Le point de vue de l’autre émerge dans des productions diverses : des récits, des enquêtes, des films où l’on retrouve l’« Histoire des petits » et leur manière de voir les choses, par Silvia Lucchini
« La formation et la sensibilisation à la perception des différences culturelles partent d’une rencontre dynamique de deux identités se donnant mutuellement un sens dans un rapport social à définir à chaque fois en fonction des situations professionnelles et des acteurs en présence.
« La dimension dominant-dominé n’est pas absente de ce rapport, même pour les professionnels de l’aide. Aussi, elle est à travailler. Mais centrer la formation, uniquement, sur l’analyse des rapports de pouvoir ou la hiérarchie des cultures aurait comme effet de situer chacun sur la défensive et d’accroitre l’incompréhension. Elle sera à envisager plutôt à la lueur de la rencontre avec d’autres cultures comme un approfondissement de la connaissance de notre société, des représentations et idéaux qu’elle véhicule de façon générale et en fonction des catégories socio-professionnelles et des institutions engagées dans des pratiques interculturelles ; elle permettra aussi une réflexion sur nos connaissances, nos théories scientifiques et nos modèles socio-empiriques, qui donne une grille de lecture et d’évaluation des problématiques rencontrées dans les situations interculturelles et détermine les orientations d’action (comme le modèle de changement culturel ou le concept de développement ou la notion d’autonomisation de la personne...).
« La connaissance de l’autre culture ne viendra qu’au deuxième stade. En bref, la formation à l’interculturel est un regard posé sur notre société, sur son modèle de fonctionnement, sur la représentation qu’elle a d’elle-même, déclenché par la rencontre avec des personnes issues d’autres sociétés ».
C’est ce qu’écrivait Margalit Cohen-Emerique en 1999 (Le choc culturel. Méthode de formation et outil de recherche, Antipodes n°145). La méthode des incidents critiques, à partir de chocs culturels relatés, s’est diffusée comme outil de formation dans des groupes réunissant des travailleurs sociaux (assistants sociaux, éducateurs, animateurs) qui doivent exercer leur métier dans des contextes professionnels marqués par la diversité culturelle.
Le premier mouvement d’une formation à l’interculturel est donc, selon Margalit Cohen-Emerique, celui du changement de regard sur soi : c’est le fait de comprendre, à partir de l’image que l’autre nous renvoie, que notre vision du monde n’est pas universelle mais est aussi culturellement marquée.
Si nous parvenons à nous voir comme le produit d’une culture parmi d’autres, une porte s’ouvre pour lire l’autre autrement, dans un dialogue de culture à culture. Autrement dit, c’est seulement dans un deuxième moment, et parce que justement nous avons relativisé notre regard, qu’une appréhension du point de vue de l’autre est possible.
Mais de quel autre s’agit-il ? Et qui parle pour lui ? La question de l’autre et de sa culture ne semble pas entièrement résolue par la décentration que l’on peut opérer sur soi.
D’une part, dans les contextes d’immigration qui sont les nôtres, l’autre est stigmatisé et contraint à l’assimilation, que cela lui plaise ou non ; au moment où des rencontres, des frottements ou des chocs se produisent, il a déjà accompli un parcours qui a sclérosé certains aspects de sa culture « d’origine » ou qui les a modifiés au gré des les interactions avec les autres.
D’autre part, les travailleurs sociaux sont aujourd’hui issus des communautés anciennement immigrées aussi. Leur regard est-il encore marqué par une culture originaire ou bien a-t-il été transformé, dans des multiples directions, par l’éthnicisation ou la « belgitude », et par une identité professionnelle ?
Enfin, peut-on trouver une description objective du point de vue de l’autre ? Lorsqu’on la cherche, on tombe très souvent sur des vadémécums culturels qui figent, présentent les choses de façon homogène et ne prennent pas en compte la dynamique des différents contextes d’insertion, éventuellement conflictuels, au sein d’une même culture. On peut ainsi contribuer à faire circuler des stéréotypes, encore et toujours des stéréotypes, même lorsqu’on essaie de les transformer de façon positive. Un exemple : Des Massaïs à Han-sur-Lesse.
Autrement dit, qui est l’autre, que dit-il et qui est légitime pour le dire ? Ces questionnements méritent des approfondissements, nous semble-t-il. Se poser la question de « qui est l’autre » revient aussi à tenter de cerner qui sont les « nouveaux arrivés » en Belgique. Comme le disait en 2007 Ghislaine Molai (Se former à l’Ecole des parents migrants, Antipodes n°167) : « Petit à petit nous voyons de nouvelles communautés s’installer en Belgique. Il y a eu les Italiens, les Turcs, les Marocains, et aujourd’hui les étudiants africains qui ne sont plus jamais rentrés chez eux et regroupent leurs familles en Belgique, des grands-parents aux petits-enfants ; leur nombre augmente et on ne peut plus les ignorer ».
Migrants d’hier et d’aujourd’hui présente l’évolution quantitative et par nationalité de la présence des étrangers en Belgique entre 1970 et 2008-2010. Par ailleurs, le point de vue de l’autre émerge dans des productions diverses : des récits (Réfugiés), des enquêtes (De l’Eldorado occidental au désir d’ailleurs) et des films (Pain et chocolat). Dans toutes ces productions, on retrouve l’« Histoire des petits » et leur manière de voir les choses.