Pour beaucoup d’Européens, les seules images et informations venant de l’Afrique proviennent des ONG

Mise en ligne: 13 juillet 2016

Un essai de communication humanitaire alternative en matière de production d’images, par Camille Bettonville, Jeanne Eloi et Fabiola Legrain Sanabria

Avez-vous déjà remarqué que certaines ONG utilisent des images choquantes et stéréotypées de l’Afrique subsaharienne dans leurs affiches ? Pourquoi le font-elles ? Quel rôle ont les ONG dans la perception que nous avons des populations africaines ? Autant de questions que se posent trois étudiantes de l’Ihecs, Camille Bettonville, Jeanne Eloi et Fabiola Legrain Sanabria dans leur travail de fin d’études. Leur projet, « l’Autre c’est toi » a pour objectif de proposer des techniques de communication alternatives et une vidéo pédagogique pour sensibiliser aux stéréotypes véhiculés dans la communication des ONG. Dans ce but, elles travaillent en collaboration avec des partenaires sénégalais du Cncd.

Aujourd’hui encore, certaines images de l’Afrique subsaharienne issues de l’ère coloniale persistent, dont celle d’un continent impuissant face aux désastres permanents et de populations victimes et passives face à leur malheureux destin. On retrouve encore dans les médias le stéréotype de « l’Africain » enfermé dans des traditions ancestrales, coupé de la modernité. Ces images misérabilistes sont également utilisées par les humanitaires, perpétuant ainsi les stéréotypes sur l’Afrique et forgeant une représentation incomplète de ce continent. En effet, dans leurs campagnes de récolte de fonds, les ONG ont tendance à utiliser des images simplifiées et détournées de la réalité pour marquer les esprits de manière rapide et efficace, leur objectif étant de pousser la population au don.

Mais ces techniques ne sont pas si inconséquentes qu’elles n’y paraissent. D’une part, cela nuit au respect et à la dignité des populations - dont il est sujet dans les campagnes de récolte de fond - et contribue aussi aux discriminations que peuvent subir leurs diasporas en Europe. D’autre part, cela peut globalement avoir un impact négatif sur la perception que l’on a de l’autre. En effet, les ONG jouent un rôle important dans la construction des perceptions car elles se positionnent en tant que messagers ou portails entre les hémisphères et entre les populations. Pour beaucoup d’Européens, les seules images et informations venant de l’Afrique subsaharienne proviennent des ONG. Il y a un manque de connaissance et d’accessibilité à la diversité culturelle de cette région et les sociétés occidentales sont donc plus susceptibles de considérer les stéréotypes véhiculés par les humanitaires comme réalité. Les ONG ont dès lors une responsabilité importante à jouer dans la perception que les donateurs belges ont des populations africaines. Enfin, l’utilisation d’images stéréotypées et misérabilistes renforce l’idée d’une aide humanitaire paternaliste, d’une aide à sens unique. « L’autre c’est toi » vise également à remettre en cause cette vision et veut promouvoir un partenariat entre les acteurs du Nord et du Sud dans lequel ceux-ci échangent des techniques et des savoirs et partagent des expériences sur un même pied d’égalité.

Tentatives de réponses

Le débat n’est pas nouveau et beaucoup d’initiatives très variées ont déjà vu le jour pour essayer de contenir les dérives. Nous pouvons citer à titre d’exemple le Code de conduite des images et des messages réalisé par Concord. À travers sept règles de conduite comme « Éviter les images qui tendent à stéréotyper, discriminer ou sensationnaliser les endroits ou les gens représentés » ou « Faites en sorte que ceux qui sont concernés par la situation puissent raconter leur histoire eux-mêmes », le code guide concrètement les ONG dans la réalisation de leurs campagnes de communication. Cette charte déontologique essaye de maintenir les valeurs de respect, d’égalité et de dignité présentes tout au long de la conception et de la réalisation de la campagne. Malheureusement, l’instauration de règles éthiques dans les ONG n’est pas aussi efficace qu’espéré puisqu’il est très difficile de définir leurs limites. Bien souvent les erreurs sont commises sans que l’auteur ne s’en rende compte et malgré toute la bonne volonté dont il pourrait faire preuve. En effet, les représentations sont indissociables des perceptions, elles-mêmes étant indissociables des positions que prennent les acteurs dans l’action humanitaire.

Dans un tout autre ton, le Saih défend aussi une communication plus éthique. L’association utilise le registre de la satire pour dénoncer les stéréotypes et montrer leur inadéquation. Les vidéos réalisées mettent en scène l’action humanitaire dans un processus d’inversion où les Européens (ici les Norvégiens) se retrouvent à appeler au secours auprès des populations africaines. Malgré le succès de l’initiative, les critiques ont dénoncé qu’encore une fois les populations africaines jouent un rôle imaginé par et pour les Européens. Une fois de plus les Européens parlent pour les populations africaines.

Une autre initiative est celle de l’association des étudiants africains du collège de Ithaca à New York, lancée en 2014 sur les réseaux sociaux : « The Real Africa : Fight the sterotype ». Cette campagne qui a aussi eu énormément de succès a pour but de déconstruire les stéréotypes souvent propagés sur l’Afrique. Dans la campagne, les membres de l’association se mettent en scène devant l’appareil photo, portant fièrement les couleurs des drapeaux africains. Chaque photo est accompagnée d’une phrase type : « L’Afrique n’est pas un pays », « L’Afrique n’a pas besoin d’être sauvée » ou encore « L’Afrique n’est pas désespérée. ». Cependant, remplacer les stéréotypes par une image simplifiée, bonne ou mauvaise, n’est pas une alternative suffisante. Une représentation plus complexe est nécessaire.

Pourquoi « L’autre c’est toi » est différent

« L’autre c’est toi » veut envisager la communication humanitaire autrement en proposant une alternative évidente mais innovante. De plus en plus, l’émancipation et les partenariats d’égal à égal sont mis en avant. Pourtant, la communication des situations et des besoins des pays africains reste trop souvent l’affaire des Occidentaux. L’initiative entend donc mettre en avant la capacité des Africains (dans le cadre de ce projet, les Sénégalais) à traiter eux-mêmes de leur image. Redonner la parole aux principaux concernés par la communication humanitaire pour éviter un discours biaisé, hérité du colonialisme : c’est l’expérience proposée par ce projet.

Pour cela, « L’autre c’est toi » se décline en deux réalisations complémentaires. Premièrement, la déconstruction d’une affiche de campagne réalisée par une ONG belge qui servira de canevas pour la création de nouvelles affiches. Le point de vue d’intervenants sénégalais aux profils variés sera scrupuleusement pris en compte tout au long du processus de réalisation. Deuxièmement, la conception d’une vidéo pédagogique qui illustre la démarche du projet et la contextualise.

La force de ce projet, c’est sans doute l’indépendance de son équipe et la volonté de ne pas enfermer les populations dans un rôle prédéfini. Le fait que la population sénégalaise contrôle l’image véhiculée garantit une communication transparente. De plus, la démarche ne se veut pas dénonciatrice mais constructive. Tout en gardant à l’esprit les contraintes de temps et d’efficacité, le projet entend amener les professionnels des ONG à une réflexion sur leurs méthodes de communication et les donateurs belges à une remise en question des images qu’ils reçoivent. « L’autre c’est toi » veut partir du principe que la pitié n’est pas nécessaire à la création d’un sentiment d’empathie et à l’acte de donation. Mais pour ce faire, une démarche de collaboration avec les ONG est primordiale.

Même s’il ne prétend pas solutionner le problème éthique de la communication humanitaire, « L’autre c’est toi » veut questionner les différents acteurs sur l’importance de représenter les autres dignement. Cette piste de réflexion tend à participer à l’élaboration d’un dialogue interculturel, basé sur des rapports plus égalitaires et directs entre les bénéficiaires, les professionnels et les donateurs. Le succès de cette expérience ne se situe pas uniquement dans le résultat attendu mais aussi dans sa démarche, qui pourra être appliquée dans bien des domaines.