L’Afrique dans les périodiques des ONG, Ça va mal, mais ça va mieux

Mise en ligne: 17 août 2015

Les périodiques de Médecins sans frontières, Caritas, Oxfam-Solidarité et CNCD, lus et analysés : ce qu’ils disent de l’Afrique est-il en rapport avec ce que ces ONG disent d’elles-mêmes ?, par Jacques Dusart

Les pays « du tiers monde » , « sous-développés » , « en voie de développement » ou plus récemment appelées « du Sud » sont peu présents dans nos médias en regard de leur importance géographique ou démographique. Ceci est particulièrement vrai pour le continent africain. Son image est façonnée par des discours multiples. Parmi ceux-ci, les médias traditionnels les plus visibles semblent se limiter aux catastrophes qu’elles soient naturelles ou causées par l’homme. A l’opposé, les agences de voyage proposent de nous rendre dans des « îles paradisiaques » . Nous sommes également soumis à des messages hérités d’un autre temps (du type Tintin au Congo). Quoi qu’il en soit du rapport à la réalité de ces messages, il semble que les représentations de l’Afrique en Occident soient largement stéréotypées et réductrices.

Quelle place occupe la communication des ONG d’aide au tiers monde dans ce paysage ? Les ONG sont présentes sur le terrain, souvent depuis longtemps et, fortes de leur expertise, devraient pouvoir apporter un discours nuancé sur les pays africains. Le paysage des ONG est hétérogène, elles varient dans leurs principes d’action, leurs spécialités et leurs finalités.

Nous nous proposons d’analyser l’image de l’Afrique véhiculée dans les périodiques publiés par des ONG belges francophones à destination de leurs sympathisants. Sont donc exclus de l’analyse les affiches, prospectus ou spots publicitaires qui doivent « accrocher » instantanément. Affranchies de la pression des médias audio-visuels grand public (il faut convaincre rapidement, il faut « récupérer sa mise » en terme de dons…), s’adressant par un périodique à un public de gens déjà convaincus, sans nécessité de recourir à des « effets médiatiques » faciles, que disent les ONG des pays africains ? Ce qu’elles disent de l’Afrique peut-il être mis en rapport avec leur propre communication d’organisation (ce qu’elles disent d’elles-mêmes, de leurs actions…) ? Autrement dit, selon la place que se donne l’ONG à elle-même en termes de finalités, domaine d’action et spécialités, quelle place fait-elle à l’Afrique ?
Médecins sans frontières sauve des vies dans une Afrique qui subit des crises chroniques

L’image de l’Afrique véhiculée par Médecins sans frontières (MSF) dans son périodique Le Journal est fortement négative. Les articles insistent sur la guerre, la maladie, l’extrême pauvreté et l’instabilité générale. De nombreux superlatifs sont utilisés pour exprimer le caractère exceptionnel de la crise. Comme si chaque nouvelle crise était pire que la précédente. Dans la mesure où MSF est active dans l’aide d’urgence, il est logique qu’elle traite de « l’Afrique des crises » . Mais, plus encore, cette présentation du « pire » légitimise son action : plus la crise est grave, plus la (ré)action de MSF est justifiée. Les articles comportent d’ailleurs une structure claire en deux temps (crise-réaction), comparable à la méthode d’action de MSF sur le terrain. D’autre part, insister sur la gravité de la crise justifie le choix de MSF de lutter contre cette crise-ci et pas contre une autre. Enfin, le choix clair de MSF d’être financée essentiellement par le secteur privé (dons) l’oblige à exhiber le malheur, à « prouver » que la crise en est une et qu’elle requiert une réponse. Il ne faut pas perdre de vue que le journal est envoyé à des donateurs… Néanmoins, sur ce dernier point, il apparaît que le périodique de Caritas appelle plus explicitement ses lecteurs aux dons que Le Journal. MSF a d’autres moyens de récolter des fonds, notamment via des campagnes ponctuelles pour un large public ou par des contacts directs avec d’importants bailleurs de fonds privés.

L’action de MSF est donc au centre de son propos
. Cette action est efficace et répond de façon pertinente à la crise, avec déjà de bons résultats. A l’opposé, les Africains sont présentés comme des masses de victimes indifférenciées, innocentes et impuissantes. La suractivité de MSF s’oppose à la gravité de la crise, mais aussi à l’inactivité africaine : les gouvernements sont incompétents et les citoyens prostrés. Entre la gravité de la crise et l’efficacité de la réponse apportée par MSF, le message peut être paradoxal. La description de la crise et celle de l’action de MSF se contredisent (ça va mal, mais ça va mieux). Si les résultats obtenus par MSF sont bons, il n’y a pas de crise ; et s’il n’y a pas de crise, le lecteur n’a aucune raison de donner. En revanche, si l’action de MSF est vaine, pourquoi donner ?

L’avenir de l’Afrique paraît bouché dans les articles de MSF. Les avancées sont relativisées, pas même porteuses d’espoir ; les alliés éventuels sont inefficaces. MSF est seule à agir sur le terrain, elle n’est pas présentée en collaboration, pas même avec la population locale. Celle-ci subit l’aide de la même façon qu’elle subit la crise. Les habitants ne s’organisent pas, ne se groupent pas pour mieux résister, chercher des solutions ou s’entraider. L’Afrique de MSF ne connaît pas d’organisations locales, associations, coopératives, pas même de familles ou de clans. On ne trouve pas non plus de classe moyenne dans les articles de MSF. L’Afrique – presque exclusivement rurale – semble habitée par des individus (singulièrement des femmes et de jeunes enfants) formant des masses. Cette tendance est cohérente par rapport à l’action de MSF qui se construit sur un envoi massif de personnel expatrié et pas sur un partenariat local.

Enfin, les malheurs qui s’abattent sur l’Afrique sont comme une fatalité. Les articles n’interrogent pas les causes des crises. La solitude de MSF sur le terrain est encore renforcée par les prises de parole : des membres de MSF ou des victimes. Ils témoignent de la catastrophe, mais ne l’analysent pas. L’Afrique semble ne compter ni responsables (politiques), ni intellectuels capables d’apporter leur expertise à la résolution de la crise. Plus exactement, les causes de la crise ne constituent pas une question sans réponse, mais cette question n’est pas posée. Le texte n’explore pas les tenants et aboutissants de la crise et les photos ne poussent pas le lecteur à avoir une attitude réflexive. Leur caractère centripète (partiellement dû aux légendes), les cadrages serrés (qui invitent à lire l’émotion sur les visages) et leur côté « esthétique » n’encouragent pas à élargir le contexte de la prise de vue. Quoi qu’on en pense, le but affiché par MSF n’est pas de faire de l’analyse, mais de lutter contre les conséquences des catastrophes. On peut reprocher à MSF de nuire à l’éducation au développement dans le long terme, mais pas de se comporter de manière incohérente.

Caritas mène des projets concrets en espérant sortir l’Afrique des crises qu’elle traverse

Le périodique Caritas donne également une image globalement négative de l’Afrique. Il faut toutefois nuancer. On distingue clairement une approche des crises par le registre « passionnel » tout comme MSF, mais le registre « rationnel » est présent également. Le « passionnel » marque la gravité de la situation, le « rationnel » tâche de décrire cette situation de façon précise et plus neutre, parfois technique. Les problèmes principaux de l’Afrique semblent être la famine et la destruction des infrastructures qui résulte de la violence (celle-ci est moins présente que dans les articles de MSF ; il s’agit ici des conséquences d’une guerre terminée, pas d’une guerre en cours). Cela correspond assez fidèlement aux domaines d’action privilégiés de Caritas-Belgique : nutrition et réhabilitation, spécialement dans la région des Grands Lacs.

Là où Caritas se distingue le plus clairement de MSF, c’est dans les qualités attribuées au continent africain. Celles-ci se regroupent en deux grands thèmes : d’une part le potentiel naturel de l’Afrique, d’autre part les qualités de sa population décrite comme active et volontaire. Si la population est battante, elle n’est pas indépendante pour autant : Caritas garde toute initiative et la population est juste « ouverte à la collaboration ».

L’acteur central reste Caritas, forte de son sérieux et de sa fiabilité. Son expertise peut être utile à analyser les causes des crises. Face à des maux qui semblent chroniques (guerre ou corruption), on peut parfois, par l’examen de l’histoire, en discerner les causes, plus rarement trouver « la » solution. Cette volonté de réfléchir à son action, cet « auto-examen » apparaît lorsque Caritas exprime les idéaux (paix, etc.) qui guident son action ou quand elle discute la pertinence de ses méthodes. Caritas sait reconnaître les limites de son action. Dans cette logique, l’aide d’urgence est toujours indispensable, mais non suffisante. L’évolution du discours coïncide avec la réflexion en interne. Néanmoins, la communication reste très marquée « urgence » . On ne change pas d’identité (en communication interne comme externe) du jour au lendemain.

La volonté de re-contextualiser les problèmes apparaît aussi dans les photos : elles sont majoritairement centrifuges, c’est-à-dire qu’elles renvoient à un réel plus large plutôt que d’inviter à « plonger » dans l’image comme dans une fiction. L’aspect centrifuge est renforcé par des légendes qui élargissent le propos (relais) et par une esthétique moins travaillée que MSF. Ces photos moins élaborées d’un point de vue formel sont plus réalistes. De plus les cadrages plus larges que dans Le Journal de MSF invitent moins à une identification aux personnages, les émotions sont moins visibles sur les visages.

On peut ajouter aux qualités des Africains déduites de l’analyse du texte celle-ci, qui apparaît en photos : le courage et la bonne humeur. Face aux textes qui décrivent les malheurs, les personnages montrés contrastent par leurs sourires. L’image n’est pas misérabiliste, ce qui permet l’optimisme. La place de la photo est quantitativement très importante : Caritas est le journal le plus illustré des quatre analysés.

La perspective historique permet également à Caritas de souligner en quoi on peut parler de crise, en quoi une intervention est nécessaire. Les remarques faites à ce propos pour MSF restent partiellement d’application. Si Caritas compare le présent au passé pour démontrer les dommages apparus, elle annonce un avenir meilleur. L’Afrique, même au pire de la crise, a des raisons d’espérer un redressement. C’est ici que le potentiel de l’Afrique prend tout son sens. Dans la mesure où Caritas développe à présent des projets d’aide à long terme, il est logique de montrer une confiance dans l’avenir. A quoi sert un projet de développement si aucun espoir d’amélioration n’est permis ? L’approche « double » , à la fois axée sur l’aide d’urgence et sur les projets à long terme, résulte dans la communication de Caritas en ces deux tendances : la crise est très grave (urgence), mais il y a toujours un espoir (développement). Le potentiel africain est parfois présenté comme « déjà virtuellement réalisé » , un peu comme si le plan tracé par Caritas ne nécessitait plus que d’être financé pour rencontrer ses objectifs.

Un des éléments identitaires forts de Caritas est son implantation locale permanente dans les pays du Sud. Elle pourrait d’ailleurs se distinguer davantage des autres ONG par cette caractéristique qui fait sa force. Caritas fait une place aux sous-groupes locaux (associations ou familles) dans le portrait qu’elle brosse de l’Afrique, ce qui est parfaitement logique puisqu’elle fait elle-même partie du secteur associatif local. Une présentation de sa propre action montre donc indirectement que l’Afrique compte des organisations et des groupes locaux qui oeuvrent à leur propre développement. Cet aspect était totalement absent chez MSF.

Enfin, une grande place est faite aux familles parmi les « aidés » . Peut-être faut-il voir dans l’importance de la famille, l’espoir permanent d’un « mieux » pour demain, la place faite aux « valeurs morales » qui motivent l’action de Caritas ou encore sa façon de faire son auto-examen, des caractéristiques dérivées de son identité catholique.

Oxfam-Solidarité L’Afrique lutte pour plus d’indépendance. Elle est soutenue par Oxfam

Oxfam-Solidarité est sans doute, des quatre ONG analysées, celle qui illustre le mieux ce que l’on peut appeler le modèle de la « solidarité internationale » qui tendrait à remplacer celui de la « coopération internationale » , plus unilatéral. Ainsi, les projets d’Oxfam en Afrique démarrent avec une initiative locale. Bien que les articles du journal d’Oxfam, Globo, ne soient pas des comptes rendus liés à des projets précis comme c’est souvent le cas chez MSF ou – dans une moindre mesure – chez Caritas, cette conception de l’action d’aide apparaît clairement à l’analyse des articles. Point commun avec Caritas, Globo véhicule l’image d’une Afrique volontaire et battante. La confiance en l’avenir est également un point commun aux deux périodiques. La nécessaire cohérence entre l’action par des projets à long terme et un certain optimisme par rapport au lendemain est à relever, plus encore que dans Caritas. La différence se marque entre les deux journaux sur le plan de l’initiative : Caritas est toujours le sujet de ses articles, elle décide de démarrer un projet, tandis qu’Oxfam n’intervient que comme adjuvant en appui d’une initiative locale. On peut donc ajouter une nouvelle qualité aux Africains : la capacité d’initiative et la volonté d’entreprendre. L’acteur central des articles de Globo est le plus souvent africain, en parfaite logique avec les réticences d’Oxfam à recourir à du personnel européen expatrié.

Les aspects négatifs liés à l’Afrique sont répartis entre les registres passionnel et rationnel, tout comme chez Caritas, avec toutefois une tendance au rationnel plus forte chez Oxfam. On ne retrouve pas dans Globo les superlatifs dépréciatifs liés à la description d’une crise. L’Afrique de Globo souffre essentiellement de son manque de moyens et de sa pauvreté. Cela est cohérent avec l’action d’Oxfam qui consiste essentiellement en un soutien financier. La violence et l’instabilité sont également des maux typiques à l’Afrique, avec une place moins centrale que chez MSF ou Caritas.

En accord avec sa perspective altermondialiste, Globo place le plus souvent possible les problèmes du Sud dans un contexte mondialisé. Non seulement avec les questions de dette et d’ajustements structurels (FMI et Banque mondiale), mais aussi dans les actions militantes de « la base ». Globo est le seul journal qui évoque des liens (une sorte de « cause commune » qui engendre une solidarité) entre paysans brésiliens, indiens et africains. L’angle d’attaque peut aussi être géopolitique (conflit au Sahara occidental). De manière générale, Globo est le journal qui « cadre » les sujets de la façon la plus large, dans un contexte planétaire en explorant des tenants et aboutissants parfois éloignés.

Les articles tournent tous autour du même axe : la lutte pour l’autonomie des Africains. Oxfam soutient cette lutte, ce qui peut paraître paradoxal : (co-)financer un groupe sans le rendre dépendant de ce soutien et peu ou prou asservi à son mécène tient de l’exercice d’équilibriste. On peut distinguer les articles qui montrent une avancée vers plus d’autonomie et ceux qui montrent un recul. Dans ce dernier cas, l’acteur central est toujours une institution financière internationale (OMC, FMI ou Banque mondiale) ou les Nations unies. Le message est clair : ces institutions décident (gouvernent) chez eux à la place des Africains. Ces institutions nuisibles et secrètes sont qualifiées de façon très dépréciative dans un registre qui connote le merveilleux et le mystère. De plus, même lorsque les intentions sont nobles (ONU), l’organisation est incapable de se donner les moyens de ses ambitions. Cette critique dure et très présente fait de Globo le journal le plus militant et idéologiquement marqué de ce corpus. Il y a ici une nette différence par rapport aux autres journaux, moins virulents dans leurs critiques, lorsqu’ils en émettent.

Comme en réponse à ces articles, on en trouve d’autres qui exposent des actions nettement plus modestes mais plus profitables. L’analyse est éclairante à ce propos : les Africains y sont destinateurs, sujets et destinataires. Ils sont donc parfaitement autonomes, à l’exact opposé des actions « pilotées » par le FMI ou la Banque mondiale. En caricaturant (un peu), on peut dire que les actions menées à grande échelle par des « extérieurs » sont inopérantes voire néfastes, et que plus une action est locale et modeste, plus elle a de chances d’être pertinente et efficace. Cette préférence pour l’initiative régionale donne l’impression d’un « grouillement » d’associations, groupes, coopératives. On retrouve les responsables associatifs dans les citations, leur expertise est préférée à celle d’Européens (personnel Oxfam, par exemple).

L’usage de photos à l’esthétique travaillée valorise le sujet, mais n’invite pas à la réflexion, ce qui est en contradiction avec l’analyse proposée par le texte et avec les objectifs affichés par Oxfam. On conviendra que photographier l’action de l’OMC ou les subventions américaines au secteur du coton n’est pas simple. L’absence totale de personnage blanc ou d’action d’aide renforce l’image (ou la militance en faveur) d’une Afrique autonome. Les légendes en deux temps (ancrage plus relais) permettent d’élargir le propos, de recontextualiser la photo après en avoir « fixé » le sens. Cet ancrage minimal fait parfois défaut à des légendes qui veulent étendre la réflexion au delà de l’image.

CNCD L’Afrique dépend de l’Europe. Elle sait ce qui est bon pour elle et l’exprime elle-même

Le Centre national de coopération au développement (CNCD) est à part dans ce corpus puisqu’il n’intervient pas directement sur le terrain, mais se centre sur la communication au Nord (éducation et lobbying) et que son journal est payant. Cette différence fondamentale influence le contenu du journal Demain le monde (articles plus longs, plus « professionnels ») mais pas tellement l’image de l’Afrique qu’il véhicule. A différents égards, cette image est comparable à celle que proposent les autres périodiques.

Le premier élément à relever est le fréquent lien entre Nord et Sud dans les articles. La relation peut être de confrontation ou de collaboration. La confrontation est toujours préjudiciable aux pays africains, faibles face à l’Europe. Contrairement à Globo qui ciblait ses attaques sur les institutions financières internationales ou les Etats-Unis, Demain le monde critique plus souvent l’Europe. Le FMI et la Banque mondiale apparaissent dans un rôle similaire à celui donné dans Globo (ils « pilotent » les gouvernements africains), mais ne sont pas attaqués de la même façon. Le lecteur se sent sans doute plus visé quand l’Europe est responsable de problèmes que quand on accuse l’OMC ou le FMI. Les partenariats fructueux sont le fait d’initiatives de petites structures du Sud. On retrouve une logique proche de celle défendue dans Globo : le Sud (Afrique) sait mieux que le Nord (Europe) ce qui est bon pour lui ; l’initiative locale et modeste est plus profitable au développement que les grosses organisations officielles.

Dans cette perspective, l’Afrique apparaît comme le lieu de possibles. Sa force réside dans son potentiel, ses ressources naturelles peu (ou mal) exploitées. Cette caractérisation se retrouve également avec force dans Caritas. La place principale est – comme dans Globo – laissée aux Africains, en insistant sur les initiatives et le dynamisme des ONG locales. Le journal expose une vision du développement proche de celle décrite dans Globo, en moins polémique toutefois.

Les faiblesses de l’Afrique sont le manque de moyens et la dépendance à l’égard des institutions financières. La mauvaise gestion des gouvernements passés est un élément fondamental des problèmes actuels en Afrique. La faiblesse économique semble résulter d’une faiblesse politique chronique (dirigeants illégitimes et incompétents). Si l’Afrique ne semble pas compter d’experts capables de la diriger (dans le passé au moins), elle recèle des intellectuels capables d’analyser ses problèmes. Demain le monde présente cette particularité : il cite des experts africains. Globo citait volontiers des analyses de responsables associatifs, mais Demain le monde cite des gens qui ont une expertise officiellement reconnue (au moins dans leur pays : professeurs d’université, économistes, etc.). Ces citations vont à l’encontre du stéréotype d’une Afrique uniquement rurale et peu instruite. En outre, des personnages de la classe moyenne apparaissent dans les citations. La classe moyenne n’existait pas chez MSF et, chez Caritas ou Oxfam- Solidarité elle était toujours liée à une ONG locale, donc à un travail de développement. Montrer continuellement la nécessité d’une aide renforce l’idée selon laquelle le pays va mal. Dans Demain le monde, il existe des emplois ailleurs que dans des actions d’aide. L’existence de ce type d’emplois induit une image plus complexe que celle qui est proposée habituellement et une idée de relative stabilité dans le pays (il y a donc une administration, des fonctionnaires, des instituteurs…).

La présence d’intellectuels, notamment africains, fait partie d’une volonté d’analyse générale. Face aux maux de l’Afrique, on ne cherche pas à émouvoir, mais à comprendre. D’où le recours à différentes sources, données statistiques et analyses. Cette volonté induit un ton plus distant qui contraste avec les publications qui traitent de l’Afrique habituellement. Demain le monde est d’ailleurs le journal le moins illustré des quatre, ses photos sont les plus petites et toujours en noir et blanc. Toutes les photos sont « ouvertes » et replacées dans une dimension plus large par la légende.

Selon les articles, l’avenir de l’Afrique peut être très variable. Certains articles décrivent la situation comme figée (dans un problème chronique), d’autres en voie d’amélioration. Certains problèmes paraissent insolubles, mais une lueur d’espoir persiste souvent. Cet espoir est toutefois bien moins présent que dans Caritas.

Enfin, une originalité de Demain le monde est de proposer des articles écrits par des Africains et de ne pas se centrer sur le travail des ONG belges en Afrique. Le CNCD lui-même et les ONG membres sont absents des articles, il n’y a donc aucune publicité, ni appel aux dons. Cette absence des ONG et des actions d’aide trop unilatérales, ainsi que la parole donnée à des journalistes africains fait ressembler par moments Demain le monde à un journal d’informations générales sur l’Afrique et le tiers monde.
Ouvertures A long terme, la non-éducation au développement est néfaste pour toutes les ONG

A ce stade, il serait tentant de généraliser les conclusions et d’opérer une synthèse liant l’image de l’Afrique aux domaines d’action des ONG. L’image véhiculée dépend de l’identité des ONG et des buts qu’elles poursuivent. Néanmoins, il n’y a pas de correspondance parfaite entre ces deux aspects. Quant à généraliser les conclusions à toutes les ONG, cela reviendrait à négliger plusieurs limites de cet article. Chaque ONG a son identité propre qui dépend de beaucoup d’autres aspects, la réalité est complexe. Par ailleurs, l’analyse ne couvre qu’une dizaine d’articles par périodique, ce qui est très faible en regard de la production complète. Enfin, la communication des ONG passe par bien d’autres voies —toutes les ONG ont un site internet, elles envoient parfois une newsletter, elles organisent des campagnes ponctuelles pour le grand public, elles sont présentes dans les médias traditionnels— qu’il serait utile d’analyser également avant de se risquer à généraliser. De plus, les lecteurs ne sont pas de simples « récepteurs passifs » , le lien entre l’image proposée par les revues et l’image réellement perçue par le lecteur n’est pas de pure égalité.

Néanmoins, on peut risquer quelques conseils pour la communication des ONG. Il y a a priori une frontière nette entre une communication typique de recherche de fonds (immédiate, qui joue sur l’émotion, plus liée à l’urgence…) et une communication d’éducation au développement, plus réflexive et forcément plus lente. On ne peut à la fois réclamer des dons pour une Afrique victime et ne pas créer une impression de dépendance. En présentant l’avenir de l’Afrique comme bouché, MSF nuit indirectement à l’action des ONG qui travaillent dans le long terme. Cela revient à dire qu’elles perdent leur temps.

Une première réponse à cette question du don consiste à dire que tout don n’est pas nécessairement « émotionnel » . Un article peut susciter à la fois la réflexion et le don. Ou encore, un article peut montrer que l’ONG réfléchit à sa propre action et donner confiance au lecteur. Cette confiance se traduit non pas par un don ponctuel (plutôt lié à un choc émotionnel), mais par une fidélisation.

Les ONG ont tout intérêt à penser leur communication de façon intégrée et globale. Chaque aspect de la communication d’ONG doit être pris en compte lorsqu’on élabore un message, y compris ce qui ne correspond pas au but premier. Une communication éducative ne doit pas être rébarbative et négliger « l’accroche » , tout comme le message plus direct de recherche de fonds ne doit pas être de « l’anti-éducation au développement » . A long terme, la non-éducation au développement est néfaste pour toutes les ONG.

Afin de préserver le caractère éducatif, les ONG devraient veiller à lutter contre les stéréotypes. Le recours au stéréotype est une solution de facilité : il est « re-connu » (au sens déjà connu) par le lecteur et constitue donc un facteur de crédibilité. Afin de nuancer la perception de l’Afrique, un des premiers cadres à modifier est la coupure radicale entre ici et là-bas (le tiers monde en général) et le caractère unilatéral de l’aide apportée (c’est-à-dire : l’Afrique n’a rien à nous apporter). On pourrait, sans nuire à la récolte de dons, mettre plus l’accent sur les points communs ou sur la collaboration plutôt que sur les différences. Il ne s’agit pas d’un autre monde. Dans le même ordre d’idées, décrire le problème n’est pas tout, il est nécessaire de l’expliquer et de le contextualiser afin qu’il ne paraisse pas « naturel » au pays. A quoi sert de lutter contre la guerre ou contre ses conséquences si elle est immanente à un pays ? Cette contextualisation passe par des données précises (noms propres, moments) et par une prise de parole des acteurs directement concernés. Le discours de l’Afrique peut utilement compléter le discours sur l’Afrique.

Les messages qui ont pour but premier d’être éducatifs ne doivent pas négliger une certaine attractivité. Demain le monde, par exemple, semble « frileux » quant à l’usage de la photo (photos peu nombreuses, de petite taille, noir et blanc, cadrées très larges). Si la photo induit a priori une attitude moins réflexive de la part du lecteur, elle présente des atouts non négligeables en termes d’attractivité. Il faut néanmoins éviter que les photos soient consommées comme des images de fiction et veiller à les replacer dans le contexte d’une réalité plus large. Une photo très esthétique et sans rapport direct à l’article risque peu de susciter la réflexion. Une photo trop neutre qui pourrait illustrer n’importe quel article et sans légende aura, au mieux, une fonction décorative. La légende joue ici un rôle essentiel. Elle doit rendre la photo « réflexive » , par l’ouverture qu’elle propose. Attention toutefois à ne pas abuser de la fonction de relais de la légende : un ancrage minimal est souvent nécessaire à la compréhension. Lors des analyses, on a rencontré des légendes sans grand rapport à la photo. La photo ne doit pas nécessairement être valorisante pour l’Afrique (on ne peut nier les crises qu’elle vit), mais elle doit en nuancer la perception. Une image qui va à l’encontre d’un stéréotype suscite – au moins – la comparaison mentale à ce stéréotype. Elle entraîne donc conjointement accroche et réflexion.

Enfin, d’autres éléments permettent de soigner l’accroche sans nuire au message réflexif. Un même sujet peut être traité sous un angle plus théorique et sous un angle de proximité, plus proche des gens. Des articles « récits de vie » et « enjeux internationaux » peuvent se répondre, invitant le lecteur à lier les deux. Un traitement « de proximité » est plus accrocheur et ne fait pas pour autant obstacle à l’analyse. D’autre part, les idées à faire passer ne doivent pas nécessairement être explicites. L’humour, le jeu ou la fiction s’ils sont bien construits peuvent remplir des rôles éducatifs. Le mode ludique permet peut-être la conciliation entre accroche et réflexion.

Chacun des périodiques étudiés est confronté différemment à l’événement. En principe, la presse diffuse des « nouvelles » , elle apprend des choses. Elle s’attache donc, de près ou de loin selon sa périodicité, à suivre l’actualité et à en relayer les soubresauts. Les journaux exposent des événements : ce qui survient, ce qui est neuf, ce qui est différent. Et parfois, dans un curieux retour de balancier, ce qui n’était pas un événement en soi le devient par la grâce de son existence médiatique. Dans ce cadre, une situation de crise est plus facile à valoriser médiatiquement qu’un projet de développement par définition lent et laborieux. Pas plus que les trains qui arrivent à l’heure, la vie quotidienne ne fait l’événement. Le temps de la crise, de l’urgence, s’adapte mieux au temps médiatique (même le plus lent) que le temps du développement qui peut s’étaler sur plusieurs générations.

En images, le développement est malaisé à concrétiser. La crise, elle connaît ses stéréotypes (directement « re-connus » par le lecteur, car « déjà connus » ) : femme éplorée, enfant affamé, soldats en uniformes dépareillés, etc. L’urgence est spectaculaire, l’action à long terme peu visible. Ce traitement plus facile de l’urgence donne l’impression via les médias que la crise est un événement, c’est-à-dire quelque chose qui survient tout à coup. Médiatiquement, ce qui survient brusquement peut disparaître tout aussi rapidement. Or, il est plus vraisemblable que la crise soit apparue progressivement et qu’elle mette longtemps à se résoudre.

Certains pays vivent une crise permanente. A partir du moment où la crise est « installée » et « normale » , il n’y a plus d’événement. C’est un des problèmes de MSF qui joue la surenchère entre articles quant à la gravité de la crise. Il faut sans cesse rappeler que la crise existe et combattre une certaine « accoutumance » du lecteur. Si la crise cesse d’être un événement dès lors qu’elle est permanente (elle disparaît donc des médias généralistes), elle n’est plus un événement non plus au sein d’un journal qui ne parle que de crises. Elle ne peut « survenir » au sein d’un média qui traite de crises à toutes les pages. De mon point de vue de lecteur, rien ne ressemble autant à une guerre civile africaine qu’une autre guerre civile africaine. Les victimes se ressemblent et « les rebelles » forment une entité floue transposable d’un pays à l’autre. D’où, à nouveau, la nécessité de différencier les crises. Le faire en qualifiant chaque crise de « sans précédent » (toujours pire que les autres) présente certaines limites, à terme. La communication de la crise a donc intérêt à comprendre également des éléments plus réflexifs de contextualisation, à montrer les causes de la crise (le cas échéant, le rôle du Nord). En bref, à intégrer des éléments de communication éducative.