Une « newsletter », aussi électronique soit-elle, peut se centrer sur les intérêts du public… ou non, par Andrés Patuelli
On serait tentés de penser qu’elles tiennent debout toutes seules, ces « newsletters », bombardés qu’on est par le discours ambiant qui ne fait que louer les nouvelles technologies de l’information. La lettre électronique offre des nombreux avantages aux ONG, toujours si gourmandes en information mais souvent à court d’argent pour « la communication » : avec très peu de moyens (une ou deux pages word font déjà une newsletter) et une connexion internet, il est possible pour une association de toucher très rapidement son public.
Mais ce support, comme toutes les bonnes vieilles revues et autres dépliants et brochures imprimés, ne fait pas de miracles : quand la communication ne passe pas, ce n’est pas le format qui peut tout changer. Il ne faut pas non plus se leurrer sur l’image de vitesse et de nouveauté associée à la newsletter —surtout si l’on emploie le terme anglais— : une newsletter, c’est aussi le bulletin, avec très peu de nouvelles (dans le sens journalistique du terme), qu’on envoie tous les deux ou trois mois à ses abonnés. Et si internet permet de se renseigner sur ce qui se passe aux quatre coins du monde, il n’est pas dit que l’ONG voudra en parler avec son public : la lettre électronique est souvent centrée sur les sujets et les intérêts de l’ONG elle-même. Out, enfin, la garantie d’interactivité et de meilleure connaissance du public : les internautes abonnés ne sont pas prêts à faire connaître à la rédaction leur opinion sur le bulletin qu’ils reçoivent gratuitement.
Autant de constats qui découlent de nos conversations avec les responsables de quatre newsletters d’ONG belges que nous avons rencontrés afin de connaître les motivations, les manières de travailler et les résultats de leurs aventures électroniques. Nous en avons choisi de toutes sortes : une grande ONG d’urgence — Médecins sans frontières— et une autre, de taille moyenne, s’intéressant plutôt au développement durable —Solidarité socialiste— ; une coordination d’ONG francophones et germanophones —Acodev— et un réseau international axé sur la recherche —le Forum mondial des alternatives.
Légèreté
« Légèreté », tel est le maître mot de la lettre électronique de Médecins sans frontières. Un mensuel existant depuis avril 2001, qui tient en une seule page et est envoyé à environ 14 mille abonnés, dont deux tiers de néerlandophones et un tiers de francophones. Gilles Van Moortel, responsable des activités de sensibilisation au sein du département de communication de l’ONG à Bruxelles, nous explique le concept : « Nous l’avons relookée l’été dernier. Nous voulions une newsletter légère, dans le sens pratique du terme. Une synthèse des infos du mois, sur une seule page, présentées de manière attractive et demandant au lecteur le moins d’efforts possible. Notre newsletter ne lui offre qu’une introduction, sous forme de titres ou de photos : il est libre de faire ce qu’il veut : nous contacter ou aller vers le site, via les liens, pour développer les contenus qui l’intéressent ».
De quoi cela a-t-il l’air ? La page compte plusieurs blocs, organisés en deux colonnes, avec un accent sur l’aspect visuel. On se trouve tout de suite dans la première section, « la photo du mois », accompagnée d’un petit commentaire et parfois d’un lien vers une explication de la situation illustrée dans la photo. Il y a aussi « le reportage photo », en rapport ou pas avec la photo d’ouverture. Suit la rubrique d’actualité, « Médecins sans frontières aux quatre coins du monde », reprenant les titres d’une demi-douzaine d’articles sur des événements liés à l’action de l’ONG. Au mois d’octobre 2003, par exemple, on parlait notamment du Congo, du Tchad et d’Arian Erkel, collaborateur de MSF kidnappé depuis un an ; et, en contrepoint, un rappel sur les « crises oubliées » : dans le dernier numéro, il était question du Sri Lanka. Dans les derniers blocs, on trouve le profil d’un expatrié MSF —une photo, plus le début d’une interview—, les offres d’emploi pour le siège et parfois la présentation d’une campagne : au mois dernier, sur le sida dans le monde, avec un lien vers un jeu pédagogique.
La newsletter est envoyée à tous ceux qui le demandent, à travers le site web de l’ONG, par exemple. Gilles Van Moortel ne peut pas préciser le profil des abonnés : « C’est un mélange de gens, des anciens expatriés, des gens d’autres ONG, des donateurs. On ne veut pas être trop être exigeants dans la demande de renseignements à leur propos. Je ne suis pas un spécialiste en newsletters électroniques, mais je crois savoir qu’il est très difficile de connaître le profil des abonnés. L’une des raisons, mais là je vous parle en tant qu’utilisateur, c’est que les gens n’ont aucune envie de remplir tout un questionnaire ». Pour cette même raison, ajoute-t-il, « nous n’avons que très peu de réactions ; nous ne savons pas si la publication est appréciée ou non ». Indépendamment des caractéristiques du public, les objectifs de la publication à son égard sont de le fidéliser, de l’informer et de l’éduquer : « Notre ONG est centrée sur l’action d’urgence, mais nous avons également un mandat de témoignage. Pour Médecins sans frontières il est vital d’être les porte-voix des populations qui vivent dans des contextes oubliés, qui ont besoin d’aide mais qui n’ont pas toujours la possibilité de s’exprimer. La newsletter est l’un des outils que nous utilisons pour sensibiliser le public belge par rapport à ces populations ». La publication n’est toutefois pas employée de manière systématique en vue d’une récolte de fonds : « En fonction de l’actualité, il y a parfois un item qui invite à faire un don », précise notre interlocuteur.
Notons enfin que les thématiques abordées sont toujours et exclusivement en lien direct avec les intérêts et les activités de MSF : elles concernent soit le domaine médical, soit les actions d’urgence menées par l’organisation. « Nous parlons toujours de zones où nous sommes présents, souligne Van Moortel. Notre crédibilité est notre opérabilité. L’information est toujours basée sur des témoignages de nos équipes d’expatriés ».
Du lobbying
Le public visé par la newsletter de Solidarité socialiste —Solsoc—, Le Croco, est bien plus ciblé et ses objectifs, beaucoup plus ambitieux : elle cherche à sensibiliser tous ceux qui, dans le « monde socialiste », ont un certain pouvoir de décision, à propos des rapports Nord-Sud. Et plus particulièrement, sur les sujets prioritaires pour l’ONG. Ce n’est pas par hasard si ce bimensuel, sorti en septembre dernier, est sous la responsabilité de celle qui est chargée des actions de plaidoyer de l’organisation, Pascale Bodinaux. « Jusqu’à présent, explique- t-elle, Solsoc se limitait à soutenir les initiatives de ses partenaires, sans en générer elle-même, au moins en termes de plaidoyer. Lors de l’élaboration de notre nouveau programme quinquennal 2003-2007, nous avons redéfini tout notre travail de sensibilisation, de plaidoyer et d’éducation au développement, ici en Belgique. Tout en continuant la collaboration avec nos partenaires, nous avons décidé de mieux cibler notre action. En partant de notre public : nous sommes conscients que le Parti Socialiste, comme tous les autres partis, d’ailleurs, n’est pas suffisamment sensibilisé aux enjeux Nord-Sud : Le Croco est l’un des outils de notre nouvelle stratégie visant à changer cette situation. La publication s’adresse donc essentiellement à tous les mandataires du monde socialiste, au niveau fédéral, régional ou communal. Cela va des dirigeants du milieu associatif —jeunesse, syndicats, femmes prévoyantes, culture— aux parlementaires, bien sûr. Et, dans la foulée, « aux mandataires écolos également ».
La lettre électronique de Solsoc est envoyée à un millier de personnes. Et pour l’instant il n’est possible ni d’y accéder ni de s’y abonner via le site web de l’ONG. Tout comme la newsletter de Médecins sans frontières, elle se résume à une page, mais en poussant à l’extrême la suprématie du visuel : Le Croco se présente en fait comme un patchwork de photos et de titres-liens en très grands caractères. Les contenus ne sont consultables qu’en ligne. Dans le premier numéro, de septembre 2003, on trouve notamment des articles sur le sommet de l’OMC à Cancun, sur la Colombie et sur la politique de coopération du nouveau gouvernement belge, deux liens vers des campagnes d’autres organisations —en faveur du Congo et pour stopper la construction du mur autour des territoires palestiniens— et, en bas de page, des liens pour consulter un « dictionnaire » et un « agenda d’activités Nord-Sud ».
Le choix des contenus et de la manière de les aborder obéit à deux critères. Mettre en exergue, tout d’abord, les sujets et les pays prioritaires pour l’ONG, c’est-à-dire ceux où Solsoc a des partenaires : « Les contenus dérivent des grandes thématiques définies dans notre programme quinquennal, explique Pascale Bodinaux : santé, droits sociaux, souveraineté alimentaire et renforcement de la société civile ; et, sur le plan géographique, on va insister sur les pays de nos partenaires : le Congo, la Palestine et la Colombie. Ceci explique aussi le lien vers la campagne contre le mur qui est construit actuellement par Israël : ce sont nos partenaires palestiniens qui nous ont demandé de servir de relais auprès du public belge ».
Ces sujets sont en même temps différents de ceux abordés normalement par les autres supports de Solsoc, le site web et la revue Alter égaux, destinée aux donateurs, centrés plutôt sur l’ONG elle-même. Deuxièmement, un souci de vulgarisation : « Nous voulons traiter le plus clairement possible un certain nombre de thématiques dont on parle à l’intérieur du monde des ONG en employant un jargon, s’adressant à un public déjà intéressé et averti, conclut notre interlocutrice. De là aussi l’idée de mettre un dictionnaire pour expliquer des termes comme « OMC » ou « DGCD ». Nous nous adressons par contre à un public relativement peu informé, mais qui peut à son tour sensibiliser, prendre position ou agir. Et pour ceux qui veulent aller plus loin, on a des liens vers des sites qui donnent des informations plus pointues ».
Minimaliste
La lettre électronique d’Acodev se situe aux antipodes de celles de Médecins sans frontières et de Solsoc en ce qui concerne le format. Ici, à la une, on trouve un encadré présentant l’index des contenus du numéro, et puis on vogue sur une bonne dizaine de pages avec rien que du texte, organisé en deux colonnes. Seules concessions aux « plaisirs de l’oeil » et aux potentialités de navigation offertes par le support : l’index présenté en caractères un peu plus grands que le restant du texte ; la possibilité de consulter le contenu qui vous intéresse à travers le lien interne entre le titre, en première page, et l’article respectif ; et enfin les quelques liens vers des adresses électroniques ou des sites web. Le langage utilisé et les sujets abordés ne font, eux non plus, aucune concession. La « carte » de l’édition du 6 octobre 2003 offrait notamment : « Assemblée générale du 30 septembre », « Commission technique du 26.09 », « Glossaire DGCD-ONG » et « CAONG du 2 octobre 2003 »… Non initiés s’abstenir !
« Peu importe », rétorque Solange Orrego, chargée de la communication à Acodev et, à ce titre, responsable d’éditer chaque semaine le News : « Nous pouvons nous permettre d’employer ce jargon et d’aborder des sujets apparemment opaques, car il est destiné aux seuls membres de la fédération ». Cet hebdomadaire, existant depuis 1998, est envoyé à 220 personnes appartenant aux 90 ONG membres d’Acodev. Et il est le bienvenu, ajoute notre interlocutrice : « Je sais que le News est attendu et que pas mal d’ONG le lisent assidûment. En 2000, nous avons consulté un certain nombre de membres et leur évaluation a été positive. L’année passée aussi, nous avons demandé de confirmer leur inscription, pour vérifier leur intérêt, et le taux de réponse a été très bon. Avant, on envoyait régulièrement de l’information, mais ce n’était pas structuré. Maintenant tout est dans le News ».
Le bulletin est avant tout donc un outil pour répondre au devoir d’information du secrétariat envers les membres de la fédération. « Comme secrétariat d’une fédération qui est en contact avec les pouvoirs publics, nous disposons de beaucoup d’information, poursuit Solange Orrego : le but est de la faire circuler le plus vite et le plus complètement possible à tous les affiliés. Pour eux, il est très important d’être au courant de l’évolution des négociations avec l’administration, en matière de subsides, par exemple ». L’Acodev News, on l’aura compris, parle essentiellement du travail des ONG, d’aspects réglementaires, par le biais d’articles préparés par le secrétariat. Mais les affiliés y participent également en envoyant des renseignements sur leurs activités, des publications et des offres d’emploi. On y trouve aussi, à la fin du bulletin, une vingtaine de fois par an, des nouvelles concernant des dossiers européens, préparées par la plate-forme belge de Concord, la Confédération européenne des ONG d’urgence et de développement.
Solange Orrego est très satisfaite des avantages du support : « Ferions-nous une version en papier si nous en avions les moyens ? Non, c’est beaucoup plus facile de l’élaborer ainsi et de l’envoyer par mail. Il y a seulement deux membres que cette idée tente, et trois autres à qui nous faisons un envoi par fax, car ils n’ont pas de mail ».
Paris - Buenos Aires - Bangkok
Le site du Centre Tricontinental —Cetri— nous apprend que le FMA News, le bulletin du Forum mondial des alternatives (FMA), dont il assure le secrétariat exécutif, informe sur les activités en cours, environ tous les trois mois. Le FMA se compose du Centre Tricontinental, à Louvain-la-Neuve, l’AITEC à Paris, Alternatives à Montréal, du Forum du tiers monde à Dakar, de la CLACSO à Buenos Aires et de Focus on the Global South à Bangkok.
Le dernier numéro est paru en juillet 2003 et les trois numéros précédents, disponibles en ligne, datent de juillet et avril de l’année passée et de novembre 2001. Cette discontinuité « est due au manque de précision de la politique éditoriale et à des problèmes internes à notre réseau », nous confie François Pollet, coordinateur du FMA au sein du Cetri et responsable du bulletin. « La publication d’un réseau, d’une coordination, reflète très souvent sa manière de fonctionner. Dans notre cas, je pense que la prise des décisions est trop centralisée et cela se ressent dans le News. Théoriquement, les autres membres du FMA peuvent intervenir dans la définition des contenus, mais en réalité c’est le Cetri qui doit aller chercher des textes chez eux ».
François Pollet précise en tout cas que la structure interne du FMA est en train de changer, dans la mesure où il y a plus de membres qui participent à la prise des décisions, à la sélection des projets et à leur mise en oeuvre et que le bulletin devrait pouvoir bénéficier de cette nouvelle dynamique en devenant lui aussi plus participatif. Le FMA News est envoyé actuellement par le Cetri à entre 500 et mille personnes, tant en Belgique qu’à l’étranger. Mais, comment faites-vous pour faire circuler l’information à l’intérieur du réseau ? « On envoie régulièrement des notes à tous les membres, conclut Pollet, mais c’est une information plus descriptive et moins orientée vers le grand public ».