Améliorer les périodiques d’éducation au développement

Mise en ligne: 15 septembre 2015

Un rapport d’évaluation pointait en 1994 des critères et des suggestions toujours d’actualité

Cette fois, c’est parti. Plusieurs fois annoncée, l’évaluation des publications d’ONG cofinancées par la Direction Générale de la Coopération au Développement, DGCD, débutera finalement en ce décembre 2003 pour se terminer en mars 2004. Cette évaluation ne concerne pas toute la presse associative, mais bien celle qui est active en matière d’éducation au développement et qui est cofinancée par l’administration fédérale. En octobre 2003, les ONG ont reçu un appel de la DGCD les invitant à envoyer des exemplaires de leurs publications accompagnés d’un questionnaire. Ensuite, les évaluateurs —Jean Lemaître pour les périodiques francophones et Peter Dhondt pour les néerlandophones— procéderont à des entretiens ou enverront des questionnaires plus spécifiques aux ONG concernées. Au terme de cette évaluation, il est prévu un processus de restitution et d’échange.

Dix ans auparavant, en 1994, une évaluation des périodiques et des publications d’éducation au développement fut réalisée par une équipe de l’Unité de recherches en communication de l’Université Catholique de Louvain, sous la direction de Thierry De Smedt et Jean-Pierre Meunier. Le moins que l’on puisse dire est que ce rapport d’évaluation n’est pas passé inaperçu. Avec la distance, il semble important de rediffuser les principaux apports de l’évaluation de 1994 pour les apprécier à la lumière de ce que la décennie nous a déparé. Ceci nous semble être une bonne manière de préparer cette nouvelle expérience d’évaluation des périodiques d’ONG.

En termes de présupposés en matière de communication éducative pour le développement, le rapport de Thierry De Smedt et Jean- Pierre Meunier précisait ceci :

« En optant pour une stratégie de l’éducation au développement, la législation belge souligne la nécessité de faire du public le destinataire d’une communication organisée et construite en vue de le conduire à un maximum d’autonomie dans la formation de ses connaissances et de ses attitudes en matière de développement. Cette stratégie est doublement délicate. Elle l’est à un premier titre parce que la communication éducative est toujours délicate. Comment réussir à communiquer et à influencer quelqu’un dans le but de le rendre plus autonome et plus libre par rapport à l’ensemble de messages qui le touchent ? Cette difficulté est celle que rencontre tout communicateur qui cherche à éduquer.

Mais l’éducation au développement est délicate à un second titre. Elle porte sur la compréhension d’une réalité lointaine —le tiers monde—, souvent inaccessible à l’expérience directe du public, mais puissamment médiatisée. C’est donc essentiellement une introduction à la compréhension de l’autre, du différent, de l’ailleurs. La difficulté réside dans le projet de faire connaître cet autre en le rendant accessible, intelligible et compréhensible, tout en lui conservant la possibilité d’être authentiquement ce qu’il est.

A travers l’éducation au développement, les ONG se constituent en médiateurs. Elles s’interposent entre des groupes —ceux d’ici et ceux de là-bas— pour les faire se découvrir. Comment réussir dans cette tâche sans faire écran ? C’est la question de la médiation. L’ONG s’inscrit en médiateur, entre le tiers monde et le public, de la manière suivante :


Mais la finalité éducative de l’ONG ne se limite pas à fidéliser le public envers son action ou son périodique. L’objectif éducatif de l’ONG consiste à permettre au public de se construire une connaissance, une attitude et même un projet personnel —éventuellement en collaborant au sein d’une ONG— dans une relation plus directe avec le tiers monde et le développement.

Le but ultime de l’éducation au développement est, donc, à travers une relation triangulaire AB- C, que se renforce progressivement l’axe A-C, de sorte que le public parvienne à tirer un parti original de toute expérience ou information portant sur le tiers monde et le développement ». Pour ce qui est des critères d’un dispositif éducatif qui favorisent une éducation au développement, le rapport d’évaluation de 1994 en établissait six :

« 1. La mise en perspective de l’action décrite en la faisant figurer dans un contexte global.

2. Une structure relationnelle entre émetteur, destinataire et référent conçue pour faciliter la confrontation de vues entre émetteur et destinataire et non pour produire une adhésion non réfléchie de la part de ce dernier.

3. La création d’un cadre non contraignant de compréhension de la réalité dans lequel les positions des acteurs concernés sont les plus explicites, ce qui suppose idéalement la levée des présupposés.

4. Inviter le lecteur à partager le questionnement sur la manière dont sont construits les messages qui lui sont destinés. Il s’agit de communiquer à propos de la communication éducative.

5. Assigner à l’image une fonction originale dans la construction d’une vision du développement.

6. Accorder la parole à des acteurs divers. Il s’agit en particulier des personnes originaires des pays dont il est question dans les publications, même si l’information qu’elles présentent s’intègre difficilement dans notre cadre culturel. Il s’agit en somme de déterminer si les publications ouvrent une voie de décentration dans laquelle le lecteur synthétise de manière originale des informations multiples et contradictoires. Il s’agit de lutter contre des attitudes intellectuelles et affectives de repli sur soi et d’auto-suffisance. Il y a décentration lorsqu’un individu ou un groupe devient capable, au-delà des clivages et des différences, de reprendre à son compte la position des autres, de comprendre leur point de vue, leur vécu et leur pensée.

En matière de conclusions, le rapport en établissait sept :

« 1. Le premier élément de conclusion concerne autant la conception de la coopération internationale au développement que l’éducation au développement. Elle figure donc dans notre sujet d’étude, l’éducation, mais à la marge de celui-ci. De manière générale, il apparaît que le contenu des publications tend à réduire la conception du tiers monde à celle d’un terrain d’actions. Cette vision implicite de la coopération présente régulièrement le tiers monde comme un monde à transformer dont les pays riches seraient les opérateurs privilégiés. La relation entre le citoyen belge et celui du tiers monde s’établit ainsi à sens unique et de manière inégalitaire ; la seule question qui subsiste dans la problématique du développement est comment un partenaire (ici) va changer l’autre (là-bas).

2. Le cadre général du tirage des publications destinées à cette étude classait les huit publications sélectionnées en trois catégories qui sont les suivantes : a) grand périodique d’information b) bulletin de liaison c) feuille de promotion Après analyse, cette segmentation se révèle problématique. Aucune des publications analysées ne rentre nettement dans une seule de ces catégories. La confusion est surtout importante en ce qui concerne les deux dernières catégories : bulletin de liaison et feuille de promotion. L’information de liaison est souvent mêlée à une information de type promotionnel. On n’informe pas exclusivement sur les projets ou sur la récolte de fonds. Les deux dimensions se chevauchent régulièrement. La question est désormais de savoir comment les publications devraient être alors classées. La dimension éducative pourrait constituer le critère de base de cette catégorisation : publication intégrant ou non une réelle dimension éducative, à titre nettement principal.

3. Les publications des ONG constituent un type de presse particulier et pourtant, nous constatons une fréquente référence à la presse traditionnelle. Les responsables de ces publications ne trouvant sans doute pas de modèle de référence pour une communication éducative, se tournent volontiers vers un modèle plus répandu, au risque de perdre leurs spécificités. Si les publications éducatives des ONG ne sont pas assez professionnelles, comme le disent certains, ce n’est pas selon nous parce qu’elles manqueraient de compétence et de technique journalistique ; c’est surtout, à nos yeux, faute de développer un savoir et un savoir-faire originaux en éducation au développement. Par contre, en ce qui concerne les techniques de mise en page et de réalisation matérielle des périodiques, le niveau professionnel semble correct, d’autant que la publication assistée par ordinateur et le savoir-faire des imprimeurs permettent aux périodiques d’atteindre un niveau de présentation et un agrément de lecture en général satisfaisants.

4. Les responsables des publications étudiées déclarent souvent ne pas bien connaître les caractéristiques de leurs lecteurs et constatent un vieillissement de leur public. Ils en ont bien sûr une certaine conception fondée, par exemple, sur une ancienne enquête ou sur quelque intuition, mais une méthodologie sérieuse et les moyens de la réaliser leur font défaut. Cette méconnaissance du public est un véritable obstacle à la mission éducative au développement : comment peut-on en effet favoriser une appropriation des savoirs sans connaître au préalable les personnes à qui s’adresse le message ?

5. A une exception près, il nous semble que l’éducation au développement est rarement la mission première des publications analysées. Cette mission n’est pas inscrite clairement dans les projets rédactionnels des revues. Elle se développe cependant dans d’autres activités des ONG : conférences, visites dans les écoles, dossiers pédagogiques, expositions...

6. L’auto-promotion est rarement absente des périodiques. L’ONG éduque souvent le lecteur d’avantage à ses actions qu’au développement en général. Les publications tombent alors souvent dans le travers suivant : la réalité du pays abordé est réduite à ce qui concerne l’action menée par l’ONG. Les aspects du projet deviennent aux yeux des lecteurs le « tout » du pays concerné. Cette conséquence rejoint le premier élément signalé qui concerne l’image implicite du tiers monde comme terrain d’action. La réalité est pourtant bien plus complexe et le lecteur l’ignore. Comment peut-il alors avoir une véritable connaissance d’ensemble pour comprendre le sens des actions ? La description des actions tend à ressembler à des ‘ bulletins de victoire ’ . Un positivisme affirmé et une euphorie emballant débordent de certaines revues. Le lecteur risque d’être tenté de croire que les actions peuvent résoudre les problèmes. Une telle conception euphorisante des effets de la coopération au développement devrait être remise en cause afin de faire disparaître le clivage entre des informations trop positives et des informations catastrophes qui, par ailleurs, atteignent journellement le lecteur.

7. Nous avons utilisé pour synthétiser les analyses relatives à chaque publication le triangle émetteur-référent-destinataire. Nous avons essayé de déterminer la présence de chacune de ces instances dans la revue.

« Voici, à présent, un commentaire d’ensemble sur la position respective de l’émetteur, du référent et du destinataire.

L’émetteur, l’ONG, occupe sans doute la position dominante en raison du phénomène de centrage de l’information sur ses propres activités, dont nous avons parlé dans un point de cette synthèse. Le référent, même s’il est important quantitativement (le tiers monde, le développement), se résume souvent aux projets et à ceux qui les réalisent. Le destinataire semble peu pris en compte selon des critères éducatifs. L’intérêt de lui adresser la revue paraît plus de solliciter ses dons et de le remercier pour en avoir d’autres que de susciter en lui réflexion et éducation. C’est ainsi que des différences sociologiques ou culturelles de lectorat n’apparaissent pas clairement dans les choix éditoriaux des périodiques. De même, les tentatives d’approcher le lecteur, de le découvrir, de l’inviter à dire qui il est, ce qu’il sait, ce qui le préoccupe, sont pratiquement inexistantes dans l’ensemble de l’échantillon étudié ».

Finalement, voici ce que le rapport de Thierry De Smedt et Jean-Pierre Meunier avançait quant aux suggestions « en vue d’améliorer la cohérence des dispositifs éducatifs des périodiques d’éducation au développement :

1. Renforcer les actions destinées à mieux connaître concrètement le public visé : ses intérêts, ses représentations, ses attitudes.

2. Pour les ONG qui en ont fait un objectif explicite, centrer davantage l’éducation au développement parmi l’ensemble des activités de l’organisation.

3. Mettre en commun et capitaliser les savoir- faire en matière de conception et de réalisation de périodiques d’éducation au développement. Cette suggestion implique l’intervention d’un organisme destiné à organiser et à animer périodiquement ces rencontres. De telles rencontres pourraient se dérouler autour de thèmes précis, comme, par exemple, la formulation d’objectifs éducatifs, le rôle de l’image dans l’éducation, les effets éducatifs de la mobilisation des sentiments, les techniques d’étude du feed-back socio-éducatif, l’autonomie du destinataire, les techniques de mise en récit et leurs effets éducatifs, les stéréotypes...

4. Lors de la sélection et l’engagement de collaborateurs, favoriser le choix de personnes ayant suivi une formation spécifique en conception de messages éducatifs.

5. Susciter des prises de parole, publiées dans les périodiques, émanant d’une part de personnes et de groupes issus du tiers monde et, d’autre part, des lecteurs de la publication.

6. Faire partager au lecteur les interrogations qui sont formulées par les concepteurs du périodique en ce qui concerne la manière de parler du tiers monde et du développement.

7. Apporter un soin particulier à contextualiser chaque information dans un ensemble plus large de données en vue de favoriser une compréhension globale.

8. En ce qui concerne les images du tiers monde, ne pas se limiter à leur confier un rôle illustratif ou symbolique. Aborder avec le lecteur le problème concret de la construction de ces images et les conséquences cognitives et affectives du regard porté par le photographe sur la réalité qu’il tente de représenter. Rechercher dans le tiers monde des partenaires susceptibles de produire eux-mêmes des images à partir de points de vue différents. La réflexion sur l’image n’est pas une question d’esthétique. Elle est une réflexion sur les formes les plus profondes de la pensée ».