Du Sud dans les écrans du Nord

Mise en ligne: 8 septembre 2015

Images de guerre, de maladie et de misère résument bien souvent la vision des pays du Sud dans les médias audiovisuels. Pour éviter cet écueil, il faut peut-être se tourner vers des reportages produits par les télévisions du tiers monde. Ce que fait « Reflets Sud », par Samy Gallup

L’image du Sud dans les médias audiovisuels belges est, dans l’ensemble, plutôt caricaturale. Le tiers monde, à travers le prisme des médias, ne montre qu’un seul visage, composé de misère, de catastrophes, de guerres ou de maladies. Il faut dire que les informations concernant le Sud n’ont que peu d’intérêt aux yeux des différentes rédactions. La règle étant de traiter principalement l’actualité nationale, régionale, et celle des grandes puissances. De temps à autre, le Sud surgit sur les écrans lors d’une grave crise humanitaire, confortant ainsi l’idée que le tiers monde est avant tout un monde de malheurs. Il est également curieux que le seul aspect positif développé par les médias, et principalement la radio, concerne la musique. L’essor de la world music a favorisé l’émergence de dizaines d’émissions musicales donnant un aspect positif mais une nouvelle fois caricatural du tiers monde.

Rares sont les exemples d’une information pertinente pouvant dépasser ce schéma réducteur et proposant une sensibilisation des publics aux enjeux Nord-Sud. Du côté des chaînes privées, c’est le désert… Les relations Nord-Sud étant peu susceptibles d’affoler l’audimat, c’est du côté du service public, RTBF et télés régionales, qu’il faut chercher. Au sein de la télévision publique belge RTBF, mis à part des reportages pertinents lors de la campagne annuelle de récolte de fonds 11 11 11, deux émissions de qualité permettent d’avoir une meilleure compréhension des réalités des pays en voie de développement. La première, Planète en question (ex-Dunia), veut notamment montrer l’interdépendance entre les pays du Nord et du Sud.

Dans ce monde global, l’émission pointe les problèmes du tiers monde en montrant qu’ils sont souvent en relation avec les nôtres. Le magazine— diffusé tous les mardis à 22h30 sur la Une et multidiffusé sur RTBF Sat, ainsi que sur TV5— se construit autour d’un thème. Trois reportages tentent d’illustrer et de cerner une problématique : une enquête situe le problème et les enjeux, un portrait le dépeint à travers une histoire, et une séquence « Nord » est consacrée à l’interdépendance entre le Nord et le Sud. L’émission est produite par la RTBF et la Coopération belge au développement.

Reflets Sud, autre émission du service public consacrée aux relations Nord-Sud, a la particularité de montrer essentiellement des productions issues du tiers monde. « Notre but est de monter une autre réalité du Sud, loin du catastrophisme et du misérabilisme habituel. Les images montrent un Sud qui se prend en charge », explique David Bary, un des responsables de l’émission. Reflets Sud est une production du Conseil international des radios et télévisions d’expression française, CIRTEF. Depuis 1991, les locaux de cette association francophone sont au sein de la RTBF, mais le rayonnement de l’émission est bien plus large que les ondes belges. Reflets Sud, ainsi que d’autres séries, émissions (Rêves d’Afrique, Afrique plurielle ), voire des films africains sont produits par le CIRTEF. Ils sont diffusés sur tous les réseaux de TV5. « Le partenariat touche les pays francophones tels le Sénégal, le Burkina, le Togo, Madagascar ou le Vietnam. L’originalité est de proposer des réalisations du Sud. Cela permet également à ces pays de se découvrir. Reflets Sud a également une production propre ici en Belgique . Nous tournons par exemple des reportages qui collent à l’actualité : le festival Couleur Café, une conférence international sur le sida, le début du ramadan à Bruxelles, et qui peuvent compléter une série en provenance du Sud ».

Reflets Sud et plus largement les émissions du CIRTEF traitent souvent de problèmes économiques et sociaux, sans faire de la politique, ce qui n’est pas toujours évident. « Certaines émissions ont été trop critiques sur le rôle de la France en Afrique. Quand on connaît le poids de l’Hexagone sur TV5 et la francophonie (c’est le principal bailleur de fonds), on peut comprendre qu’il y ait eu quelques frictions ».

Le succès de l’émission en Belgique est toutefois à nuancer : il est clair qu’elle s’adresse à un public déjà concerné par la coopération au développement. Reflets Sud, par son fond et sa forme assez traditionnelle, n’atteint en tout cas pas les mêmes objectifs que d’autres émissions plus populaires et plus humoristiques : Les carnets du bourlingueur, ou le tiers monde vu à la Indiana Jones, a du succès mais passe à côté d’une vision réaliste du Sud. « Nous sélectionnons évidemment les meilleurs reportages, selon des critères d’actualité et de qualité. Certains ont parfois été écartés car trop penchés idéologiquement, ou trop « locaux ». Les reportages trop institutionnels, de type « tables rondes », sont écartés car pas assez pertinents. Nous lançons parfois un appel à projets dans le cadre d’une série : on se focalise sur une problématique commune aux différents pays de la francophonie, ou une série plus culturelle. Une des dernières émissions concernait par exemple l’habitat traditionnel qui est un excellent moyen de comprendre les valeurs et les modes de vie des nombreux peuples de par le monde. Quant à l’audimat, nous n’avons pas de chiffres sur notre public, mais le courrier des lecteurs nous montre des personnes intéressées par la coopération au développement. Nous avons régulièrement des demandes de renseignements sur des projets précis. La qualité technique des émissions s’est fortement améliorée depuis quelques années. Le CIRTEF organise d’ailleurs des cours de scénaristique et des formations techniques à destination du Sud : « Notamment en radio, où l’association francophone a mis sur pied certaines émissions sur la base de ce qui se fait en télévision ».

Reflets Sud est l’un des rares exemples d’une information réaliste et fiable concernant le tiers monde. Une expérience unique dans le monde audiovisuel belge qui dure depuis plus de vingt ans et qui permet d’avoir une vision réaliste du Sud. Le fait que les reportages sont produits et réalisés dans le Sud n’est sans doute pas étranger à cet état de fait.