La toile n’échappe pas aux logiques à l’oeuvre dans les médias traditionnels, par Olivier de Halleux
Avec l’apparition d’internet, jamais l’information n’a été aussi riche et facilement accessible. La quantité semble primer sur la qualité si bien qu’une information manquant de nuances peut parfois se répéter inlassablement. Prenons l’événement récent des grèves qui ont touché la Belgique et pour lesquelles les médias en général se sont plus penchés sur les conséquences que les causes. Alors que le web devrait permettre une plus grande diversité de l’information, pourquoi certains médias semblent se cantonner à un discours uniforme ? Et pourquoi est-il le plus visible alors qu’il existe des canaux alternatifs sur le net ? Quels sont les mécanismes sous-jacents de l’information sur internet et dans les médias en général ? Comment disposer d’une information juste et fondée ?
« S’informer, décrypter, participer », est un guide publié par Ritimo, réseau français d’information et documentation pour la solidarité internationale et le développement, qui tente de réponde à ces questions. Centré sur le contexte français, son analogie avec l’environnement médiatique belge n’en est pas moins apparente. En trois temps, les auteurs proposent de balayer le paysage de l’information et également, modestement, celui de la communication (Les références sont donc issues de l’ouvrage ).
Dans le premier chapitre, les auteurs décryptent les médias ainsi que la conception de l’information et sa place dans la démocratie. L’ouvrage se centre ensuite sur le rôle de la révolution numérique et de son impact sur l’usage des médias et il comporte des éléments clés de compréhension de l’ère du web 2.0. Notamment sur la pratique à adopter si l’on souhaite avoir un regard critique face à nos médias. Regard qui par ailleurs ne doit pas tomber dans le conspirationnisme que l’ouvrage détaille subtilement en basculant de l’approche de « l’utilisateur-clairvoyant » à celui de « l’utilisateur-paranoïaque ». Enfin, le dernier chapitre creuse encore un peu plus le rôle du citoyen dans les médias et propose de le considérer comme un observateur réfléchi mais aussi comme un acteur-créateur de l’information. Cette double posture est introduite par l’apport indispensable de l’éducation aux médias et à l’information qui vise à donner les outils de discernement adéquats pour affûter l’esprit critique de chacun.
L’objectif est ainsi de proposer des pistes et des conseils pratiques à tout un chacun pour comprendre les enjeux actuels autour de l’information. C’est-à-dire appréhender les médias avec recul et ce afin de construire une autre formation à leur utilisation, plus proche de l’intérêt de la collectivité.
La liberté d’expression a suscité énormément de débats depuis les attentats de Charlie Hebdo à Paris en janvier 2015, si bien que la frontière entre le devoir et le droit à la parole semblait, pour certains, discutable. Cette distinction, entre la liberté d’expression et la liberté d’information, sont des principes de réalisation de la démocratie. La première se définit comme la liberté « de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». La liberté d’information, découlant de la première, est plus précise et concerne les médias. « Toute personne est libre de créer un média, sans avoir à demander d’autorisation préalable à l’administration ou au gouvernement » et ce avec le droit à « la liberté de contenu, à quelques exceptions près destinées à protéger les publics contre d’éventuels excès de la liberté des médias, comme la diffamation et l’injure, pouvant faire l’objet de dépôts de plaintes et de sanctions par les tribunaux ».
Aujourd’hui, ces principes fondamentaux sont mis à mal à différents degrés. Dans des pays en guerre, comme la Syrie, la liberté d’information est inexistante et les journalistes sont soumis à de fortes répressions. Pire encore, quand ce n’est pas la liberté d’informer qui est bafouée, c’est la liberté d’expression qui est muselée, souvent dans les régimes dictatoriaux, comme en Érythrée. Alors que Reporters sans frontières annonçait en 2014 que la liberté de la presse était globalement en recul dans le monde, on constate que la situation dans les pays où cette liberté devrait être effective ne l’est pas toujours. De plus, les procès de journalistes lanceurs d’alertes sur les scandales financiers ou sanitaires sont des exemples de mise en porte-à-faux de la liberté de la presse.
Par ailleurs, pourquoi un journaliste devrait se taire sur un sujet, central pour la collectivité, et pas sur un autre ? Cet écart laisse à penser que le système médiatique dévie de son rôle premier, à savoir favoriser la réflexion et la capacité d’agir, au profit du principe financier. Il faut vendre autant qu’informer. Certains sujets d’information sont par conséquent plus attirants que d’autres et permettent d’augmenter les profits. Plus intriguant encore, l’information peut se voir annihiler par la publicité. Celle-ci représente en moyenne 50% à 60% du chiffre d’affaires de la presse. Parfois très insidieusement, la publicité s’invite dans des articles de style « publi-reportage » ou dans des suppléments attachés au journal principal.
L’intrusion profonde de la publicité dans les médias est d’autant plus frappante lorsqu’on observe des partenariats entre un média et une marque appartenant à une même personne. C’est le cas du français Bernard Arnault, patron du groupe de luxe LVMH, qui détient plusieurs médias qui regroupe Radio Classique, Les Echos et Le Parisien/Aujourd’hui. Les chaînes et radios publiques n’échappent pas à ce système. 20 % du budget des télévisions publiques est issu de la publicité et les connivences entre les élites politiques et les journalistes sont monnaie courante au sein des services publiques d’information.
On peut alors se demander comment un journaliste peut critiquer un système médiatique dont il est profondément tributaire. Cette question invite à penser le devoir du journaliste ainsi que les règles déontologiques et éthiques de la profession. Pourtant il existe de nombreux textes et codes qui la structurent comme la Charte de Munich de 1971 ou le nouveau code belge de déontologie pour les journalistes datant de 2013. Malgré leur existence, les abus persistent mais ce sont plus les conditions de travail qui sont pointées du doigt. Dans ce système médiatique de plus en plus compétitif et concurrentiel, le journaliste se doit de produire de l’information dans l’immédiat quitte à bannir une analyse pertinente de ses sujets. Ce qui compte, c’est une mise en scène cinématographique. Au nom de la concurrence, tous les médias vont proposer le même type d’information avec le même angle. Cette uniformité a comme conséquence que le citoyen ne peut plus se faire une opinion claire des enjeux vaguement présentés. Des sujets d’actualité, comme ceux du Sud, sont également écartés par cette uniformité. Cette critique des médias n’est pas sans rappeler l’importance du droit à l’information dans la démocratie. Censés servir celle-ci, les médias de masses semblent actuellement plutôt la mettre en danger. A l’heure du numérique, l’internet serait-il l’alternative aux médias traditionnels ?
La révolution numérique
Cela n’est pas si sûr... Même si les nouvelles technologies ont permis de grandes avancées politiques et démocratiques dans certaines parties du monde (à titre d’exemple, l’application « Harrassmap » en Égypte qui permet aux femmes de déclarer sur le web un harcèlement en rue), la toile ne semble pas échapper aux mêmes logiques qu’observées dans les médias traditionnels. Concentration des médias et de l’information toujours plus accrue malgré les lois nationales qui la régularisent, uniformité de l’information malgré la pluralité des médias et ce toujours pour améliorer les ventes et attirer encore plus les publicitaires. Ceci étant dit, internet offre des possibilités d’expression et d’information novatrices et modifie le travail du journaliste. Réservé traditionnellement aux professionnels, le métier s’ouvre à tous et les habitudes de travail du journaliste sont bousculées. C’est bien simple, alors qu’un journaliste pouvait avoir traditionnellement une activité principale, comme par exemple être correspondant à l’étranger, il doit maintenant réaliser l’entièreté des tâches (s’informer, écrire, vérifier, éditer, produire) car internet accélère la communication et permet à des citoyens lambda d’également produire leur propre information.
Des nouveaux acteurs de l’information font donc leur apparition, producteurs ou relayeurs d’informations, ce qui demande de doubler de vigilance lorsqu’on surfe sur le web. Pour ce faire, comment trouver une information fiable et de qualité sur internet ? Il faut identifier l’auteur de l’information et ses possibles intérêts tout en replaçant ces données dans leur contexte. Qu’elles en sont les sources, s’agit-il des opinions ou de faits ? Il convient aussi de croiser l’info avec d’autres sites.
Cette exposition à internet oblige à rester vigilant et ce parce que l’utilisateur est face à lui-même lorsqu’il l’explore. Simulacre d’une totale liberté, le web permet à ses usagers de se diriger vers ses propres intérêts et goûts tout en balisant de plus en plus ses futures recherches sur la toile vers ces mêmes dispositions. Cette offre, même si elle paraît gratuite, a un prix et c’est l’usager lui-même qui « paye de sa personne » en donnant ses données personnelles. Sur internet, l’individu devient le produit à échanger et vendre. Ses fichiers peuvent être tracés, ses connexions géolocalisées, la publicité ciblée vers ses intérêts qu’il a lui-même divulgués auparavant consciemment ou non. Ces données intéressent aussi les États qui peuvent, via les nouvelles technologies, surveiller plus efficacement les agissements de certaines personnes suspectes. En France, les données de connexion internet peuvent être conservées durant cinq années à des fins judiciaires. Cette surveillance et ce suivi virtuels posent question et peuvent nuire au métier de journalisme et plus largement à la démocratie.
A contrario, il ne faut cependant pas tomber dans la paranoïa et les travers d’internet. Les conspirationnistes du web se nourrissent allègrement, parmi d’autres, de l’idée de surveillance totale pour monter leurs théories complotistes. Même si elles peuvent parfois s’avérer vraies, la grande majorité d’entre elles sont fausses et complètement farfelues. Elles ont pour but d’expliquer tous les rouages de notre monde en prétendant simplement l’inverse d’une vérité officielle sans apport de preuves ou sur base d’arguments non-fondés. Les conspirationnistes désirent semer le doute en prônant que l’Etat, les sociétés, le monde (!) nous mentent, tout en se revendiquant anti-impérialistes ou anti-système. Bien souvent, les personnes qui se cachent derrière ses adjectifs ont d’autres desseins liés à des pensées raciales, nationalistes ou identitaires.
Moins polémique, le confusionnisme est également présent sur internet. Il se définit comme une « attitude qui crée la confusion dans les esprits en prônant que les extrémités de l’échiquier politique se rejoignent, dès lors qu’elles partagent certaines positions et critiques du système ». Des courants d’extrême droite s’approprient par exemple des thèmes, comme la critique du libéralisme ou la souveraineté alimentaire, qui sont historiquement plus liés à la gauche, pour les conjuguer avec leur lutte contre l’immigration. Insinuer l’ambiguïté est une stratégie mûrement réfléchie, ou également liée à l’ignorance dans certain cas, qu’internet permet de diffuser très largement et facilement.
Ces excès du web sont des dangers pour la société. Premièrement parce qu’ils sont accessibles par tous et qu’il n’est pas évident pour chacun d’avoir les connaissances nécessaires pour contrer les propos communiqués. Deuxièmement, parce qu’ils échappent parfois aux contrôles de l’Etat mais, plus gravement, au contrôle de la société.
Sans repères ni bonne habitude d’analyse l’usager peut vite être manipulé et trompé par des informations mensongères dans une offre médiatique toujours plus conséquente. Souffrant d’un manque d’intérêt, l’éducation aux médias et à l’information vise justement à « encourager les citoyens à être actifs dans leur rapport aux médias et à les accompagner dans le développement de leur esprit critique face à l’information ». L’État français l’a bien compris, et ce depuis les attentats terroristes de 2015 en replaçant la question de l’éducation aux médias au centre de l’éducation nationale. Il est conscient que les atteintes à la liberté de chacun sont à contrer par un renforcement des connaissances des médias et du système d’information ainsi que du sens critique. Au-delà l’approche méthodologique et pédagogique de l’éducation aux médias, il serait également judicieux d’accentuer son approche politique afin de permettre à chacun de comprendre les liens étroits entre l’information et la démocratie.
Lorsque le citoyen a les outils pour comprendre son environnement médiatique, il peut alors envisager d’y participer notamment via les médias alternatifs. Issus du travail de journalistes, de passionnés ou donc de citoyens, ces médias proposent une information à la marge de celle émise par les médias habituels. Ils incarnent une autre vision du monde basée sur des valeurs de solidarité, d’équité et de justice sociale. Il en existe une multitude avec des terminologies différentes et sous des formes diverses de la radiophonie au monde du web. Les médias alternatifs ont cependant en commun certaines caractéristiques comme l’indépendance de tout intérêt privé ou institutionnel, une volonté de structure interne démocratique, une médiatisation citoyenne et la plus large possible. Qualifiés comme étant « hors du système », les médias alternatifs proposent des sujets délaissés par la presse traditionnelle ou complètent l’information diffusée par cette dernière.
Pour que ces médias libres, tout comme les autres, puissent continuer d’exister, la neutralité d’internet doit être garantie. Celle-ci est cependant mise à mal par des conventions et projets de lois qui visent, par exemple, à favoriser certains contenus au profit d’intérêts commerciaux ou politiques. Les enjeux pour les médias alternatifs sont par conséquent importants. Premièrement en ce qui concerne leur financement et plus largement le système économique du net. Si des procès leur sont intentés, ils doivent pouvoir y répondre. Le rôle de l’Etat est également central dans le financement de ces médias. Deuxièmement, les médias alternatifs ont le devoir de produire une information sérieuse pour pouvoir être lus. Enfin, ils doivent viser des formes de solidarité internationale et mutualiser leurs efforts afin d’être entendus. Ce dernier défi sera certainement le plus difficile à atteindre. Il est donc nécessaire de plébisciter ce type de média afin de pérenniser le droit à l’expression l’information juste.
Ce guide proposé par Ritimo constitue une bonne introduction à la critique de l’information. Bien structuré, le texte se lit facilement et est enrichi d’un glossaire et d’exemples de contextualisation. Les paragraphes présentant des conseils pratiques sont également fort appréciables pour se forger des habitudes de consommation et de participation médiatiques. On peut regretter peut-être un certain manque de nuances dans certaines parties du texte notamment au sein du premier chapitre à propos du contrôle et du financement des médias mais cela ne porte pas préjudice à l’objectif final de l’ouvrage qui est de donner les clés au citoyen pour s’informer, décrypter mais surtout susciter la participation.