Le franc parler d’Alpha Ibrahima Ndiaye, dirigeant associatif au Sénégal : pour réussir une association, il faut du temps, de l’argent et de l’énergie, par Marie-Agnès Leplaideur
Alpha Ibrahima Ndiaye est président de l’Association nationale pour le bien-être de la population, installée à Yembeul, à la périphérie de Pikine, une banlieue populaire de Dakar. Ancien salarié de la Société nationale d’électricité sénégalaise, cet homme, originaire de la vallée du fleuve Sénégal, qui a dépassé les 70 ans, est un homme de terrain qui aime montrer les résultats concrets de ses actions. A Yembeul, elles crèvent les yeux : les rues du quartier sont propres, les puisards nombreux, les enfants de l’école communautaire heureux... Tous saluent avec respect et affection ce vieil homme énergique qui raconte avec malice, dans un français savoureux, ses expériences de développement.
Comment vous est venue la passion du développement ?
AIN : Le développement, c’est difficile. C’est une attitude, une manière d’être. Tout le monde ne l’a pas. Souvent, on a l’impression qu’on ne veut pas faire ce développement, seulement en parler. Moi depuis que je suis jeune, je veux rassembler, je veux faire des projets de développement. Chez moi, j’ai eu l’expérience de la solidarité. En 1987, à Yembeul, il fallait aller jusqu’à la grand route pour avoir de l’eau. La Sones, Société nationale d’eau du Sénégal, nous demandait 12 millions de francs CFA pour faire le branchement et poser 1,5 km de tuyau. Nous avons récolté 1,3 million dans le quartier et en quatre jours nous avons enterré nous-mêmes le tuyau alors que la Sones disait qu’il fallait 6 mois ! On a continué, on a fait ainsi 12 km de conduite et 112 branchements. Puis le gouvernement est venu pour inaugurer. Après, ça été fini, le travail a été arrêté… Moi j’ai même reçu des menaces de mort. Les populations, elles, ont commencé à pleurer. En 1991, nous avons créé l’association. Au début, on se réunissait dans ma chambre et on prenait l’argent dans nos poches. Pour réussir une association, il faut trois choses : prendre son temps, son argent et son énergie. S’il en manque une, ça ne marche pas. Au début, les causeries sur la santé et l’hygiène, on les payait 150 francs CFA aux jeunes qui les animaient, puis 300 francs CFA, maintenant on arrive à 1500 francs CFA. Il faut savoir se serrer la ceinture… L’association, ce n’est pas pour être richard. Il faut avoir le comportement du développement, parfois c’est dur.
Quelles relations avez-vous avec les « développeurs » ?
AIN : Le développement, c’est souvent rien que des mots et beaucoup de papiers qui restent dans les armoires. Dans mon village, sur le fleuve Sénégal, près de Matam, j’ai vu arriver dix experts dans quatre Pajero flambant neuves qui valaient chacune 20 millions de francs CFA. Tout ça pour faire du papier qui va rester là… Avec l’argent des Pajero, on aurait pu équiper des centaines de paysans en motopompes. Dans les séminaires sur le sida, je dis que si au lieu de rester dans les bureaux climatisés avec une veste à l’épaule, vous preniez une charrette tirée par un cheval, vous verrez qu’il y a des gens qui n’ont jamais entendu parler du sida. Ils croient que c’est une marque de voiture ! Alors, on ne veut plus de moi car on dit partout qu’au Sénégal tout va bien pour le sida. Pourtant, nous on sait bien ce qui se passe. Mais, vous savez, on n’écoute pas les gens qui font du développement. C’est dommage mais nous, nous continuons à travailler.
Qui soutient vos activités ?
AIN : Nous ne fonctionnons qu’avec des aides extérieures, nous n’avons jamais rien eu de l’Etat sauf lorsque nous avons gagné le troisième prix du concours du chef de l’Etat pour la propreté. Wade ( le président du Sénégal ) prêche le travail avec les associations. Mais lesquelles ? Celles qui sont créées spécialement ou récupérées, comme on le voit tous les jours ? Ou celles qui existent et qui agissent sur le terrain, et que le gouvernement contourne ? Dans le quartier, seules les associations sportives et culturelles reçoivent des subventions durant les vacances. Les associations de développement jamais. Avec la municipalité, on ne s’assied pas ensemble. Pourtant c’est nous qui finançons les activités qu’elle devrait réaliser. La différence avec ces gens, c’est que nous quand nous disons que nous allons faire quelque chose, nous le faisons. Nous avions dit que nous ferions 50 puisards, nous en avons fait 61. Eux, ils font des promesses. En 1996, je me suis mis sur la liste des conseillers municipaux pour les élections, mais j’ai été effacé… Ce n’est pas grave, je continue.
Votre association travaille aussi sur les bords du fleuve Sénégal. Les émigrés participent- ils à vos activités de développement ?
AIN : Les immigrés, ils sont très individualistes. Ils investissent dans l’immobilier ou achètent des moto-pompes mais seulement pour eux. Ils ne font rien pour les villages, ils ne connaissent pas la solidarité. La seule chose qu’ils font, ce sont des caisses où chacun cotise pour rapatrier les morts. Mais les morts, ils ne servent plus à rien… Propos recueillis par Marie-Agnès Leplaideur, d’InfoSud - Syfia ( www.syfia.com )