Des nouvelles du monde médiatique africain en devenir, par Tito Dupret
À la fois fantasme et illusion, l’Afrique n’existe pas. Pas plus que l’Europe, l’Amérique ou l’Asie. L’Afrique ne compte pas des centaines de millions d’habitants mais une innombrable somme de communautés et leurs membres. Telles l’Europe, l’Amérique ou l’Asie. Et les médias l’ont (enfin) compris : TV5 Monde s’adresse moins au monde, qu’à une communauté – francophone – dans le monde. Le global a fait son temps, le local l’a rattrapé et le glocal est en cours de construction.
Fin 2018, David Medioni titrait dans Stratégies : « Médias en Afrique : la bataille de l’influence ». Son commentaire y était limpide : « Les médias panafricains francophones sont tous soucieux de s’implanter sur le continent et de toucher les publics dans leurs cultures propres afin de coller aux aspirations locales. Il s’agit aussi de résister à la concurrence internationale, notamment chinoise. » Plus loin : « Les Chinois ne sont pas les seuls à voir l’importance de ce continent, en termes d’influence globale, mais aussi et surtout en termes de business. Ted Sarandos, directeur des contenus de Netflix, répète à l’envi : « Nous n’avons pas encore de contenus en production en Afrique, mais nous avons l’intention d’en avoir, c’est sûr ».
Les audiences se montrent friandes de contenus locaux. C’est la fin du modèle américain. Le paradigme des superproductions est dépassé. « En fait, les gens veulent entendre des voix venues de partout dans le monde. Plus notre plateforme devient globale, plus on voit de gros succès qui viennent d’hors les États-Unis. On est convaincus à 100 % que d’ici dix ans, ça semblera vraiment désuet de penser que seuls les shows et films qui viennent des États-Unis auront une empreinte mondiale. Ce ne sera plus le cas. » Tels sont par ailleurs les propos d’Erik Barmack, vice-président des contenus originaux à l’international de Netflix.
La dispersion et l’individualisation des contenus n’est évidemment pas étrangère à la multiplication des smartphones, tablettes et autres outils connectés. Même si « la télévision demeure le média de masse par excellence en Afrique », elle n’existe qu’en la partie d’un tout médiatique pléthorique, aussi diffus que confus, en pleine expansion. La complexité du domaine rend sa lecture et sa maîtrise plus qu’ardue, tant en productions que financièrement et bien sûr, ultime et majeur, d’un point de vue politique. Tellement qu’aujourd’hui, la télévision rassemble moins comme d’antan la famille, devant par exemple, le journal télévisé ou telle série. Désormais, elle éparpille les publics et s’enrichit (quantitativement du moins) considérablement.
En Afrique francophone, « 90% des individus de 15 ans et plus regardent la télévision. C’est un niveau de consommation très important, qui s’explique notamment par le nombre de chaînes : l’offre a clairement tendance à s’élargir et ce n’est pas terminé avec le développement de la TNT (télévision numérique terrestre) », analyse Stanislas Seveno, directeur des secteurs média et techno de la société de sondage Kantar TNS. À Kinshasa par exemple, « le nombre de chaînes reçues est supérieur à 100 pour près d’un tiers des personnes ».
Pléthorique, diffuse, diverse, locale voire individuelle… Cependant, la « valeur Afrique » vit car elle s’est profondément imprimée dans l’esprit des populations. Il suffit de se brancher sur la panafricaine Afrique media pour capter un contenu inaccessible avant internet et aussi dont la ligne éditoriale montre bien la tendance actuelle, écartelée entre Afrique macro et micro : « Afrique média se distingue non seulement par son installation dans plusieurs pays africains et son personnel qui reflète la diversité et la richesse de ce continent ». Ici, le terme de glocal est assumé et appliqué.
Cependant, oui : la complexité du domaine rend sa lecture et sa maîtrise plus qu’ardue, tant en productions que financièrement et bien sûr, ultime et majeur, d’un point de vue politique. À l’instar des printemps arabes, l’Afrique médiatique, c’est aussi des prises de conscience et de pouvoirs politiques. Voyez la liste des conférences courtes recommandée par TED et intitulée : « Montée de la prochaine génération en Afrique ». Les sujets : « Comment les jeunes ont trouvé leur voix sur Twitter », « Les dirigeants qui ont ruiné l’Afrique et la génération qui peut régler cela », « Vous voulez aider l’Afrique ? Faites des affaires ici ». (1)
Autre exemple, depuis Nairobi, Julian Rotich, cofondatrice du logiciel open-source Ushuhidi : « Les communautés Tech explosent partout en Afrique, mais c’est un défi de rester connecté dans les régions avec de régulières coupures de courant ou d’internet. Du coup, Rotich et ses amis ont développé BRCK, offrant une connectivité résiliante pour le monde en voie de développement ». Parmi ses initiatives, Kio Kit, une boîte autonome, robuste et imperméable contient des tablettes « construites pour l’Afrique ». Le but est d’apporter les outils digitaux en classe, dans n’importe quelle école du continent.
Ce qui a lieu ici est une prise glocale d’autonomie. Celle que tout projet de coopération et développement espère générer, trouver, pérenniser. C’est la partie lumineuse, pleine de pixels, à hautes résolution et possibilités du monde médiatique africain en devenir.