Amnesty, efficacité prouvée !

Mise en ligne: 10 juillet 2015

98 % du public d’Amnesty International en a une opinion favorable. Seul bémol : un sur quatre de ces mêmes sondés ne sait pas exactement quels en sont les objectifs, par S. Gallup

Le « charity business » de certaines associations a déjà été analysé dans cette même publication [1]. Médecins sans frontières, par exemple, utilise des techniques de marketing très pointues. Les trois règles de sa stratégie de communication sont simples : la prospection pour attirer un nouveau public, la fidélisation, pour le garder et ensuite les legs. En France, le public visé tourne autour de cinq millions de donateurs fidèles. D’où un gros effort pour les relancer en période de saturation vu le nombre croissant d’ONG se partageant un marché de plus en plus saturé. Cette adaptation aux techniques modernes du marketing s’explique par la dépendance des associations humanitaires aux donations. Mais le cynisme des marchés financiers en matière de choix stratégiques peut devenir vite indécent s’il est appliqué à l’action humanitaire. Ainsi le périodique français Le Point dénonçait dans ses colonnes le 7 mai 2002 le choix des missions de l’ONG Action contre la faim : « Certaines rubriques sont qualifiées de vaches à lait, d’autres de poids morts ou encore de missions stars… ».

Chez Amnesty, si on reconnaît que les campagnes sont ciblées suivant certains critères, « c’est pour une question d’efficacité, précise Patrick Pauwels, responsable des campagnes et actions de l’ONG. Les thèmes généraux sont choisis par notre centrale de Londres, nous pouvons alors choisir de rehausser un sujet selon certains critères. Une campagne sur le Congo sera privilégiée en Belgique car il existe des liens très forts entre les deux pays, une histoire commune, une communauté congolaise fortement représentée et de nombreux spécialistes en Belgique. Il existe également un intérêt du public et de la presse pour ce sujet. Chaque pays se concentre donc sur ses spécialisations naturelles. Des années d’expérience ont appris à Amnesty qu’il était donc préférable de cibler certains dossiers. La campagne sur l’Indonésie a ainsi été plus efficace aux Pays-Bas, l’ancienne métropole, qu’en Belgique… « Plus les campagnes sont efficientes, plus elles atteindront leurs buts : défendre les droits de l’homme ».

Amnesty s’est également lancé dans le marketing humanitaire. L’ONG a engagé l’agence de publicité Air, qui travaille également pour Mobistar, Mercedes Benz et Spa, pour ses campagnes d’affichage et ses publicités audiovisuelles. La nouvelle campagne sera calquée sur les slogans des publicités pour les produits à lessiver. On y voit un t-shirt taché de sang sur un côté et blanc immaculé de l’autre.

« Amnesty, efficacité prouvée » scande l’affiche. « Le but n’est pas de choquer mais de faire réagir les gens. L’image est là pour symboliser une situation et tenter d’impliquer le spectateur ». Pourtant il n’y a pas encore eu, pour une question d’argent, d’évaluation concernant la réaction du public face à ces affiches. Le feed-back de ces campagnes parfois violentes visuellement ne se fait que ponctuellement : « Nous savons que certaines personnes ont été choquées par notre affiche sur le Congo montrant les deux tours du World Trade Center dans un paysage de savane africaine. Mais n’est-ce pas le message qui est le plus choquant ? « Au Congo, depuis quatre ans, c’est le 11 septembre tous les jours »… Nous recevons la plupart des réactions du public lors des campagnes bougies, un moment privilégié de rencontres et de discussions ».

Avec sa vente des célèbres bougies, Amnesty est entrée de plain-pied dans l’ère du merchandising humanitaire. Bougies mais aussi crayons, livres, t-shirts, disques de musiques traditionnelles. Même si un comité d’éthique statue sur le type et la provenance de l’objet, on peut se demander si ces ventes n’occultent pas le message premier d’Amnesty. « On évite de tomber dans ce piège en informant l’acheteur sur la portée de son geste.

En achetant une bougie, vous donnez de l’argent pour des actions concrètes : mener des investigations dans le monde entier, intervenir auprès des responsables de violations, venir en aide aux victimes, publier des rapports. Avec leur bougie, les gens reçoivent depuis peu le magazine News qui les informe de nos actions. Notre souci de communication paie : un sondage a montré que 98 % du public avait de nous une opinion favorable ». Seul bémol : un quart des mêmes sondés ne savait pas exactement quels étaient les buts d’Amnesty. Un problème d’image que les moyens de communication n’ont pas encore résolu… à moins qu’ils en soient la cause. Si ces techniques modernes ont été adoptées par Amnesty International dans un souci d’efficacité, l’ONG cherche à éviter les dérives du marketing. « Le maître mot reste en effet la transparence : les comptes, les stratégies d’actions, tout est ouvert au public ».

par S. Gallup

[1Antipodes n° 152, mars 2001 : « Amnesty, ou comment passer de huit mille à vingt mille associés », Samy Hosni.