Du Musée d’Afrique tropicale de 1863 au Dak’art 2018

Mise en ligne: 31 mai 2018

De l’art traditionnel à l’art contemporain, l’évolution des arts sénégalais, par Pape Ass Mbengue

C’est en 1863 que Louis Faidherbe, alors gouverneur du Sénégal, crée le premier Musée d’Afrique tropicale à Saint-Louis.

Le Dak’art, pour son appellation courante renvoie à la Biennale d’art africain contemporain de Dakar. Ce terme « art » dans ce titre recoupe, et l’art traditionnel africain, et l’art contemporain africain pour nous. Ce qui nous permet de remonter très loin dans l’Histoire avec la création de ce premier musée à vocation ethnographique.

Comme le mentionne quelque part Clémentine Deliss, conservatrice, éditrice et historienne de la culture, des dates et lieux sont importants à retenir à propos des musées coloniaux. Par exemple 1907 : Windhock, en Namibie, une structure muséale créée par l’Allemagne. 1910 : Naïrobi avec le National museum of Kenya. 1910 : le Nigéria avec l’administration coloniale britannique…

En ce qui concerne le Sénégal, l’histoire muséale s’intensifie progressivement surtout à partir de 1931. En effet entre 1931 et 1932, un bâtiment sera érigé à Dakar sur le Plateau pour servir d’abord de palais au commandant de la circonscription de Dakar, puis de siège à l’Administration générale de l’Afrique occidentale française. Avec une architecture soudano-sahélienne comportant un parallélisme asymétrique, l’édifice devient en 1936 l’Institut français d’Afrique noire.

Dès 1940, les collections d’objets ethnographiques vont s’enrichir, provenant de toute l’Afrique noire. En 1960, cet Institut devient un musée d’art africain et en 1966 se mue en Institut fondamental d’Afrique noire —IFAN— de Dakar. Alors que l’IFAN de Saint-Louis devient au début des années 70 Centre de recherches et de documentation du Sénégal.

C’est en 2007 que l’IFAN de Dakar est encore rebaptisé : Musée Théodore Monod d’art africain. Mais déjà en 1992, un second bâtiment y avait vu le jour avec un style architectural néo-soudanais et colonial. Du reste, la même mission primordiale pour cette politique muséale demeure toujours : préserver et valoriser l’héritage du Sénégal et de l’Afrique noire surtout.

Cependant, tous ces rappels (ou cette sorte d’archéologie du musée colonial d’origine) peuvent avoir toute leur importance si l’on prend en compte le fait qu’à partir de la deuxième moitié du XXe siècle, au Sénégal en particulier, d’autres événements en rapport avec l’art vont se déployer, mais cette fois-ci avec l’art moderne, et non avec l’art traditionnel africain, et ses objets-témoins. Il est même plus pertinent de parler d’art contemporain tel qu’il se réalise sous nos yeux en ce XXIe siècle.

Encore une fois, c’est comme pour un parallélisme des formes entre la dimension muséale depuis 1950 au Sénégal, et la dimension contemporaine avec la création de l’Ecole des Arts de Dakar à la fin des années cinquante grâce à Léopold Sédar Senghor. Celui-là même qui deviendra Président de la république en 1960, qui était poète, visionnaire et mécène. Qui organisera dès 1966 le premier Festival mondial des arts nègres à Dakar, la même année où il ouvre les portes du Musée Dynamique sur la corniche ouest de Dakar, ainsi que les Ateliers de la manufacture de tapisserie de Thiès, toujours au Sénégal.

La vie faisant son bonhomme de chemin, l’Ecole des arts devient l’Institut national des arts (INA) du Sénégal, avec sa section Arts plastiques (peinture et sculpture), sa formation en art dramatique et en musique.

Dans les années septante, il y a l’existence d’un cadre informel d’artistes et d’intellectuels : le Laboratoire Agit-art, une structure informelle et souvent à caractère subversif.

En 1989 une Anthologie des arts plastiques au Sénégal voit le jour ainsi que la création de Mécén’art et la fondation de la Biennale des lettres et des arts en 1992. En 1996, la Biennale est exclusivement pour les arts : c’est le Dak’art…

La diplomatie culturelle de Senghor

Cette première partie de notre « archéologie du savoir » relativement à l’évolution de l’art au Sénégal va prendre une autre tournure, car nous envisageons de passer au peigne fin les nombreux apports et réalisations de Léopold Sédar Senghor, ainsi que sa politique de diplomatie culturelle, les mouvements qui l’ont contestée et les actes positifs concrets des artistes eux-mêmes avant et après son départ de la tête de l’Etat sénégalais.

Comme indiqué plus haut, Senghor a très tôt créé une Ecole des Beaux arts à Dakar et il a mis aussi en place le Théâtre national Daniel Sorano, sur l’avenue de la République. En 1966, c’était un chapelet ou un collier d’infrastructures et d’initiatives, parce qu’il voyait loin, et même très loin…

De même, après avoir abrité des expositions durant le Festival mondial des arts nègres, le Musée Dynamique sera le réceptacle d’expositions d’œuvres d’artistes de renommée mondiale comme Picasso, Manessier, Soulages ou Hundertwasser… Senghor empruntait ces œuvres auprès d’institutions publiques ou de musées pour le bonheur des prunelles des yeux des Sénégalais et même des jeunes écoliers, puisque des cars transportaient à ces occasions des élèves pour des visites guidées. Soit dit en passant, l’édition 2018 du Dak’art a eu sa première Biennale des jeunes, sur le site « IN » à l’ancien Palais de justice du Cap Manuel.

L’ancien président-poète fixera même le prix du mètre-carré de tapisserie à 400 mille FCFA, un montant qui à l’époque n’était pas très loin du salaire d’un haut-fonctionnaire de la République.

Les pères du mouvement de la négritude, en l’occurrence Césaire, Senghor et Damas avaient balisé le terrain au plan idéologique et culturel. Sédar (ou « c’est d’art » selon un artiste plasticien bien connu : ELSY), en chef d’Etat innovateur, aura aussi son école. Il s’agit de cette fameuse Ecole de Dakar, dont la peinture fera une large place aux aplats, avec une utilisation assez restreinte des immenses possibilités de la gamme chromatique. Sauf que dans les tapisseries, les couleurs auront souvent plus d’éclat.

Léopold, c’était aussi l’achat régulier d’œuvres d’art pour le patrimoine de l’Etat, œuvres devant décorer les bureaux des ministères et des services importants de la nation. Le Protecteur des arts avant la lettre fera même voter une loi : la Loi du 1% qui consiste à affecter 1% du budget de construction des bâtiments publics, ou recevant du public, à la décoration extérieure et intérieure.

C’était aussi les bourses à l’étranger et le Fonds d’aide aux artistes plasticiens, les subventions et autres subsides en tous genres, sans compter que ses actions de promotion et de visibilité traversaient tout le tissu de la communauté artistique sénégalaise, et même africaine pour certaines initiatives. Comme c’est le cas de l’Ecole de danse Mudra Afrique avec Maurice Béjart et Germaine Acogny, une structure de formation qui recevait des pensionnaires sénégalais et surtout d’autres jeunes Africains : un rare esprit d’ouverture sur le continent à l’époque.

Des étudiants seront boursiers pour le Mexique, qui pour faire de l’art, qui pour faire de l’architecture ou de la muséologie. En bout de compte, presque personne ne reviendra servir le Sénégal, sauf quelques fois par intermittence… Un vrai gâchis, considèrent certaines mauvaises langues.

Dans la même veine ou l’identique sillage, Senghor met en place le Commissariat aux expositions à l’étranger, chargé de faire rayonner l’art sénégalais dans le monde, en particulier dans les grandes capitales européennes. Les œuvres d’art sénégalaises feront même l’événement au Grand Palais, à Paris, espace de consécration par excellence de l’art mondial. Mais aussi des escales sur le continent nord-américain, précisément aux Etats-Unis et au Canada.

A noter qu’à l’époque des années septante, le gouvernement du Mexique va octroyer une participation gratuite au Sénégal pour les projets senghoriens comme le Musée des civilisations noires, la Nouvelle école des arts et la « Riviera » de Dakar sur un tunnel et une plate-forme, à partir du bloc des Madeleines : les grands projets culturels et artistiques de Léo-le visionnaire, ci-devant Président-poète, alors que l’économie bat de l’aile, alors que la sécheresse s’est installée au Sénégal, pays agricole, pour un long cycle. Son projet de Musée des civilisations noires est réalisé par la Coopération chinoise, mais l’édifice n’est pas encore inauguré en 2018, au moment de la 13e édition de la Biennale Dak’art.

En 2018 également la fameuse Ecole des Beaux-arts du Sénégal, contemporaine et performante n’est pas encore réalisée, malgré trois régimes politiques successifs après Senghor, avec deux alternances démocratiques.

Naissance, huile sur toile de Taha Diakhate, 2015

A la fin du règne de Senghor, les choses avaient beaucoup changé dans les arts plastiques : l’Ecole de Dakar a vu son aura décliner et lui-même était contesté par l’activisme du Laboratoire Agit-art. A ce propos, et à l’égard de Senghor, l’on a même pu parler « d’arrachement violent et irrévérencieux ». D’autres initiatives, portées par les artistes et quelques intellectuels, étaient au-devant de la scène, en dehors de la sphère étatique : désormais l’Etat n’avait plus le monopole de l’impulsion créative.

C’est la période, après son retrait du pouvoir, des « Tenq » ou articulation en wolof, des Rencontres artistes-publics dans l’ancien Village des arts de l’avenue Peytavin, au Plateau, dans le cœur de la capitale sénégalaise. C’était des ateliers qui se multipliaient et l’art n’était plus confiné dans les bureaux et salons, mais à même la rue.

Le régime qui a succédé à Senghor a commencé par des coupes drastiques dans les budgets de la culture et des arts. C’était l’ajustement structurel, que d’aucuns traduisaient avec humour par « ajustement culturel » non sans raison d’ailleurs. Car l’Etat n’achetait presque plus d’œuvres d’art. Le Fonds d’aide était laminé.

C’était l’ère des ruptures, sauf que les continuités souterraines un peu avant se mettaient au goût du jour : dans l’air du temps. Et pourtant, c’est dans ce contexte que progressivement les artistes vont amener l’Etat à faire sienne l’idée d’organiser une Biennale, en 1992.

Pour comprendre le caractère populaire du tableau de peinture au Sénégal, cette « fenêtre » qui nous est venue de l’Occident, il va falloir remonter encore loin dans l’histoire. En effet, Saint-Louis est comptoir français dès 1659, et des artistes de passage y ont peint depuis longtemps. Comme ils peindront dans les quatre communes françaises de l’époque coloniale : Saint-Louis et Gorée en 1872, Rufisque en 1880 et Dakar en 1887. Donc le tableau de peinture sera assez présent dans ces villes.

Xam-xam, Le savoir, huile sur toile de Taha Diakhate, 2016

Un autre facteur qui explique l’ancienneté du tableau, c’est la peinture sous-verre. En wolof d’ailleurs, par déformation, l’on dit « souwère », ce qui en dit long sur son adoption comme élément de la vie quotidienne surtout dans ces mêmes quatre communes, et même à l’intérieur du territoire, comme à Thiès et Kaolack.

La technique du sous-verre est connue depuis longtemps en Occident ; à la Renaissance à Venise et à Murano, ainsi qu’en Turquie. En 1890, elle est introduite au Maghreb, puis de là, au début du XXe siècle au Sénégal par l’intermédiaire des marchands arabes et berbères, des marabouts et des lettrés musulmans sénégalais. Surtout par les pèlerins revenant de la Mecque. L’envie nous vient de signaler cette belle définition du tableau de peinture par la peinture Maurice Denis : « Un tableau de peinture, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque autre anecdote est d’abord une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ».

Actualité du Dak’art

Il faut dire que la Biennale Dak’art s’est régulièrement bonifiée tout au long de sa croissance, en particulier depuis 2010, et surtout pour ces trois dernières éditions de 2014, 2016 et 2018. Elle est devenue plus continentale et encore plus internationale.

De même, les manifestations dites d’environnement ou « off » ont explosé en nombre pour essaimer dans d’autres villes du Sénégal : Saint-Louis, Rufisque, Ziguinchor, Kaolack et bien sur dans toute la banlieue de Dakar.
En 2014 il y a eu, à coté du « in » ou Exposition internationale, une autre expo internationale au Musée Théodore Monod avec le concept de diversité culturelle à travers une sélection mondiale jusqu’en Chine. Les sites officiels avaient également augmenté.

En 2016, la même tendance s’était accrue et les « off » avaient largement dépassé le chiffre record de 250 événements labellisés. Et la Chine était encore là. En 2018, il y a des innovations majeures, comme le Pavillon du Sénégal avec les Pavillons des deux pays invités : la Rwanda et la Tunisie. Cet immense chapiteau se tient sur l’Esplanade entre le Grand Théâtre national et le Musée des civilisations noires. C’était un IN dans le IN de la Biennale, les Pavillons nationaux.

Une autre innovation de Dak’art 2018, c’est aussi cette Rétrospective Fodé Camara, artiste plasticien, peintre et scénographe, qui a assuré la scénographie de plusieurs éditions et à qui l’organisation du Dak’art tenait à rendre hommage. C’était à la Galerie nationale d’art de Dakar.

En 2018 également, les OFF ont atteint le nombre de 320 manifestations sur l’ensemble du territoire national, tandis que les Rencontres et échanges ont accueilli une quarantaine de participants invités : intellectuels, commissaires, historiens d’art on de la culture du monde entier.

En 2016 le thème de la Biennale, c’était « La cité dans le jour bleu » emprunté à Senghor, et en 2018 c’est « L’heure rouge » emprunté à Césaire, tous des choix du directeur artistique Simon Njami. Comme quoi, ces deux dernières éditions ont fait encore la part belle au mouvement de la négritude. Et que, le moins que l’on puisse dire, c’est que le Dak’art est bel et bien une Biennale majeure. Reste à lui souhaiter encore bon vent !