A propos de « L’eau sacrée », un documentaire belge sur la sexualité au Rwanda. Propos de Jacqueline Rwagatare recueillis par Antonio de la Fuente
Voici comment est présenté « L’eau sacrée », film documentaire tourné au Rwanda par le réalisateur belge Olivier Jourdain : « Le film part à la rencontre de la sexualité rwandaise, en quête de l’eau sacrée, celle qui jaillit du corps des femmes. Guidé par Vestine, star extravagante des nuits radiophoniques, le film nous dévoile avec humour et spontanéité le mystère de l’éjaculation féminine. Les Rwandais seraient-ils les héritiers d’une autre façon de faire l’amour ? Le plaisir féminin y est-il vraiment central ? ». Nous avons interpellé Jacqueline Rwagatare, psychothérapeute d’origine rwandaise active en Belgique, sur ce qu’elle pense d’une telle démarche.
Antipodes : Nous avons bien aimé au début du film la mise en images du récit de la reine qui donne naissance au lac Kivu, ainsi que quelques séquences portant sur l’expression de la sexualité au Rwanda. Et vous, comment avez-vous perçu ce film ?
Jacqueline Rwagatare : Je trouve la démarche intéressante par le fait de s’intéresser au Rwanda par d’autres aspects. Souvent on aborde le Rwanda uniquement par l’événement marquant de l’histoire du pays qu’est le génocide perpétré contre les tutsis en 1994. J’ajouterais aussi qu’il est intéressant par la manière poétique et mythique que le film utilise pour aborder la question de la sexualité et ses particularités. Néanmoins, si je pouvais poser un regard critique sur le documentaire, à partir bien sûr de ma propre lecture subjective inspirée de mes expériences personnelles et professionnelles, il me semble que c’est compliqué d’aborder la question de la sexualité rwandaise sans parler de son contexte, c’est à dire des relations de couple, de la conception culturelle de la sexualité et de l’intimité et de la place de l’homme et de la femme dans la société.
Dans quel sens la conception rwandaise de la sexualité et de l’intimité n’est pas assez bien prise en compte par le film ?
Je trouve que le film n’aborde pas la notion du couple au Rwanda. Il me semble que c’est difficile de parler de la sexualité sans parler de la relation de couple. La sexualité et l’intime se construisent à deux et dans une relation donnée et ne se limite pas à la question technique. Dans le film, par exemple, on voit une femme qui va consulter car elle n’a pas beaucoup d’eau. On peut se demander si c’est elle qui a un souci ou si c’est son mari. Ou les deux...
On aurait aimé aussi que le film ouvre sur une formulation de l’intime plus large que celle proposée de manière un peu insistante par l’animatrice radio.
Il me semble que la population rwandaise a une certaine pudeur surtout quant aux questions liées à son intimité. J’étais aussi surprise de découvrir certains témoignages assez intimes. Quand j’ai vu le film j’ai été interpellée par certains récits qui me semblent exagérés... On pourrait penser que le pays est rempli de cours d’eau grâce à la sexualité (rires).
J’ajouterai aussi qu’au Rwanda la conception du couple évolue, ainsi que la place et les rôles de la femme et de l’homme, comme partout ailleurs. Avant, il me semble que dès le départ la jeune femme était éduquée pour devenir « une bonne épouse » au service de sa famille et de son mari. La sexualité semblait être un devoir conjugal. Je ne suis pas spécialiste de la sexualité, mais il me semble que la conception de la sexualité évolue aussi avec la mentalité et l’évolution d’ensemble de la société actuelle. En bref, le fait de ne pas développer ces points enlève du contexte et augmente le risque de réduire la sexualité rwandaise à une question technique.
A propos de l’animatrice radio que l’on suit par monts et par vaux tout le long du film, que pensez-vous d’elle ?
Je pense qu’elle interpelle car elle casse les codes. Elle met de l’intimité dans l’espace public. Peut-être que cela fascine. En tout cas, cela ne laisse pas indifférent. On constate dans le film que certaines personnes sont gênées de devoir répondre à ses questions. Cela montre à quel point la sexualité reste une histoire de l’intimité. On constate également l’évolution des mentalités et la tentative de trouver ses repères entre tradition et modernité. En bref, la tentative de trouver un nouvel équilibre entre les influences extérieures et le fait de préserver ses repères et son identité culturelle.
« L’eau sacrée montre un pays enthousiaste qui se retrouve et discute de manière libérée et passionnée des choses de l’amour », écrit « Le Soir ». Êtes-vous d’accord avec ce constat ?
C’est une bonne question. J’ai vécu au Rwanda jusqu’en 2002. C’est difficile pour moi de répondre à cette question car je ne vis pas là-bas. Mais j’y ai une partie de ma famille et des amis, donc je reste quand même en contact avec mon pays. C’est un pays qui évolue beaucoup et cela à plusieurs niveaux, en tout cas ce sont les échos que j’ai de ceux qui y vivent ou qui visitent le pays. Je compte m’y rendre prochainement et je me réjouis de redécouvrir ce pays merveilleux par sa richesse et aussi sa complexité par son histoire.