Black to the future

Mise en ligne: 13 septembre 2019

Les super héros afros n’ont pas peur d’Ebola, par Antonio de la Fuente

« Les Africains connaissent mieux l’Europe que les Européens l’Afrique » nous dit l’écrivain d’origine djibutienne Abdourahman Waberi. A vérifier. Sûrement, si on regarde de près l’Afrique au delà de l’attendu, on trouvera du moins attendu voire de l’inattendu. De prime abord, par exemple, on n’associe pas Afrique avec science-fiction. Et pourtant.

A Kaduna, au Nord du Nigeria, un groupe de jeunes crée des films de science-fiction avec des téléphones portables et une panoplie d’effets spéciaux appris en suivant des tutoriels sur le web, faisant fi de toutes les difficultés pratiques liées à la précarité matérielle. Leurs films ne peuvent pas dépasser les dix minutes, tellement le flux de la connexion est lent et les coupures d’électricité monnaie courante. Ils s’appellent The Critics Company. On les voit sur Al Jazeera ou sur TV5monde menant à bien un récolte de fonds qui leur a permis de s’acheter du matériel pour six mille euros environ. A noter que le Nigeria est le deuxième producteur mondial de films, le premier en Afrique. On l’appelle Nolywood, en référence au premier, Bollywood, en Inde.

D’autres iront jusqu’à associer les enlèvements extraterrestres et l’histoire de l’esclavage. Cela peut sembler saugrenu mais un courant esthétique appelé afrofuturisme est apparu dans les années soixante au sein de la communauté afroaméricaine qui essaie depuis lors de « combiner savoirs anciens endogènes et la technologie la plus récente », d’après Abdourahman Waberi, qui a notamment consacré à ce courant son roman « Aux États-Unis d’Afrique ».

Parmi des artistes bien connus, le peintre Jean-Michel Basquiat et le musicien Sun Ra ont souvent été associés à la mouvance afrofuturiste, qui comprend aussi des manifestations d’ordre divers dans tous les domaines artistiques et dans la critique culturelle qui s’en suit. Récemment un film comme « Black Panther », dont il est question dans ces pages, a remis l’afrofuturisme à la Une de l’actualité.

Quant à l’origine de ce courant, l’expression « afrofuturisme » aurait été forgée, sur base d’un ensemble d’éléments préexistants, par Mark Dery, dans un essai de 1993 intitulé « Black to the future ». Sur le plan visuel, l’influence sur l’imaginaire afrofuturiste des images que le peintre allemand Matti Klarwein a créées, notamment pour les pochettes des albums de Miles Davis, n’est plus à démontrer. Quoiqu’il en soit, les racines de l’afrofuturisme sont largement afro-américaines mais la dynamique a vite pris en Afrique, notamment au Nigeria mais aussi ailleurs. Envie d’essayer des images afrofuturistes ? Vous pouvez télécharger gratuitement cent pages d’une BD afrofuturiste sur le site de Youneek Studios.

Dans un cadre plus large que le seul courant de l’afrofuturisme, la BD africaine a aussi son lot d’inattendus à apporter à la représentation de l’Afrique. Le Gabonais Pahé a créé un personnage largement autobiographique, au point de s’appeler aussi Pahé, qui se rend en Europe pour sensibiliser à l’interculturalité. Un autre personnage du dessinateur gabonais est le petit albinos Dipoula. Voici comment Dipoula se présente lui-même : « Je suis né blanc, ...enfin, je veux dire noir... mais les gens ne me voient pas comme un Africain, vu que je suis albinos ».

En Afrique du Sud, Loyise Mkize est parvenu à imposer son héroïne Kwezi, qui veut dire Étoile en langues xhosa et zoulou. En Centre-Afrique, Didier Kassaï montre la guerre qui sévit dans son pays, pris en tenaille entre deux milices rivales, dans « Tempête sur Bangui ».Tandis qu’en Côte d’Ivoire, Chaba Théo s’attaque aux coupures de courant électrique et fait face au monstre Ébola.

Par ailleurs, un programme de résidence artistique situé au Sénégal, au point le plus occidental de l’Afrique, vise à promouvoir la création artistique. Les artistes sélectionnés pour passer un trimestre à la Black Rock Senegal, africains et noirs européens et américains pour la plupart, y échangent entre eux et avec le milieu. L’hypothèse qui semble être à la base de l’expérience est que c’est sur le sol de l’Afrique que peut surgir un art en lien avec la réalité africaine. De l’inattendu sortira peut-être aussi de ces rencontres afro-cosmopolites.

« La littérature d’anticipation et d’investigation produit parfois des résultats intéressants » conclue Abdourahman Waberi. « Toute œuvre qui embrasse l’autrui dans sa totalité et son opacité aussi, comme dirait Édouard Glissant, est à célébrer ».