L’expérience des clubs Dimitra et des radios communautaires dans la mobilisation sociale en Afrique subsaharienne, par Seydou Sarr
En Afrique subsaharienne, la radio et les centres d’alphabétisation constituent la principale source d’information dans les zones rurales. Mieux informées grâce aux clubs d’écoute communautaire, les populations participent davantage aux prises de décision et prennent en main le développement de leurs localités.
« Avant, les villageois venaient me voir pour demander des semences, des houx et tout ce qui leur était nécessaire pour travailler dans leurs champs. Aujourd’hui, quand ils me rendent visite, c’est pour m’inviter à venir constater leurs réalisations », se réjouit un directeur provincial de l’Agriculture en RD Congo, dans des propos rapportées par Eliane Najros, consultant sénior à la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.
Ce témoignage salue les performances réalisées par des communautés rurales en RD Congo depuis la mise en place, il y a une dizaine d’années, des clubs Dimitra, du nom de FAO-Dimitra, un projet dont un des objectifs est la promotion, l’information et la communication sur le genre en milieu rural en Afrique. En RD Congo mais aussi au Niger et depuis peu au Sénégal, au Burundi et en Mauritanie, on dénombre près de 1500 clubs d’écoute Dimitra, espace de dialogue et de concertation qui permet aux communautés villageoises de débattre des priorités locales et de participer activement au développement.
Pour des populations vivant dans l’isolement, en raison du manque d’infrastructures (eau, électricité, moyens de transport, routes inexistantes ou impraticables pendant la saison des pluies), la radio est le média indispensable pour savoir ce qui se passe ailleurs. Mais au-delà de sa mission d’information, la radio, quand elle est dite communautaire, devient un canal de formation, de communication et de sensibilisation sur les questions de développement rural. En RD Congo et au Niger, les radios communautaires accompagnent les actions des clubs Dimitra, en assurant la couverture des activités et la diffusion des résultats.
La démarche peut varier selon les pays et les contextes, mais le processus commence toujours par l’identification d’un sujet ou d’une thématique à aborder, en fonction des priorités locales. Les sujets sont choisis, discutés et approfondis au sein des clubs, puis soumis aux radios partenaires qui préparent, réalisent et diffusent les émissions ainsi que les débats qui en découlent.
L’écoute peut être individuelle, collective, en direct ou en différé et les débats publics et ouverts aux autorités locales, administratives ou coutumières, et toutes les parties prenantes. L’appui de personnes ressources sur des questions de santé, nutritionnelles ou agricoles est parfois sollicité. « Les débats menés lors des réunions de concertation ainsi que les réalisations concrètes de l’action des clubs Dimitra sont portés à la connaissance du grand public par le biais des radios communautaires locales avec lesquelles ces clubs d’écoute communautaire ont noué des liens de partenariat » explique Adeline Nsimire, Coordinatrice de Samwaki, une ONG basée au Sud Kivu, en RD Congo.
Une démarche identique au Niger, comme le précise Ali Abdoulaye, consultant FAO-Dimitra pour l’Afrique de l’Ouest francophone, qui précise que « lorsque les résultats d’une activité sont jugés satisfaisants pour un partage avec d’autres villages, les clubs sollicitent la radio communautaire qui vient enregistrer l’émission. Le jour de la diffusion et à l’heure annoncée, l’ensemble des clubs de la dizaine de villages au tour de la radio communautaire écoutent l’émission et réagissent via le téléphone portable prépayé ».
Le développement des technologies de l’information et de la communication, avec l’usage répandu du téléphone cellulaire, offre en effet la possibilité pour les membres des clubs d’écoute et les villageois en général, de réagir lors de la diffusion des programmes. L’intérêt de la radiodiffusion interactive est qu’elle prolonge et enrichit le débat. L’écoute attentive et la répétition sont un aspect non négligeable pour asseoir et consolider des connaissances acquises. « Surtout pour des personnes qui ne savent ni lire, ni écrire, et qui ne peuvent donc pas prendre de notes », précise fort justement Eliane Najros.
La radio communautaire est au service des populations rurales et constitue un relais important pour la diffusion à large échelle des discussions et des décisions arrêtées au sein des clubs Dimitra. Ce que reconnaît du reste le projet FAO-Dimitra qui indique dans une de ses brochures d’information que « la radio communautaire est utilisée en tant que média d’information et relais pour la communication et favorise l’instauration de flux d’information et de communication qui placent les personnes au centre des interactions ».
Au Niger, les clubs Dimitra ont négocié une plage hebdomadaire de deux heures, ce qui oblige les animateurs à donner la parole aux auditeurs « qui n’hésitent d’ailleurs pas à intervenir en direct par téléphone et formuler des recommandations, même sur d’autres rubriques ou d’autres programmes de la station », précise Ali Abdoulaye. Qui ajoute que le partenariat entre radios communautaires et clubs Dimitra inclue également l’intervention « d’experts et de personnes ressources, en amont au sein des clubs, pour permettre aux membres d’aller au-delà de leurs connaissances empiriques et d’acquérir des savoirs plus élaborés, qui permettront de s’assurer de la pertinence des décisions prises et des solutions proposées ». Ces experts interviennent également en aval, lors des débats radiodiffusés, pour expliquer les résultats et fournir des compléments d’informations ou des précisions.
La mise en ondes des résultats favorise le partage des expériences entre les villages d’une même communauté rurale et encourage aussi des synergies et collaborations avec d’autres organisations, parfois situées à des milliers de kilomètres. Aster Bashige, coordinateur des clubs Dimitra en RD Congo, cite l’exemple d’une information diffusée par Radio Okapi au Bandundu, portant sur une action réalisée par Samwaki, au Sud Kivu, distant de 2000 kms : « Des personnes ont pris contact avec moi pour se rapprocher de Samwaki et profiter de leurs conseils et expérience », confie-t-il.
Au Sud Kivu, Samwaki —voix de la femme rurale en langue locale— est à l’origine de la création de la radio communautaire Bubusa FM, pour appuyer les actions des clubs Dimitra. Radio Bubusa FM est un des premiers médias de la province à aborder, sans tabou et dans des émissions publiques, la question du sida.
De l’avis de Adeline Nsimire, directrice de la radio, d’une manière générale, les radios communautaires accompagnent les clubs Dimitra dans la mobilisation sociale, et offre une vitrine à leurs actions, tout en consolidant la cohésion sociale. Elle insiste sur l’importance de la participation des groupes marginalisés au dialogue social et au développement local.
De son point de vue, la relation entre les radios communautaires et les organisations locales est complémentaire et la confiance et le respect sont nécessaires. Dans ce partenariat où chaque partie trouve son compte, les actions et projets réalisés par Samwaki constituent une source d’informations pour les programmation des émissions de la radio Bubusa FM.
Adeline Nsimire ajoute que Samwaki et Bubusa FM ont un objectif commun qui est « de mettre en place des programmes pertinents, s’appuyant sur des expériences réussies et qui permettent aux auditeurs d’accéder à de nouvelles connaissances, à partager avec d’autres. Ce qui peut faciliter les changements de comportement ». Son parcours personnel et son expérience lui permettent d’affirmer que la proximité entre la radio et les populations constituent une des grandes lignes de la collaboration entre les clubs Dimitra et leurs partenaires médias.
Difficile de parler de la voix des femmes rurales sans souligner la prise en compte de l’approche genre dans les priorités et actions des clubs d’écoute et du projet FAO-Dimitra lui-même. Dans de nombreux domaines, les clubs d’écoute, en tant que cadre de communication et de concertation, ont conduit à des changements de mentalités et de comportements. Les réunions de clubs donnent aux femmes l’opportunité de faire entendre leurs voix et elles sont en première ligne pour montrer la voie à suivre quand il faut définir les priorités et agir.
De plus en plus présentes dans la mobilisation communautaire, les femmes assument plus de responsabilités dans les prises de décisions et la réalisation des actions. Alors qu’elles n’ont eu que très peu accès aux ressources naturelles ou financières, le cadre d’expression qu’est le club d’écoute leur ouvre aujourd’hui l’accès à des tâches et privilèges traditionnellement réservés aux hommes. Quoi de plus naturel quand on sait que les femmes sont un pilier de l’économie rurale, que ce soit dans le travail aux champs, l’approvisionnement en eau, l’éducation des enfants, la santé familiale ou de façon continue, la gestion des tâches domestiques.
Le dur labeur dans les champs n’entame en rien leur détermination et leur bonne humeur. Comme en Afrique, chants et danse rythment bien souvent les activités de la vie quotidienne, c’est sur un ton gentiment provocateur que des femmes congolaises s’adressent aux hommes, dans une séquence vidéo mise en ligne il y a peu sur le site de la FAO : « si vous avez peur d’être devant, laissez-nous passer, on va vous montrer comment développer votre milieu », entonnent-elles en chœur.