Du bon usage des stéréotypes
en éducation interculturelle, par Jean-Claude Mullens
« Venez faire connaissance avec le peuple
d’Afrique le plus renommé.
La différence entre mythe et réalité
ne vous décevra pas ». Ces phrases ne sont pas de
Karl Hagenbeck [1], revendeur
d’animaux sauvages et promoteur
des principaux zoos européens,
qui décida dès 1874 d’exhiber
des Samoa et des Lapons
comme populations « purement
naturelles ».
Non, cette « chaleureuse invitation
» à venir « faire connaissance
avec le peuple d’Afrique
le plus renommé » vient du site
internet d’une association belge, initiatrice
d’une exposition vivante
sur les Massaïs dans le Domaine
des grottes de Han, en Wallonie.
L’originalité de cette exposition
est de présenter « de véritables
Massaïs venus expressément du
Kenya ». En effet, deux Massaïs,
installés dans la reproduction
d’un « authentique village
massaï », ont été mis (se sont
mis) à la disposition des visiteurs pour d’éventuelles questions
sur « leurs coutumes ». Cet
évènement exceptionnel en Europe
a bénéficié du soutien de
la Direction générale de la coopération
internationale du
Royaume de Belgique
L’un des objectifs de l’association initiatrice
de l’exposition est « de
diffuser une image positive de
l’Afrique, à l’opposé de celle habituellement
donnée dans les
médias ». Cet objectif est sans
doute partagé par les organisateurs
de concerts, festivals et
autres soupers exotiques, où l’on
cherche, à travers la diffusion
d’images positives et « savoureuses
» (valorisation ) des cultures
du Sud ( dévalorisées), à
promouvoir la rencontre des cultures
et la tolérance vis-à-vis de
l’altérité.
Sur base des travaux de Jacques
Bries [2], il est possible d’énoncer
de la manière suivante, la démarche
pédagogique sous-jacente
à ce type d’action d’éducation
interculturelle : afin de
lutter contre les images négatives
produites à l’égard de certains
groupes (ex. « les Africains
sont des sauvages »), des
actions d’éducation
interculturelle reprennent, produisent
et diffusent des stéréotypes
positifs (images positives
et « savoureuses » des
cultures dévalorisées). Ceux-ci
se présentent comme une réfutation
active d’un stéréotype négatif
(« les Africains sont en
réalité très sensibles et raffinés
») ou comme un investissement positif d’un trait caractérisant
le groupe dévalorisé
(Black is beautifull). Cette
manière de procéder présente
plusieurs écueils que j’illustrerai
à partir du matériel en ma
possession sur l’exposition Massaï [3].
Pour les organisateurs de l’exposition,
valoriser les Massaïs
consiste d’abord et avant tout à
mettre en exergue leur « statut »
de peuple mythique [4]. Le prospectus
de promotion est
explicite à cet égard puisqu’il
convie le visiteur : « A la découverte
d’un mythe : Fiers guerriers
de la savane, chasseurs de
lions et buveurs de sang, telle
était l’image des Massaïs pour
les explorateurs ». Le prospectus
poursuit ainsi la présentation
du mythe : « La littérature et le
cinéma foisonnent d’histoires et
de clichés [5] sur les Massaïs.
Aujourd’hui encore, malgré la
pression du monde moderne, les
Massaïs maintiennent leur indépendance
et toute la richesse de
leurs traditions ».
Arrêtons-nous un instant sur ces
deux propositions, qui illustrent
assez bien le caractère ambivalent
de cette exposition. Dans un
premier temps, les auteurs rappellent
très justement que la popularité
des Massaïs tient largement
aux clichés véhiculés par
la littérature et le cinéma (colonial). Ensuite, dans un
deuxième temps, il semble rassurer
le visiteur sur la survie
(« Aujourd’hui encore, malgré…
») de l’authentique culture
massaï, qu’ils paraissent
confondre, ou vouloir faire correspondre
avec les clichés sur la
culture massaï. En d’autres termes,
l’adéquation entre d’une
part les clichés diffusés à partir
du XIX siècle dans la littérature
et le cinéma et, d’autre part,
l’image des Massaïs véhiculée
par l’exposition, doit constituer
une preuve de la survie de
l’authentique culture massaï. Or,
l’image que nous avons des
Massaï à travers les films et les
romans est fortement emprunte
de représentations
ethnocentristes, voire racistes.
Ces représentations ne nous
donnent dès lors que très peu
d’informations sur les Massaïs
de la période coloniale, et encore
moins, bien sûr, sur les Massaïs
contemporains. Dans le prolongement
de ce qui vient d’être dit,
il me semble capital de rappeler
que toute représentation
ethnocentriste donne bien évidemment
plus d’informations
sur les auteurs de ce type de représentation
que sur les objets
de ces représentations.
Les auteurs de l’exposition ne
semblent donc pas voir la nécessité
d’un véritable travail
d’objectivation des stéréotypes
des Massaïs dans l’imaginaire
occidental. Pire, ils basent leur
travail de sensibilisation aux
réalités de cette société sur nos
stéréotypes à son égard : « La
différence entre le mythe et la
réalité ne vous décevra pas ».
Le mythe des Massaï tient donc
à une série de clichés positifs
que les organisateurs de l’événement
ont voulu mettre à l’honneur
pour, comme nous l’avons
vu plus haut, « diffuser une
image positive de l’Afrique ». Ces clichés positifs peuvent être
résumés par une série de propositions
qui visent à justifier le caractère
remarquable des Massaïs.
A partir des documents en
ma possession sur l’exposition,
j’ai donc dressé une sorte d’argumentaire
en faveur de la culture
massaïe.
Par rapport à la mise en forme
de cet argumentaire, les mots
entre guillemets proviennent des
organisateurs de l’évènement.
Les stéréotypes négatifs —
« (images négatives) habituellement
données dans les
médias »— sont la plupart du
temps implicites. Ils seront donc
formés à partir de l’inversion du
stéréotype positif. Enfin, pour
chaque proposition, les éléments
d’interprétation personnelle seront
notés entre crochets.
1. Ils ont une culture bien
adaptée à leur environnement
: « Même si cela peut paraître
désuet [investissement
positif d’un trait négatif : valorisation
de l’économie et de la
technologie « traditionnelle »],
le maintien de la culture traditionnelle
offre la sécurité à l’éleveur
de rester indépendant
culturellement et économiquement…
» [On retrouve dans
cette caractérisation de la culture
massaïe la réminiscence d’un
fonctionnalisme naïf construit
autour de l’idée selon laquelle,
toute culture serait un système
en équilibre stable. Comme l’explique
Denys Cuche [6] « la critique
adressée au fonctionnalisme
consiste à rappeler que
cette proposition (toute culture
serait un système en équilibre
stable) aboutit à une tautologie :
si tout élément dans une culture
est fonctionnel, répond à une nécessité,
alors toute culture fonctionne
bien par définition ». Par
ailleurs, on retrouve dans le discours
tenu à l’égard de la culture
massaïe, le bon vieux mythe
de l’isolat et de l’indépendance
par rapport au monde extérieur
tant affectionné par
l’« ethnologie de papa ». A cet
égard, les concepteurs de l’exposition
gagneraient beaucoup à
lire Logiques métisses [7]. Dans
cet ouvrage, Amselle propose en
effet de substituer une approche
« continuiste » à de l’ancienne
approche « discontinuiste » des
cultures. Selon cet auteur, toute
culture étant le produit d’interactions
sociales, on peut estimer
que les cultures sont de proche
en proche interdépendantes
et en continuité les unes avec les
autres [8]. Dès lors, l’affirmation
d’indépendance culturelle et
économique semble être plus
une utopie romantique qu’une
réalité sociale objective. Enfin,
comme pour casser ce mythe de
l’isolat de l’indépendance, on
voit dans le film, réalisé par les
« ethnographes » de l’exposition,
un Massaï qui porte, lors
de la réalisation d’un rituel, une
montre au poignet, l’inscrivant
de facto dans un réseau
d’échange et de relation plus
large que celui de l’unique société
traditionnelle massaïe ).
2. Ils ont de riches traditions
(stéréotype négatif implicite :
ils ont de pauvres traditions) :
« Aujourd’hui encore, malgré la
pression du monde moderne, les
Massaïs maintiennent leur indépendance
et toute la richesse de
leurs traditions ». (Cette proposition
est évidemment fallacieuse
puisque l’appréciation riche
est éminemment relative.
Par ailleurs, cette phrase laisse
penser que certaines traditions
sont plus « pauvres » que
d’autres, insinuant par là qu’il
existerait des critères objectifs
permettant d’évaluer la richesse
ou la pauvreté d’une culture.
Cette idée rentre bien entendu en
opposition avec les principes
fondamentaux de l’anthropologie
moderne, qui considèrent
que les cultures humaines sont
toutes égales et de même valeur
intellectuelle.
Enfin, à la lecture de ce passage,
je ne peux m’empêcher de penser
à ce lieu commun qui dit que
les pauvres, comme pour compenser
leur pauvreté, ont de riches
traditions. Riches traditions
que l’on a d’ailleurs vite fait de
qualifier de « folkloriques » et
de « hautes en couleur ».
3. Ils sont « soucieux de préserver
leur culture et de la
faire partager » [stéréotype
négatif implicite : ils se fichent
de leur culture et de la faire partager] : « dans un authentique [9]
village massaï, des Massaïs venus
expressément du Kenya font
découvrir leurs coutumes aux visiteurs.
Un contact direct avec
des représentants d’un peuple
soucieux de préserver sa culture
et de la faire partager ». [Selon
les organisateurs de l’exposition,
les Massaïs sont donc par
nature des conservateurs. Conservateur
: « personne qui a la
charge des collections d’un musée
». On peut aisément imaginer
que pour nos « ethnographes
» du monde massaï, les objets
de ce musée sont d’une part
les Massaïs eux-mêmes —
comme représentant vivant
d’une culture présentée comme
fossilisée—, et d’autre part les
objets de type ethnographique
qui attestent de l’authenticité des
Massaïs. Ce qui frappe également
dans le portrait de ces
Massaïs de musée, c’est leur nature
foncièrement altruiste, puisqu’ils
ont accepté de figurer
dans la reproduction d’un
authentique village massaï implanté
à des milliers de kilomètres
de chez eux, à seule fin de
partager leur culture. La dimension
économique de cette exhibition
est bien évidemment passée
sous silence, de sorte qu’il
nous semble naturel que des individus
s’expatrient avec
comme seul dessein de partager
leur culture : à quand « un
authentique village belge » chez
les Massaï ? Le caractère humiliant
(être un objet « exotique »,
sujet à l’observation de milliers
d’individus) de cette exposition
ne pèse pas bien lourd face au
souci qu’auraient les Massaïs de
partager leur culture. En définitive,
l’affirmation du souci de
« partage » des Massaïs permet
aux organisateurs de l’exposition
de transcender la nature foncièrement
inégalitaire de
l’échange].
4. Ils sont proches de la nature
et la protègent [stéréotype négatif
implicite : ils sont éloignés
de la nature et la polluent] :
« Les Massaïs contribuent à la
présence de nombreux animaux
sauvages » ou « leurs connaissances
et leur respect de l’environnement
en font de véritables
garants de ce vaste territoire
d’Afrique de l’Est, à la faune
unique et impressionnante ».
« Malgré bien des différences
culturelles, les pasteurs massaïs
sont également soucieux de promouvoir
un tourisme respectueux
de l’environnement ».
« Saviez-vous que la plupart des
parcs du Kenya et de Tanzanie
qui, chaque année, attirent plus
d’un million de touristes en
quête de safaris, se trouvent en
pays massaï ? ». [L’Afrique
dans l’imaginaire occidental est
la plupart du temps associé à une
nature luxuriante. D’ailleurs, la
girafe et l’éléphant ne tiennent-ils
pas lieu de monument emblématique
de la culture africaine ?
La connexité entre l’homme et
l’animal est si forte en Afrique,
que les organisateurs de l’événement,
ont cru bon d’installer
l’ « authentique village massaï »
à côté d’un rhinocéros empaillé
et à proximité d’une réserve
animalière. A côté de ces considérations,
il est intéressant de
noter que le stéréotype négatif
implicite pourrait facilement
être attribué aux sociétés du
Nord qui sont éloignés de la nature
à cause de la technologie —
constructions, voitures, routes—
et la polluent avec la technologie
— voitures, émission de CO2
des usines—. L’implicite de ce
discours est que l’absence de
technologie est une bonne chose
pour l’Afrique puisqu’elle lui
permet d’être plus proche de la
nature —sa nature—, et nous
permet également de sauvegarder
des grands espaces « vierges
» en souvenir de notre nature
« perdue » ; qu’il est
d’ailleurs possible de redécouvrir
grâce à l’écotourisme, un
type de tourisme principalement
axé sur la découverte de la nature].
5. Parce que les Massaïs ne
manquent pas d’intérêt ethnographique
[stéréotype
négatif implicite : les Massaïs
sont dénués d’intérêt ethnographique] : Pour preuve, l’exposition
est le résultat de trois années
de recherche sur le terrain.
De plus, « près d’un millier
d’objets composent la large collection
ethnographique présentée
dans l’exposition : calebasses
richement décorées, ustensiles ménagers, outils, armes et
fameuses parures de perles qui
ont fait la renommée des Massaïs
». [Le caractère « ethnographique
» de l’exposition apporte
une caution scientifique à cette
exposition. Elle stimule également
l’imagination. En effet, le
visiteur peut aisément se projeter
dans une fantasmatique recherche
ethnographique en pays
massaï. A la manière d’Indiana
Jones ou d’Evans-Pritchard —
le client est roi—, le visiteur
pourra, si il en a les moyens,
partir à la découverte des Massaïs.
Et, ainsi, marcher dans les
pas des grands ethnologues et
explorateurs. Dans un numéro
spécial des Nouvelles de
Survival consacré à
l’ethnotourisme, Jean-Claude
Monod insiste sur la remise à la
mode des « primitifs » et voit
dans l’ethnotourisme ainsi que
dans l’écotourisme un prétexte
pour les entreprises touristiques
à engranger encore plus de bénéfices.
« La folklorisation et la
commercialisation des cultures
peuvent effectivement apparaître
déstructurantes sur le plan
identitaire et l’ethnotourisme
s’apparenter à une manière plus
humaine ou …plus rentable
d’utiliser les populations autochtones
» [10]. Il y aurait énormément
de choses à dire ce sujet,
mais faute de temps, nous en resterons
en ce qui concerne
l’instrumentalisation de l’ethnologie
à des fins de promotion
touristique].
6. Parce qu’ils ont un mode de
vie original [stéréotype négatif
implicite : ils ont un mode de
vie ordinaire] : « La vie des
Massaïs est jalonnée de cérémonies
qui marquent les cycles des
classes d’âge. De la naissance à
la mort, l’homme et la femme
massaïs évoluent au sein d’une
communauté à forte identité qui
voue un culte à son dieu unique :
Enkaï ». [Par original, il faut
bien sûr comprendre mode de
vie différent du mien. L’originalité
des Massaïs est donc purement
relative, ceci traduit assez
bien l’ethnocentrisme de l’exposition].
7. Parce qu’ils ont une société
sans chef [stéréotype négatif
implicite : ils ont une société
hiérarchisée] : « Chez les Massaïs,
il n’y a pas de chef. Chaque
éleveur est maître chez lui,
responsable de son troupeau et
de sa famille [ étrange connexité
des mots troupeau et famille] ».
[Voilà énoncé un bon vieux lieu
commun. En effet, comme l’explique
F. Rognon [11]dans Les
primitifs, nos contemporains,
« les sociétés primitives se définissent
avant tout, par opposition
à nous, par leur inachèvement,
leurs insuffisances. Les
termes qui les qualifient —négativement—,
dans le grand public
comme chez les anthropologues,
nous conduisent à dresser
l’inventaire de leurs manques
: sans histoire, sans Etat,
sans écriture… Les sociétés primitives
sont des sociétés sans ».
La société massaï est donc —
contrairement à nous— sans
chef. Cette caractéristique rappelle
également le portrait que
faisait Montaigne [12]des « cannibales
» : « C’est une nation,
diroy je à Platon, en laquelle il
n’y a aucune espèce de trafique ;
nulle cognoissance de lettres ;
nulle science de nombres ; nul
nom de magistrat, ny superiorité
politique ». Toujours selon
Montaigne les habitants de ces
contrées lointaines sont des gens
« sans lettres, sans loy, sans roy,
sans religion quelconque ».
L’éducation interculturelle participe
ainsi à la diffusion de ce
genre de vieux lieux communs].
8. Parce que l’harmonie règne
au sein de la communauté
[stéréotype négatif implicite : le
chaos règne pas chez les Massaïs] : « Un conseil des anciens
maintient la bonne entente et règle
les différends entre les membres
d’une même section ». « Le
leibon maintient l’harmonie au
sein de la communauté, le
konono, le forgeron, maîtrise les
forces occultes et fournit les armes, l’herboriste détient les secrets
des plantes médicinales, les
sages-femmes ordonnent les initiations
des filles ». [Pour les organisateurs
de l’exposition, la
société massaïe s’apparente sans
doute aux sociétés de fourmis.
En effet, comme chez les fourmis, les Massaïs vivent dans un
monde où chacun à une fonction
bien déterminée. Cette organisation
fonctionnelle de la société
apparaît pour les organisateurs
de l’exposition, comme une garantie
d’harmonie au sein de la
communauté. On retrouve donc
ici le fantasme d’une société utopique
bien « huilée », où chacun
trouve sa place au sein de la
communauté].
En guise de conclusion, on retiendra
tout d’abord le côté caricatural
des arguments utilisés
pour valoriser la culture des
Massaïs. On notera également
l’importance des représentations
ethnocentristes des Massaïs.
Cette observation est d’autant
plus évidente si l’on classe les
stéréotypes négatifs en deux types,
et si l’on fait l’hypothèse
que les stéréotypes négatifs du
deuxième type s’adressent en
fait à notre société.
a. Les stéréotypes négatifs
issus des représentations négatives
véhiculées dans notre société
à l’égard des sociétés « traditionnelles
». Stéréotypes : 1
(ils ont une culture désuète/archaïque) et 2 (leurs traditions/
cultures sont pauvres)
b. Les stéréotypes négatifs
de notre société à l’égard d’ellemême.
Stéréotypes 3 (nous ne
sommes pas soucieux de préserver
notre culture et de la partager), 4 (nous ne sommes pas
proches de la nature et nous la
polluons), 5 (notre culture
manque d’intérêt ethnographique), 6 (nous avons un mode
de vie ordinaire ), 7(nous vivons
dans une société hiérarchisée), 8 (le chaos règne au sein
de notre communauté).
Le stéréotype 1 valorise la culture
« archaïque » (investissement
de sens positif d’un trait
culturel dévalorisé dans notre
société). Quant aux autres stéréotypes
négatifs, ils sont implicites.
Ceux-ci sont construits par
inversion du stéréotype positif.
On observera également que les
stéréotypes positifs de type a et
b visent à démontrer que le
groupe dévalorisé…
— n’est pas ce que l’on dit qu’il
est, mais le contraire (a).
— vaut mieux que nous (b).
Ce rapport à l’altérité s’apparente
aux discours sur l’exotisme
tel que l’envisage Tzvetan
Todorov [13]. En effet, selon cet
auteur, l’exotisme est moins une
valorisation de l’autre qu’une
critique de soi (b). Par ailleurs,
il est très éclairant de noter avec
Todorov que « l’exotisme est un
relativisme au même titre que le
nationalisme, mais de façon symétriquement
opposée : dans les
deux cas, ce qu’on valorise n’est
pas un contenu stable, mais un
pays et une culture définis exclusivement
par leur rapport
avec l’observateur (…). Il
s’agit donc dans les deux cas
d’un relativisme rattrapé à la
dernière minute par un jugement
de valeur (nous sommes mieux
que les autres ; les autres sont
mieux que nous), mais où les
entités comparées, nous et les
autres, restent, elles, purement
relatives » [14].
On peut donc dire que l’usage
de stéréotypes positifs présente
deux grands écueils. Ceux-ci
sont d’une part l’exotisme, et
d’autre part l’ethnocentrisme.
Ces deux obstacles ne favorisent
évidemment pas l’indispensable
travail de décentration (conscience
de son encrage social et
culturel). Ils empêchent également
la compréhension vis-à-vis de
l’altérité, puisque ils sont fondés
sur la méconnaissance. En
définitive, on peut donc dire que l’ethnocentrisme
et l’exotisme ne
participent nullement à une hypothétique
rencontre des cultures.
Cet article fut publié en Antipodes n° 155 de décembre 2001.
[1] Bancel N., Blanchard P., Lemaire
S., Le spectacle ordinaire
des zoos humains, in Manière de
voir n° 58, juillet-août 2001, pp.
40-45.
[2] Bries J., « Le jeu des ethnosociotypes
», in Lieux communs,
topoï, stéréotypes, clichés, Paris,
Ed. Kimé, 1993, pp 75-83. Pour
la définition de la notion de stéréotype
: Leiris M., Cinq études
d’ethnologie, Paris, Denoël-
Gonthier, 1969, p.79. sur les stéréotypes (« jugement
de valeur non fondé objectivement
et d’origine culturelle
»)
[3] Mes informations sur l’exposition
Massaï viennent principalement
de deux sources : le site internet de l’association à l’origine
de l’exposition, ainsi que la
brochure de promotion de l’événement.
J’ai par ailleurs eu la
chance de visiter l’exposition.
[4] Ce mythe est intimement lié à
l’épopée coloniale. Ce sont précisément
les clichés associés à
cette époque que s’emploient à
faire revivre les organisateurs de
l’exposition : « une évocation de
l’histoire du Safari vous plongera
dans les grandes chasses et
les voyages des explorateurs à la
recherche des sources du Nil et
d’autres émotions fortes ».
[5] On peut se demander quelle
valeur attribuent à ce terme les
concepteurs de l’exposition :
clichés ayant à mon sens une
connotation négative (cf. stéréotype)
[6] Cuche D., Nouveaux regards
sur la culture, in Sciences humaines
n° 77- novembre 1997, p.
23.
[7] Amselle J-L., Logiques métisses,
Anthropologie de l’identité
en Afrique et ailleurs. Paris, Ed.
Payot.
[8] Selon Amselle, « la définition
d’une culture donnée est en fait
la résultante d’un rapport de
forces interculturel : la culture
spatialement dominante détient
la faculté d’assigner aux autres
cultures leur propre place dans
le système, faisant de celle-ci des
identités soumises ou déterminées.
Il existe donc des cultures
qui ont le pouvoir de « nommer
» d’autres cultures, de circonscrire
le champ de leur propre
expression tandis que
d’autres n’ont que la capacité
d’être nommées.
[9] Pour rappel, on qualifie
d’authentique ce que l’on ne
peut contester. C’est ainsi que
sur base de critères précis,
« qu’on ne peut contester », des
labels garantissent l’authenticité
de certains produits de consommation.
Dès lors, utiliser l’adjectif
authentique pour qualifier
des individus et des cultures me
paraît pour le moins
inapproprié.
[10] Jean-Claude Monod cité par
Franck Michel, Désirs
d’ailleurs, Paris, Armand Colin,
2000, p. 199.
[11] Rognon F., Les Primitifs, nos
contemporains, Paris, Hatier,
1988, p. 11.
[12] Cité par Todorov
T., Nous et les autres. La réflexion
française sur la diversité
humaine, Paris, Seuil, 1989, pp.
356-357.
[13] Op.cit.
[14] Ibid., p. 355.