par Xavier Godts
En prenant connaissance des publications que l’on classerait volontiers sous l’étiquette « catho », on se trouve d’emblée en présence de la réalité belge, donc de l’existence d’un pilier dit « chrétien » aux différents niveaux de la vie sociopolitique. Dans le domaine qui nous occupe [1], c’est la revue Ici et là-bas qui occupe le créneau institutionnel, puisqu’elle est en fait le bulletin de liaison de Solidarité mondiale, c’est-à-dire de l’ONG du Mouvement ouvrier chrétien. Avec une moyenne de 22 pages, le bimestriel a une tonalité résolument militante et engagée. On y trouverait difficilement des traces de références religieuses, sinon à travers des interviews de personnalités comme l’aumônier de la JOC internationale ou de la secrétaire générale africaine du Mouvement mondial des travailleurs chrétiens.
Pour les années 2003 à 2005, Solidarité mondiale orchestre une vaste campagne qui a pour objectif « la lutte pour l’accès aux médicaments essentiels », dans le cadre plus large de l’enjeu mondial d’accès à la santé pour tous. La revue se fait largement l’écho de cette campagne par des dossiers spécialisés, et précise que « jusqu’à présent, Solidarité mondiale a participé, activement, mais de façon ponctuelle, aux plates-formes (Spéculation financière, Vêtements propres, Travail des enfants…) initiées ou coordonnées par d’autres associations. Les animateurs de Solidarité mondiale ont estimé que les temps étaient venus de prendre une initiative spécifique ». En 2002, la revue avait publié un dossier « Droits au travail, droits bafoués », reproduisant des témoignages recueillis aux quatre coins du monde. Sous une couverture en couleurs, les pages intérieures sont en noir et blanc, bien illustrées de photos et dessins, sobres, peut-être un peu sévères d’aspect pour un large public.
Chaînon d’un réseau mondial qui regroupe 154 organisations d’inspiration chrétienne, Caritas secours international publie le bimestriel Caritas, qui annonce un tirage jusqu’à 45 mille exemplaires. Les seize pages en quadrichromie proposent des articles sur des sujets comme le regroupement familial des réfugiés, les réfugiés sahraouis dans le désert algérien, la situation dans les Grands Lacs ou dans l’Ituri, Afrique centrale… L’accent y est mis sur les actions menées sur place par l’organisation qui consistent à la fois dans l’aide d’urgence et le travail à plus long terme. La dernière page est occupée par une annonce appelant au soutien financier.
La tonalité est différente avec Suara, le trimestriel de Missio-Belgique. « Suara », c’est un mot indonésien qui signifie « voix ». Et nous lisons en exergue : « Suara veut être la voix des sans-voix et de tous les peuples qui crient dans le désert ». La formule adoptée est celle d’un journal de huit pages au format A3, largement illustré et bien présenté. D’emblée, la connotation chrétienne est présente, mais sans répondre à l’image d’une foi conquérante. La démarche est celle du dialogue. Dans un reportage sur le dialogue inter-religieux, nous lisons : « Le temps est venu d’insister sur ce qui unit les groupements religieux. Les différences contribuent à un enrichissement réciproque. Ce n’est pas une menace. Les religions doivent donc collaborer entre elles en vue de la sauvegarde des valeurs communes, de la défense de la paix et de la justice ». Alors, nouveau visage de la mission ? Selon Jan Dumon, directeur national : « Si nous croyons vraiment que la terre appartient à Dieu et n’est pas une propriété privée de l’Occident riche, si nous croyons en outre que l’Evangile est destiné à tous les peuples, notre mission consiste à jouer le rôle de pionniers dans l’écoute d’autres civilisations, à former une société accueillante et hospitalière et à promouvoir effectivement les échanges interculturels. Elle nous pousse à accueillir les richesses humaines d’autres pays au lieu de mettre la main sur les biens matériels de leur sol et de leur sous-sol ».
Juste Terre ! est le bimestriel commun à Entraide et fraternité et Action vivre ensemble . Entraide et fraternité est l’organisation mandatée pour organiser le Carême de partage —c’est-à-dire le soutien aux actions de développement menées dans les pays du Sud—, tandis qu’Action vivre ensemble mène la campagne d’Avent, centrée sur les associations actives sur le terrain en Belgique (habitat, santé, exclusions, réfugiés). Cette double mission permet à la publication de mettre l’accent sur les causes profondes des inégalités dans le monde, et sur une indispensable solidarité entre le Sud et nos régions soi-disant développées. Cela se traduit par une participation active dans des initiatives diverses : crédit alternatif et épargne éthique ; taxe sur les transactions financières ; annulation de la dette du tiers monde ; lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants ; parlement des femmes ; forum social mondial : « Travailler à ‘un autre monde est possible’, pour reprendre la devise des forums sociaux, est une tâche ardue et de longue haleine. C’est soutenir toutes les initiatives qui permettent aux hommes et aux femmes de vivre dans la dignité, comme celles de nos partenaires du Nord et du Sud ; c’est aussi créer des réseaux internationaux pour exercer des pressions au plus haut niveau (Nations unies, Union européenne) et tenter d’y influencer les décisions ». Avec au maximum huit pages, Juste Terre ! est une publication d’une présentation agréable, largement illustrée, aux textes courts et centrés sur les objectifs des organisations qui le publient.
Une caractéristique commune aux publications présentées ci-dessus, c’est qu’elles ne sollicitent pas d’abonnements ; leur but est de faire la promotion des organisations qui les publient, et de toucher, tout en les fidélisant, les donateurs et sympathisants, ainsi qu’un public plus large susceptible de devenir sympathisant, voire militant. Il importe par conséquent de présenter un produit agréable à regarder, à parcourir, et pour cela on fait appel aux techniques actuelles de mise en pages, avec souvent de la quadrichromie généralisée. Le discours est : engagé, militant sans être excessif, avec un constant souci pédagogique ; on explique mais on ne veut pas ennuyer. On ne cache pas son appartenance « catho », mais on n’en fait pas un étendard. Les illustrations, les titres, les encadrés, les à-plats attirent l’œil, font passer un message, donnent envie d’en savoir plus, voire de s’engager soi-même. De plus en plus, il est fait appel au professionnalisme en matière graphique et rédactionnelle : l’associatif est amené à se demander comment séduire un public extrêmement sollicité. Question de survie.
Terminons par La Lettre de Justice et Paix, le trimestriel de la Commission Justice et Paix. Sobrement présentée sur 12 ou 16 pages, la publication —à laquelle il est possible de s’abonner— publie des prises de position, des nouvelles des commissions ou d’organisations amies d’autres pays, des reportages, des interviews, des « dossiers- outils » sur des thèmes sensibles, le dernier étant relatif aux enfants-soldats. Il s’agit ici de proposer des pistes de réflexion pour l’action, des éléments d’analyse. Une autre facette donc de la presse associative, complémentaire aux publications décrites plus haut.
[1] Nous nous en tenons dans cet article à des organisations se réclamant d’une manière ou d’une autre de la solidarité internationale. Il n’est pas tenu compte de la presse des mouvements : Signes des Temps ( Pax Christi ), Démocratie ( MOC ), Axelle ( Vie féminine ), Contrastes ( Equipes populaires )…