? Quelles sont les stratégies qui ont échoué et celles qui ont réussi ? Y a-t-il d’autres stratégies imaginables, qui ne sont pas apparues au cours du jeu ? Qu’est-ce que l’exercice a montré être possible ou impossible, avantageux ou désavantageux comme action à mener ?
5 Où était le pouvoir dans le jeu ? Dans l’un ou l’autre groupe (le pouvoir des carrés était-il légitime ?) ? Dans les règles ? Quels ont été vos rapports à ces règles ? D’acceptation, de transgression, de négociation ? Qu’est-ce qui était négociable et quand ?
6 Quel lien peut-on faire entre la situation créée dans le jeu et la réalité sociale qui nous entoure ? Connaissez-vous des événements historiques ou d’actualité qui ressemblent à ce que nous avons vécu ?
Ces questions feront l’objet d’un échange d’une quarantaine de minutes. Après quoi, en grand groupe, chaque sous-groupe fera la synthèse de son évolution par le truchement d’un rapporteur et ces rapports feront l’objet d’un débat en grand groupe. Il s’agit surtout à ce stade de construire une lecture commune de ce qui s’y est déroulé au fil des périodes vécues. Lorsque les trois sous-groupes se sont exprimés, confrontés et accordés sur leur vécu, on peut amorcer un travail de réflexion sur le fond.
Phénomènes observés
Les phénomènes généralement vécus par le groupe au cours du jeu sont des phénomènes de capitalisation, de monopolisation, des processus de formation de conscience de groupe ou de classe, de mobilité, de blocage, d’autorité, de primatie démocratique ou autocratique, de domination et de manipulation, de frustration ou des conflit à l’intérieur des classes inférieures et moyennes en vue de s’organiser elles-mêmes pour elles-mêmes ou contre le pouvoir et dans la lutte pour se libérer du pouvoir manipulateur, des phénomènes de haine, de possession de négociation, de délégation, de représentation, de démocratie populaire ou encore de démocratie représentative, de contestation, de boycottage, de révolte et de révolution, d’organisation, de modification du système social, de prise et d’exercice du pouvoir, de dépendance, de frustration, d’hostilité et de violence, d’existence, d’absence ou de refus de communication. Il va sans dire que cette liste n’est ni exhaustive, ni exclusive. De plus, ces phénomènes n’apparaissent pas nécessairement tous lors d’une seule et unique expérience, mais beaucoup y sont souvent présents.