Vendre des réductions d’émissions
de carbone dans l’atmosphère,
tel est l’intéressant marché
qui s’ouvre à l’Afrique, par Marie-Agnès Leplaideur
Après le cacao, le pétrole ou le bois, le prochain marché prometteur pour l’Afrique est sans doute celui du carbone ou plus exactement des réductions d’émissions de dioxyde de carbone, CO2, le plus polluant des gaz à effet de serre (GES). C’est le résultat d’une mécanique subtile mais un peu compliquée mise au point par les pays occidentaux les plus pollueurs pour lutter contre le réchauffement climatique. Les pays africains comme les autres pays du Sud pourraient largement en profiter dans les décennies à venir. Les trente pays industrialisés, signataires du protocole de Kyoto entré en vigueur en 2005, se sont, en effet, engagés à réduire, d’ici 2012, de 5,2% par rapport à 1990, leurs émissions de GES, principaux responsables de l’élévation des températures du globe. Pour contraindre les entreprises du Nord à investir dans des technologies propres, chacune d’elles a des « droits à polluer » limités, des quotas d’émissions de CO2. En cas de dépassement, soit elle paye une amende, soit elle achète des crédits d’émission à une autre entreprise, généralement du Sud, qui, elle, investit pour réduire ses émissions.
C’est ainsi qu’a démarré en 2003, sous l’impulsion de l’Union européenne, un marché du carbone où les crédits sont calculés en tonnes d’équivalent carbone. En forte croissance - plus 30 % entre 2005 et 2006 (493 millions de tonnes), selon la Banque mondiale - il a vu la création de bourses d’échanges ainsi que de nombreux fonds carbone, en Europe surtout, qui centralisent les demandes et les offres. En mai dernier, une tonne de carbone se vendait entre 5 et 12 euros. Grâce au Mécanisme de développement propre (MDP), les pays en développement ont accès à ce marché : les entreprises des pays, essentiellement européens pour l’instant, qui financent des projets pour réduire ou stocker les GES dans les pays du Sud, reçoivent en échange des Unités de réduction certifiée des émissions, utilisables pour respecter leurs propres engagements de réduction de pollution. Jusqu’à présent, c’est la Chine qui en a le plus profité avec 61% du marché des projets MDP en 2006. Avec seulement 3% du marché dont les deux tiers pour l’Afrique du Nord et du Sud, l’Afrique est loin derrière. Peu industrialisé, avec des secteurs énergétiques faibles, le continent n’est, pour l’instant, guère intéressant pour les gros industriels. Les projets MDP nécessitent en outre de prouver et mesurer les réductions de GES liées au projet. Dans le cas d’un projet d’électrification solaire d’un village, par exemple, on doit calculer le nombre de tonnes de carbone économisées en ne brûlant pas de bois ou de pétrole lampant et démontrer que les villageois n’auraient pas électrifié leur village en l’absence du projet. C’est plus simple pour les gros projets comme le projet hydroélectrique de Bumbuna, en Sierra Leone, qui évitera le recours aux groupes électrogènes polluants et permettra de vendre 880 mille tonnes de CO2 à un fonds néerlandais. Ou pour les projets novateurs de co-génération d’énergie qui réduisent l’utilisation du pétrole tels ceux en cours au Gabon qui emploient des déchets de bois à la place du fuel ou à Maurice où la Société usinière du Sud mise, elle, sur la bagasse pour produire de l’électricité en remplacement partiel du charbon utilisé pour fabriquer du sucre et de l’éthanol.
Ces projets visent à réduire les émissions de GES. Une seconde option consiste à piéger le carbone et à le séquestrer dans les « puits de carbone » que sont les océans, les forêts et le sol qui, à lui seul, contient trois fois plus de carbone que l’atmosphère. C’est l’objectif des projets d’Utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie mieux adaptés à l’Afrique mais limités, jusqu’en 2012, aux seuls projets de reboisement. Ils ne représentent à ce jour qu’1% des projets MDP. Dans le massif des Aberdares, au Kenya, près de 2 mille ha vont être replantés d’espèces indigènes qui économiseront 375 mille tonnes de carbone d’ici 2017. Au Niger et au Mali, la plantation d’acacias gommiers permettra à la fois de piéger du carbone (84 mille tonnes de CO2 par an au Niger) et de procurer des ressources aux villageois qui vendront la gomme. Mais, pour les scientifiques, il serait plus efficace d’enrayer la déforestation qui contribue chaque année à près du quart des émissions mondiales des GES. Un hectare de forêt qui brûle, c’est 100 à 200 tonnes de carbone qui partent dans l’atmosphère. Piéger le carbone dans les terres agricoles semble la solution la plus prometteuse pour l’Afrique. Labourés et laissés à nu, les sols libèrent du carbone ; ils en séquestrent si la couche superficielle est préservée et le sol couvert, c’est-à-dire lorsqu’on sème sans retourner la terre dans une couche de paille ou de végétaux. De judicieuses rotations des cultures, des pâturages bien gérés sont les autres solutions à l’étude pour améliorer aussi la productivité des terres. En 2012, la déforestation et les modifications de l’activité agricole seront vendables. Mais d’ores et déjà, tous s’y préparent. Les chercheurs établissent des bases de références pour de tels projets qui non seulement réduiraient les émissions de carbone, mais permettraient d’adapter l’agriculture de ces pays aux changements climatiques en cours. Les pays africains pourront ainsi saisir leur chance et les petits agriculteurs, une fois n’est pas coutume, tirer profit de la mondialisation... de la pollution.