On donne une signification technique à l’échange d’information, alors que l’essentiel de la communication est culturel et social, par Alfonso Gutiérrez Martín
Même si on a déjà beaucoup écrit sur l’importance des technologies de l’information et la communication ces dernières décennies, leur importante présence dans nos vies fait d’elles une référence obligée au moment de parler d’éducation dans la société actuelle. Une société en continuelle évolution qui, dans la deuxième moitié du XXe siècle s’est caractérisée par des avancées continues dans le développement de dispositifs et de programmes multimédias. Le nouveau millenium, ouvert en pleine ère de l’information, semble confirmer que le changement per se est devenu l’unique constante dans le monde des nouvelles technologies multimédias.
Par nouvelles technologies multimédias (NTM), nous voulons dire le résultat de la convergence dans le monde numérique des moyens de communication de masses traditionnels (presse, radio et, surtout, télévision), de l’informatique et de la télématique.
Cette convergence technologique a supposé une révolution dans le monde des technologies de l’information qui trouve son bouillon de culture en l’interconnexion des réseaux de communication : Internet ou le réseau des réseaux.
Cette omniprésence et importance des nouvelles technologies multimédias dans nos vies quotidiennes se voit renforcée par le rôle que ces technologies jouent elles-mêmes en tant que moyens de diffusion et de communication. Presse, radio, télévision, Internet, etc., font écho de l’importance des nouvelles technologies. Ils nous proposent leurs représentations de la réalité technologique qui nous entoure ; ils nous annoncent de façon incessante l’arrivée de nouveaux dispositifs pour communiquer et traiter l’information ; ils nous offrent, en définitive, une vision déterminée des nouvelles technologies multimédia et de la société de l’information. Nos expectatives, opinions et attitudes devant les nouveaux médias, en tant que personnes et en tant que membres d’une communauté éducative, seront influencées par le discours technologique dominant, et cela ne pourrait pas en être autrement.
Le discours technologique qui accompagne la progressive implantation des NTM est surdéterminé par les grands intérêts économiques et commerciaux qui caractérisent le monde de l’information et les entreprises multimédias, de manière telle que les développements technologiques viennent souvent accompagnés d’un discours sensationnaliste et confus qui s’adresse à ses utilisateurs potentiels. Un discours qui nous présente les NTM comme incarnant le « progrès », la panacée contre tous les maux et les défaillances, y compris, bien évidemment ceux qui sont en lien avec l’éducation. Les nouvelles technologies se présentent elles-mêmes comme étant inévitables, toutes puissantes et hors questionnement. Comme le dit Dominque Wolton, « depuis quinze ans, les nouvelles technologies ont bénéficié d’une énorme publicité, plus qu’aucune autre activité sociale, politique, sportive ou culturelle. Paradoxalement, presque personne n’ose les critiquer ni poser la question si, d’une part, elles méritent cette place dans l’espace public et, d’autre part, si elles représentent un progrès si indiscutable au point qu’on réclame constamment le besoin impératif de‘ se moderniser’. Pour beaucoup, le nombre d’ordinateurs connectés à Internet semble être l’indice le plus précis du degré de développement d’un pays, y compris de son degré d’intelligence… » [1]
La révolution technologique a amené séparément la télévision et le téléphone à tous les foyers des pays développés dans la deuxième moitié du XXe siècle. Même si l’ordinateur personnel est le dernier venu dans les foyers sans atteindre encore le même niveau de généralisation que le téléphone ou la télévision, l’application de la technologie informatique aux médias de traitement et diffusion de l’information a modifié substantiellement la manière dont les autres médias traitent l’information et les a tous fait converger dans le monde des réseaux, dans le cyberespace. La numérisation de l’information est sans doute la clef de voûte de l’intégration et de la convergence des médias et langages ; elle caractérise le panorama actuel des technologies de l’information et de la communication (TIC).
Le passage de millénaire est ainsi marqué par la numérisation et la convergence de médias et de services d’information en Internet. Cette convergence de langages et technologies et l’apparition du cyberespace en tant qu’environnement relationnel donnent lieu à trois importants changements qui ont des implications éducatives :
L’usage de documents multimédias dans des environnements réels et virtuels exige, de même, de nouvelles habiletés et de nouveaux apprentissages, en définitive, une nouvelle éducation multimédias, ou ce qui est appelé l’alphabétisation numérique, dans le cadre d’une alphabétisation multiple ou d’une éducation globale pour transformer notre monde en un endroit plus vivable pour tous.
Si nous n’avons jamais pu considérer l’éducation formelle comme le seul agent d’alphabétisation traditionnel ou verbal, encore moins nous ne pourrions pointer l’école comme étant l’endroit où les enfants ont le plus de contacts avec les nouveaux médias, comme étant l’endroit où se produit l’alphabétisation numérique. Les connaissances de base nécessaires à ce nouveau type d’alphabétisation sont souvent acquises en dehors de l’environnement scolaire. Ces connaissances de base sont, souvent, néanmoins, des connaissances superficielles et centrées sur la manipulation de dispositifs ; il revient aux institutions éducatives de les systématiser pour les mettre en contexte, au service d’un projet éducatif. Même si l’alphabétisation va au-delà des murs de l’école aussi bien en contenus qu’en objectifs, ce sont les institutions éducatives qui doivent rendre les individus aptes à participer à la société de l’information au travers d’une nouvelle alphabétisation multimédias ou numérique. Pour cela, la présence, dans les centres éducatifs, des nouvelles technologies multimédias en tant que ressources et objets d’étude devient incontournable. Dans ces lignes, nous allons faire référence, d’une part, à la présence évidente des médias dans l’éducation informelle des étudiants d’aujourd’hui et, d’autre part, aux besoins d’intégration de ces médias au cœur du développement des programmes d’études. Nous pouvons penser que l’omniprésence des technologies de l’information et de la communication (télévision, ordinateur, jeux vidéos, Internet, téléphone portable) va apporter aux utilisateurs un niveau de base d’alphabétisation numérique ou multimédias ; cependant, comme nous le disions, c’est uniquement à travers la systématisation de ces connaissances, démarche qui est propre à l’éducation formelle, que l’on peut atteindre les objectifs de l’alphabétisation pour la société de l’information, qui vont, bien évidemment, bien plus loin que la simple manipulation de dispositifs.
Avec la généralisation de l’alphabétisation multimédias, il s’agit de parvenir à ce que la majorité de la population mondiale, soumise à une surabondance d’informations et des dispositifs technologiques nécessaires à sa réception, soit capable de convertir cette information en connaissance, soit capable d’interpréter l’information, de la sélectionner, l’apprécier et, en somme, soit capable de produire ses propres messages et participer à un processus de transformation sociale. La concurrence communicationnelle avec plusieurs médias et langages nous serait utile à tous pour mieux connaître la société dans laquelle nous vivons et construire le monde dans lequel nous aimerions vivre.
L’alphabétisation numérique, donc, ne peut pas rester centrée sur l’usage des médias, ni être en Les connaissances numérique de base sont, souvent, superficielles et centrées sur la manipulation de dispositifs ANTIPODES n° 166 - septembre 2004 31 dehors de la société qui l’entoure et lui donne un sens. Cette société du début du millénaire présente des tendances qui, au risque d’être schématiques, peuvent être placées autour de quelques axes fondamentaux :
Le développement des nouvelles technologies multimédias se trouve en relation directe avec tous ces aspects sus-mentionnés. L’étude de ces nouveaux médias, leur incorporation à l’éducation formelle doit se faire sans oublier les problèmes auxquels doit faire face la société à présent, vu que l’éducation en général et l’alphabétisation multimédias en particulier doivent contribuer à la solution de ces problèmes.
Société de l’information et éducation
Les rapports entre éducation et société débouchent sur une influence réciproque qui redéfinit continuellement les caractéristiques de l’une et de l’autre. Si l’on se réfère à l’éducation comme outil de transformation sociale, nous devrions tenir compte aussi des changements éducatifs dérivés des transformations sociales.
Le secteur éducatif partage avec beaucoup d’autres les changements propres à ce que l’on a appelé la Société de l’information. Le grand développement des NTM ces dernières décennies, comme nous l’avons dit, a donné lieu à de nouvelles formes de traiter, d’emmagasiner, de distribuer, de programmer de percevoir et de comprendre l’information, de même que les modes et les médias de communication ont aussi changé substantiellement.
Il serait logique de penser que tant la planification que la pratique éducative ont été aussi modifiées par le développement des TIC. On pourrait supposer que de cette influence mutuelle entre éducation et nouvelles technologies multimédias surgissent des nouveaux modèles d’éducation dérivés des nouveaux modèles de communication. Néanmoins, la seule chose qui est garantie, avec l’omniprésence des nouveaux médias et des nouveaux produits multimédias, est l’incorporation progressive (et plus lente en éducation que dans d’autres secteurs) de ces médias et de ces produits dans les salles de classe, une incorporation qui, sans une alphabétisation numérique appropriée, ne voudra pas dire innovation ou changement dans l’enseignement traditionnel.
Il n’est pas trop risqué d’affirmer que la présence de nouveaux médias dans les salles de classe répond plus à des raisons de type commercial qu’à des démarches éducatives. Si la principale fonction de l’éducation est celle de reproduire le système social, il est convenu, dès lors, que les étudiants apprennent dans les centres d’enseignement la maîtrise des nouveaux dispositifs. Mais pour cela il est Sans une alphabétisation numérique appropriée, l’incorporation de médias ne veut pas dire innovation ou changement indispensable que ces moyens soient introduits dans les centres… Dans le discours et dans la stratégie d’implantation généralisée des nouvelles technologies dans l’enseignement (implantation nécessaire, cela soit clairement dit), nous pouvons identifier trois conceptions implicites sur lesquelles il semble nécessaire de consacrer plus de réflexion :
En premier lieu, la relation directe entre les NTM et l’éducation est perçue comme une obligation d’aujourd’hui. Cette relation se traduit, pour les responsables de la politique éducative des systèmes néo-libéraux, par une adaptation du système éducatif aux exigences des NTM. C’est au contraire ces dernières qu’il faudrait adapter aux exigences d’une éducation libre et démocratique.
Ce présupposé qu’est l’adaptation de l’éducation à l’économie de marché en vogue vient d’une conception de l’éducation comme reproductrice (et non transformatrice) de la société, qui s’affirme être unique. C’est de cette conception de l’éducation que découle l’existence d’une société de l’information, un modèle de société possédant des caractéristiques déterminées, qui dépendent en grande partie du degré d’implantation et de l’importance que l’on donne aux technologies de l’information et de la communication. Selon cette conception de l’éducation comme reproductrice du système social, les systèmes éducatifs sont alors tenus pour responsables de la préparation des nouvelles générations à la gestion de ces technologies.
Il existe une idée communément admise au sujet de l’éducation : celle-ci devrait préparer tout un chacun à une vie dans la société qu’il aura à vivre. Il est clair qu’on ne peut éduquer sans tenir compte du contexte, et que l’éducation ne prend son sens que dans la société où elle se développe. Il existe cependant une distinction qualitative –qu’apparemment certains voudraient mieux ignorer— entre éduquer pour vivre dignement et librement dans la société de l’information, et éduquer pour s’adapter et accepter sans s’opposer aux conditionnements imposés par la nouvelle société, en utilisant dans l’auditoire les modèles communicatifs et le concept d’apprentissage propres aux machines dites intelligentes ou NTM.
Un deuxième présupposé du discours officiel et dominant à propos des TIC parle de celles-ci comme d’un simple recours éducatif, un moyen transparent qui se présente à nous sans aucune idéologie implicite, comme si elles n’influençaient aucunement ni la philosophie de l’éducation ni l’idiosyncrasie des processus d’enseignement et apprentissage. Il faudrait comprendre que le rôle innocent des NTM en éducation se réduirait à son utilisation comme matériel et recours didactiques.
Est alors minimisée son importance comme moyen de diffusion d’une culture, comme agent éducatif per se dans l’éducation informelle, et on évite l’analyse critique et réflexive de ses aspects positifs et négatifs pour la société en général, comme faisant part du contenu du curriculum. Quand les TIC font l’objet d’études, tant dans la formation des élèves que dans celle des professeurs, le doigt est mis sur l’apprentissage de leur utilisation : pour apprendre dans le cas de l’élève, et pour enseigner dans le cas des professeurs. Ces études ont tendance à se réduire à l’apprentissage du fonctionnement et de l’utilisation de programmes et équipements. La transcendance des NTM dans la formation d’opinions, son importance dans l’économie mondiale, dans la justice sociale, etc. sont alors oubliées.
Enfin, le troisième présupposé laisse entendre que l’utilisation d’ordinateurs et de dispositifs multimédias interactifs favorise l’apprentissage et suppose l’innovation éducative. Healy [2], entre autres auteurs, nous met en garde contre cette erreur quand il dit que les ordinateurs peuvent renforcer ce qu’on a quelquefois appelé le « modèle industriel » (factory model) d’éducation : un professeur (ou un programme informatique) toujours disponible. Celui-ci transmet un corps de connaissances bien défini et prépare des travailleurs (des élèves) habitués à faire la file, à faire ce qu’on leur demande sans trop poser de questions.
A l’opposé de ce modèle (et à l’autre extrême du continuum) se situe le point de vue centré sur l’élève, où le professeur est là pour orienter, il agit plus en personne ressource ou en tuteur, et les élèves le questionnent et s’impliquent activement dans leur apprentissage. Il est important de rappeler que les anciens comme les nouveaux moyens peuvent servir autant pour innover que pour renforcer les modèles communicatifs unidirectionnels et les pédagogies de la transmission jusqu’à présent prédominantes dans l’enseignement traditionnel.
Loin de favoriser la communication interpersonnelle et la coexistence interculturelle (ce qui pourrait se faire avec les nouvelles technologies, l’interactivité et la communication multimédias), l’usage de systèmes programmés qui contrôlent l’initiative de l’utilisateur et l’application de programmes informatiques néo-conditionneurs peuvent contribuer de façon décisive à former des individus dociles, intransigeants et sans l’ouverture d’esprit requise pour vivre dans une société libre, plurielle et tolérante.
L’existence d’un discours technologique dominant, qui ne favorise en rien l’utilisation des technologies de l’information à des fins éducatives, ne devrait pas être un obstacle, mais bien un stimulant pour son usage en auditoire. L’importance des NTM est telle que, qu’on le veuille ou non, leur généralisation est en train de modifier les systèmes actuels d’éducation, et en même temps d’en proposer d’autres, alternatifs et basés sur les réseaux de communication. Le cyberespace devient un nouveau milieu de relation où les communautés d’apprentissage créées peuvent acquérir la même ou plus d’importance que les communautés de la vie réelle dans lesquelles se meuvent les agents éducatifs.
La révolution numérique affecte substantiellement l’enseignement, autant par l’introduction de l’information multimédias et de documents interactifs que par l’utilisation de nouveaux moyens de communications et de nouveaux systèmes de diffusion et de traitement de l’information au sein et en dehors de l’auditoire.
Les formes d’apprentissages, les formes d’enseignement, l’élaboration de matériels et l’usage éducatif qu’on peut en tirer se voient modifiés. Dans le milieu éducatif, une réflexion parallèle à l’inévitable incorporation des nouvelles technologies multimédias aux auditoires s’impose. Une réflexion qui questionne le discours technologique dominant et qui transforme cette incorporation en une intégration au curriculum, consciente et raisonnée des nouveaux moyens.
Le fait de considérer la présence des NTM dans les auditoires comme inévitable ne signifie pas que l’on renonce à la réflexion primordiale de leur incorporation. Bien au contraire, la tendance généralisée qui considère ces moyens comme inévitables se confond avec la considération de ceux-ci comme nécessaires et convenables. C’est pourquoi il est plus nécessaire que jamais de s’adonner à une réflexion éducative qui résiste au discours technologique dominant en faveur de son incorporation irréfléchie.
Il semble loin le temps où l’on pouvait observer deux positions assez définies chez les professeurs, face aux nouvelles technologies : d’une part, les professeurs qui n’étaient pas partisans d’une incorporation des TIC dans leurs classes, s’il n’y avait pour cela aucune bonne raison, et d’autre part, ceux qui défendaient cette incorporation, qu’ils considéraient logique et inévitable, et exigaient une bonne raison pour ne pas y avoir recours. La position des technophobes et des hypercritiqueurs, qui se refusaient à l’intégration de n’importe quel nouveau moyen dans les auditoires par principe, fait déjà entièrement partie du passé. Oui, il existe des raisons éducatives pour l’intégration au curriculum des NTM, ainsi que des professeurs critiques et responsables qui s’occupent de les analyser et d’améliorer l’éducation avec des TIC. Beaucoup d’autres professeurs n’ont besoin d’aucune raison pour incorporer les nouveaux moyens ; ils existent, pourquoi donc renoncer à eux ? C’est sans doute ce dernier groupe qui est majoritaire actuellement, ce qui est un terrain fertile aux proposition implicites du discours technologique dominant et des politiques éducatives néo-libérales : les TIC doivent s’introduire dans l’éducation à n’importe quel prix.
Arrivés à ce point, là où les TIC nous paraissent aux abords du XXIe siècle inévitables, et s’incorporent dès le plus petit âge aux systèmes éducatifs par un impératif légal, il semble qu’il ne nous reste plus qu’à discuter du comment ces nouveaux moyens vont donc vont donc s’incorporer à nos centres.
Il y a quelques décennies, quand il était question de la grande importance des moyens traditionnels de communication de masses (presse, radio et télévision) dans notre société, et de leur incorporation aux cours, on les considérait souvent selon une double dimension :
Nous sommes tous conscients que ni l’utilisation de ces moyens en tant que recours didactique, ni l’alphabétisation audiovisuelle n’ont été prioritaires dans nos centres éducatifs, et nous pouvons assurer que ni leur usage ni leur étude ne se sont généralisés dans la scolarité obligatoire. Il existe deux grandes raisons pour qu’il n’arrive plus la même chose avec ce que l’on appelle aujourd’hui les TIC :
Cependant, ces raisons forcent l’incorporation des TIC à l’enseignement, mais peut-être sans la réflexion nécessaire et sans doute sans postulats éducatifs. Il existe malheureusement trop de cas où l’on peut démontrer que les TIC ne s’intègrent pas au projet éducatif, mais où l’on cherche plutôt à adapter les systèmes éducatifs aux besoins dus à l’omniprésence de ces technologies.
Le discours technologique qui accompagne les nouvelles technologies auquel nous nous référions précédemment exerce une double influence sur la façon d’incorporer et d’intégrer les TIC dans les systèmes d’éducation formelle : D’un côté, la politique éducative des pays qui nous entourent est conditionnée par le développement économique et industriel de la société de l’information et de ses technologies dominantes, ainsi que par le discours technologique qui rétro-alimente ce développement. D’un autre coté, les opinions, les attentes et les attitudes des membres de la communauté éducative (parents, élèves, professeurs, etc.) ne peuvent rester à l’écart de l’information qui ressort des nouveaux moyens et qui prend continuellement part du fameux discours technologique. Dans la majorité des cas, il n’existe pas d’autre type d’information alternative qui puisse servir comme contraste et qui devrait se générer à travers des espaces et temps de réflexion propres, tant pour l’éducation de base que pour la formation à l’enseignement.
Nous pourrions donc dire que le discours technologique dominant, à travers les deux voies fondamentales citées, influence l’éducation et l’intégration curriculaire des NTM d’au moins trois manières de base liées entre elles : Il renforce l’idée de l’Éducation comme reproductrice de la société, dans ce cas technologique. L’idée que l’Éducation est une préparation et une domestication de l’individu pour remplir une fonction qui lui est assignée dans l’ensemble du système de production, plus qu’un processus de perfectionnement des personnes dans la société, est renforcée.
Celui qui s’impose une idée de l’éducation comme reproductrice de la société technologique, dont la fonction principale est de pourvoir le système de production d’une main d’œuvre qualifiée dans l’usage de nouvelles technologies, est en train de donner lieu à ce que Pérez Gómez nous signale : « Ce qui n’est pas valorisé dans l’échange marchand n’est alors plus apprécié dans le système éducatif, et reste donc à l’écart des priorités assignées et assumées par l’institution scolaire " [3]. De là l’idée généralisée que l’école doit donner priorité à l’apprentissage de l’utilisation des ordinateurs ou autres dispositifs similaires. Dans certaines des applications multimédias les plus utilisées dans l’enseignement formel, on ajoute à la valeur des objectifs spécifiques celle que l’enfant se familiarise avec l’ordinateur.
Comme on l’a déjà fait remarquer, les professeurs établissent une relation directe entre la grande importance des NTM dans la société de l’information et la nécessité de les introduire dans l’éducation obligatoire. Cette introduction ne suppose en général pas d’avoir recours à une étude critique, ni aux répercussions des TIC dans la société, ni à leur véritable potentiel comme recours didactiques. Il faut néanmoins signaler que l’étude critique des médias a bel et bien lieu dans les programmes officiels et dans la législation éducative actuelle en Espagne, ce qui, comme nous le savons tous, ne signifie pas pour autant qu’elle soit menée à terme.
Le discours généré autour des TIC affecte d’une façon décisive la nature de la connaissance et les relations de communication dans le processus d’enseignement et apprentissage. L’importance de l’information est amplifiée (plutôt sa quantité que sa qualité), elle est confondue avec la connaissance et l’on donne plus d’importance à l’interaction de l’élève avec le milieu qu’à la communication interpersonnelle en tant que génératrice des L’importance de l’information est amplifiée et elle est confondue avec la connaissance apprentissages. Quelques auteurs ont déjà averti que le terme « connaissance » peut changer de signification ; au départ, un terme signifiant la possession, maintenant un terme signifiant l’accès. De fait, dans un contexte de politique éducative internationale, l’accent est trop souvent mis sur l’« accessibilité », celle-ci signifiant simplement comment il est possible de disposer de la technologie nécessaire pour se connecter sur Internet.
Du fait qu’un des arguments de l’autopromotion des nouveaux moyens est la quantité de données auxquelles on a accès, nous pouvons parvenir, dans un contexte de formation, à accorder plus d’importance à la quantité d’information (« connaissance », comme il plaît à certains) à laquelle l’élève a accès, plutôt qu’à la quantité que celui-ci peut connaître ou savoir.
Quand on parle des avantages des TIC dans l’enseignement, il est courant de faire référence à la motivation que supposent la nouveauté et le caractère ludique de la majeure partie des moyens. Jamais il n’est considéré que l’usage des NTM puisse favoriser la réflexion du côté de l’utilisateur. C’est peut-être parce que, selon l’idéologie de la machine, la réflexion propre de l’apprentissage se substitue par l’essai/erreur illimité. Dans de nombreux cas les élèves utilisateurs s’habituent à essayer l’une et l’autre option sans même s’intéresser au contenu. Cette mécanique apparaît aussi dans le comportement des personnes envers l’informatique, la connaissance et l’apprentissage. La réussite et la réalisation du plus élémentaire dans une activité programmée se confond avec l’obtention d’un apprentissage recherché. La ponctuation d’un quelconque marqueur acquiert plus d’importance que le niveau réel de compréhension des contenus. L’importance des apprentissages est centrée sur les réussites, laissant à l’arrière plan les procédés mis en œuvre pour y parvenir.
L’interactivité propre des systèmes multimédias se présente comme une substitution et une alternative de l’interaction communicative entre personnes. Cela mène à un renforcement des formes d’apprentissage simples, mécaniques, répétitives, individuelles et hors contexte, où l’élève se voit dans un rôle secondaire, un sujet passif de l’apprentissage, un apprentissage qui est supposé être un processus provoqué de l’extérieur et automatique, un processus qui a lieu dans l’élève (sujet passif) et qui dans beaucoup de cas se présuppose par le simple fait qu’il a utilisé des nouvelles technologies multimédias (le troisième présupposé du discours technologique).
Dans la majeure partie des applications multimédias interactives qui sont actuellement utilisées dans l’enseignement, la relation principale se trouve entre le moyen et l’élève, les programmes seront plutôt fermés, et c’est la logique interne du programme qui contrôle le rythme de l’interaction et de l’apprentissage. C’est d’ailleurs souvent l’application elle-même qui évalue le progrès de chaque élève, et tant les élèves que les professeurs sont convaincus qu’il y a là apprentissage.
Bien que les nouvelles technologies multimédias puissent favoriser énormément la communication interpersonnelle éducative et l’apprentissage coopératif, les usages et applications les plus courants des réseaux (appelés à tort de communication) sont centrés sur la diffusion d’information. Pour obtenir cette information, l’utilisateur entre en relation avec le milieu (interaction), mais il est rare qu’il communique avec quelqu’un d’autre. Les possibilités de communication multimédias offertes par Internet, par exemple, s’utilisent quasi exclusivement à des fins ludiques dans les chats, et très rarement à des fins éducatives.
Les nouveaux moyens ne sont pas pensés pour être incorporés aux cours en auditoire afin de renforcer la communication multimédias ou les relations interpersonnelles, mais la proposition d’utilisation implicite que ces programmes et ces technologies ont en eux est une menace pour ma communication interpersonnelle et l’apprentissage coopératif.
La conception que les utilisateurs ont des systèmes interactifs de la communication peut aussi se voir affectée. Ce qu’on identifie comme communication est un échange d’information, on lui donne une signification fondamentalement technique, alors que l’essentiel de la communication est, comme le revendique Wolton, d’un tout autre ordre : culturel et social.
[1] Dominique Wolton, Internet, et après : Une théorie critique des nouveaux médias, Flammarion, Paris, 1999
[2] Jane M. Healy, Failure to connect. How computers affect our children’s minds - and what we can do about it. Simon & Schuster, New York, 1999.
[3] Angel Pérez Gómez, La cultura escolar en la sociedad neoliberal, Ediciones Morata, Madrid, 1998.