Pays de raison, pays de coeur

Mise en ligne: 7 septembre 2015

Cinq questions à Reynald Blion, de l’Institut Panos Paris

Reynald Blion, vous êtes directeur du programme Migrations internationales et médias à l’Institut Panos Paris. Vous avez fait œuvre de pionnier dans l’affirmation du rôle des migrants dans la solidarité internationale. Sur quoi fondiez-vous cette option ?

Tout d’abord, au sein de l’Institut Panos Paris, nous avons pris l’option de porter notre attention aux personnes issues de l’immigration, et non aux seuls migrants. La question sémantique est importante, ici, car elle est aussi partie prenant du travail que Panos Paris a engagé depuis maintenant plus de dix ans. En effet, en s’adressant à l’ensemble des personnes issues de l’immigration, nous souhaitons prendre en compte la diversité née du fait migratoire. A savoir prendre en compte l’histoire et l’apport des primo-arrivants (les migrants) mais aussi de leurs enfants, qui, s’ils ne sont pas des migrants (certains ont pu l’être, par ailleurs), portent, dans leur propre histoire, une diversité d’apports pour nos sociétés ; apports qui se lisent et se comprennent au regard de leur identité, composée d’un ici, qui est le leur, et d’un ailleurs, qui leur a été légué par leurs parents. De même, en prenant en compte l’ensemble des personnes issues de l’immigration, nous ne souhaitons pas faire de distinguo quant aux motivations liées au fait migratoire. Ainsi, le migrant est souvent perçu comme ayant d’uniques motivations économiques, ce qui n’est pas le cas pour le réfugié, où les motivations sont politiques et dont le statut est réglé par d’autres conventions. En fondant notre travail sur les personnes issues de l’immigration, comme vous l’aurez compris, nous visons à mieux faire connaître et prendre en compte les richesses et les atouts nés de la pluralité et de la diversité des situations, des trajectoires et des pratiques telles que nos sociétés peuvent les connaître, et ce du fait migratoire et de son histoire. Cette pluralité a des conséquences sur les dynamiques sociales, économiques, politiques et culturelles tant sur les personnes elles-mêmes que sur les sociétés impliquées dans leur mouvement, qu’elles soient d’origine, de transit et d’accueil. Pour un enfant né de parents immigrés, la reconnaissance de cette identité plurielle est un élément fondamental participant de sa propre construction. Cette reconnaissance ne doit pas être le lieu de différenciation, et donc de discrimination, mais bien au contraire de valorisation de la multiplicité de ses apports à la société. Il en va de même pour ses parents. Ainsi, le fondement des choix opérés par Panos se lit au regard de cet objectif de la reconnaissance de la pluralité, née du fait migratoire, et ce pour les sociétés tant d’origine que d’accueil, même si, à l’instar des propos tenus par l’une des personnes avec qui nous travaillons, je préférerais les termes de « pays de raison », « pays de cœur ». Plus précisément dans la solidarité internationale, la reconnaissance et la prise en compte de cette pluralité représentent, pour Panos Paris, un atout indéniable et indispensable pour repenser et mettre en œuvre les politiques et programmes de coopération et d’éducation au développement. Toute démarche de coopération au développement est porteuse d’une rencontre interculturelle dans laquelle s’invitent des malentendus, des conflits, des incompréhensions, nés de ce qu’elle met en relation des mondes où les codes, les valeurs, les perceptions, les modes de régulation diffèrent. Or parce que les personnes issues de l’immigration sont d’ici, elles ont donc une connaissance et une pratique de nos sociétés. Mais comme elles sont aussi d’ailleurs, elles disposent également d’une connaissance et d’une pratique des sociétés avec lesquelles tout acteur du développement entend nouer et initier des liens de coopération et de solidarité. Même si cette connaissance peut être idéalisée, elle n’en reste pas moins une connaissance dont aucune autre personne ne peut disposer. J’insiste sur ce point car, souvent de nombreux arguments sont avancés pour prétexter une négation de ce fait. En résumé, ces arguments consistent à évoquer soit la longueur du séjour, soit la connaissance par transmission : « Oui, mais ils sont là depuis longtemps, ils ne connaissent pas les réalités actuelles du pays d’origine » ou, encore, « Oui, mais ce sont des enfants nés de parents immigrés, ils ne savent que ce que leurs parents leur ont raconté ». Dans un cas comme dans l’autre, cette attitude consiste à nier un certain nombre de faits fondamentaux nés de l’intimité que toute personne a avec ses origines. Même idéalisée, cette réalité est un fait au demeurant inestimable que toute personne ne disposant pas de cette caractéristique ne peut revendiquer. C’est sur la base de ces deux principes ou postulats —reconnaissance de l’entièreté de la personne et de ses apports dans nos sociétés et de ses atouts pour le monde de la solidarité internationale— que Panos Paris a engagé son action dans le champ, désormais appelé, même si souvent mal défini, Migrations et développement.

Depuis le temps que vous avez commencé à travailler dans ce domaine, au milieu des années nonante, tout d’abord à la Cimade puis à l’Institut Panos Paris, quelles sont les avancées principales qui se sont vérifiées ?

Il est toujours difficile de parler d’avancées dans ce domaine, tant il me semble que certaines auraient dû être posées comme des évidences par les différents acteurs en charge ou en relation avec les personnes issues de l’immigration ; je pense particulièrement à ceux œuvrant dans le champ de la solidarité internationale et de la coopération au développement. Mais bon, acceptons ce jeu des avancées. Je pense qu’indéniablement, il y a eu d’importants changements dans le contexte politique européen qui ont permis de mieux approcher cette question des relations entre sociétés d’accueil, d’origine et de transit, initiées, nouées, maintenues par les personnes issues de l’immigration et de leur impact sur les dynamiques économiques, sociales, politiques et culturels des mondes connectés, ce que d’autres appelleront « développement ». Je ne fais pas ici référence au « co-développement » —dont on ne sait toujours pas ce qu’il est— mais aux volontés constatées au sein de différents Etats européens de prendre en compte les personnes issues de l’immigration et leurs organisations dans la définition et la mise en œuvre de leur politique de coopération et d’éducation au développement. Cela s’est traduit sous différentes formes. Mais en Angleterre et en France, l’option retenue a été le soutien à la création de plate-formes nationales regroupant les Organisations de solidarité internationale issues des migrations, OSIM. Autonomes et indépendantes de tout autre acteur de la coopération au développement dans leur choix politique et stratégique, ces plate-formes entendent être des lieux de mise en réseau, de lobbying, de formation, d’accompagnement des actions de manière à renforcer la capacité des OSIM à intervenir dans le champ de la coopération au développement. En France, à la création du FORIM s’est ajoutée la mise en place de programmes spécifiques de soutien à des microprojets portés par les OSIM. Pour un pays où le débat sur les pratiques de discrimination positive est à peine entamé, pour ne pas dire compris dans ses enjeux et ses fondements, sans évoquer sa pertinence, cela relève effectivement d’une réelle avancée. Je m’amuse, d’ailleurs, de constater que dans ces deux pays, si radicalement différents dans leur mode d’insertion des personnes issues de l’immigration, l’option retenue ait été la même. De son côté, la Belgique a initié depuis quatre ans une démarche à peu près similaire au travers de la mise en place de la plate-forme Migrations et développement et de son programme d’action, à la différence que cette plate-forme regroupe OSIM et ONG, et est adossée, administrativement, à un regroupement d’ONG. De même dans d’autres Etats européens (Italie, Portugal, Pays-Bas…), même si les modalités diffèrent, il est important de constater que cette question est désormais dans les agendas tant gouvernementaux que non gouvernementaux. Aux Pays-Bas, les quatre ONG de cofinancement, sous l’impulsion du ministère de la coopération, ont été invitées à développer des programmes spécifiques, qui, certes, en sont à leur démarrage mais l’action est lancée. Au Portugal, le travail initié par le CIDAC a permis de révéler aux autres acteurs de la coopération au développement l’existence même des pratiques des personnes issues de l’immigration et de leurs organisations dans le champ de la coopération au développement. En Italie, cette question a pris le chemin de la coopération décentralisée et de l’apport des personnes issues de l’immigration dans ce domaine. En bref, partout le débat avance, y compris au sein de l’Union européenne, comme en témoigne sa communication de décembre 2000 en vue de l’instauration d’une politique communautaire d’immigration. D’autres communications de la Commission continueront, ensuite et régulièrement, à enfoncer le clou de la prise en compte des personnes issues de l’immigration comme acteurs légitimes de ce champ d’action. Sur tous ces points, nous pouvons dire que nous constatons des avancées. Par contre, il est un bémol à mettre à cet optimisme qui pourrait paraître un peu trop forcené. En effet, je pense que si sur le plan du débat, voire des actions, des avancées ont pu être constatées —voir à ce propos le rapport voté par le Sénat belge sous l’impulsion du sénateur Jean Cornil et de la Présidente Anne-Marie Lizin—, il n’en reste pas moins que la question de l’analyse des motivations, des attentes et des apports de chacun des acteurs en présence reste insuffisamment creusée. De cette insuffisance peuvent naître, de part et d’autre, des malentendus et des incompréhensions quant au rôle et à la place que chaque famille d’acteurs pourra prendre au sein de la coopération et de l’éducation au développement, ainsi inévitablement redéfinies. Nous voyons ainsi aboutir des décisions malheureuses, à l’instar de celles prises récemment par le secrétariat d’Etat belge à la coopération concernant le plan de financement de la plate-forme Migration et développement et son non-renouvellement alors que le Sénat venait de voter un rapport l’encourageant à aller dans ce sens !

D’après la base de données de l’Institut Panos Paris, 34 projets d’Organisations de solidarité internationale issues des migrations présentent une dimension en lien avec la formation. En Belgique, il s’agit principalement des associations issues des communautés congolaise et marocaine. Que cherchent ces associations en voulant former leurs membres ?

J’avoue que je ne connais malheureusement pas dans les détails le contenu des 34 projets auxquels vous faites référence, ni parfois ce que l’on entend par « formation ». Mais, à mon sens, il n’en demeure pas moins que le domaine d’action privilégié des OSIM devrait effectivement être le domaine des échanges de compétences et de savoir-faire. Mais si chacun est conscient que la formation regroupe des compétences et des capacités spécifiques, il n’en reste pas moins que les échanges de compétences et de savoir-faire sont autant de lieux d’information mais aussi de formation pour l’ensemble des acteurs impliqués dans ces échanges, que ceux-ci aient lieu en Europe ou dans les pays d’origine des OSIM impliquées dans ces actions. J’aimerais m’arrêter sur ce point car il est, à mon sens, déterminant. Je crois qu’une erreur fondamentale risque d’être commise si nous n’y prenons pas garde. En effet, bien souvent, quand sont évoquées les OSIM, les personnes issues de l’immigration et leur participation au développement, ne sont retenues que deux questions : la première concerne celle de l’épargne migratoire (et notamment les fonds envoyés aux pays d’origine) et la seconde celle de leur contribution au seul pays d’origine. Or, comme différentes études l’ont montré, l’épargne migratoire diminue à mesure que l’insertion dans la société actuelle de résidence (société d’accueil) se fait. A terme, les taux de transferts opérés en direction des pays d’origine s’estompent. Et cela est d’autant plus vrai quand s’opère un changement de génération dans l’histoire migratoire d’une communauté. Par ailleurs, ne prendre en compte que la seule dimension de la relation au pays d’origine, et ne pas l’intégrer dans une dimension globale la reliant à la société d’accueil, consiste en une négation de l’identité des personnes issues de l’immigration et de leurs apports. En effet, la plupart des actions portées par les OSIM ont une double dimension Développement (pays d’origine) - Intégration (pays d’accueil). Ces deux dimensions sont constitutives de ce que sont leurs pratiques mais aussi tout simplement de ce qu’elles sont. Ces deux restrictions sont souvent portées par les autres acteurs du champ de la coopération au développement. Pour des raisons stratégiques, les OSIM dans certains pays ont eu tendance à emboîter le pas de ces restrictions pour mieux faire reconnaître leur rôle et leurs potentialités. Sur cette base, et compte tenu des remarques précédentes, que se passera-t-il le jour où les transferts se seront taris, à tout le moins auront fortement diminué, et surtout le jour où il y aura changement multiple de générations au sein des différentes communautés ? Autrement dit, cela ne risque-t-il pas à terme de remettre en cause cette reconnaissance qui est en cours aujourd’hui, puisque les deux spécificités principalement retenues risquent elles-mêmes de disparaître. Or je pense que les spécificités des personnes issues de l’immigration et de leurs organisations résident ailleurs. Elles sont dans leur capacité à initier des échanges, notamment de savoir-faire et de compétences, entre les sociétés impliquées dans le champ de la coopération au développement. Prenons l’exemple de FEDA en France. FEDA —Femmes et développement en Algérie— est un regroupement de femmes issues de l’immigration algérienne. Depuis le début des années nonante, FEDA a mis en œuvre un programme de mise en réseau et d’échanges d’expériences entre femmes artisanes installées sur l’ensemble du territoire algérien de façon, d’une part, à renforcer la capacité de ces femmes à produire et vendre pour le marché local et, d’autre part, à développer leur accès au marché européen, notamment français. Aujourd’hui, ce programme tend à impliquer avec d’autres acteurs des femmes artisanes installées dans les différents pays du pourtour méditerranéen. Mais restons sur l’exemple algérien. Je ne reviendrais pas sur l’ensemble des motivations et des choix opérés par FEDA et ses membres. L’important concerne l’apport mutuel des échanges initiés ainsi pour ces deux groupes, les femmes issues de l’immigration algérienne en France et les femmes algériennes artisanes en Algérie. Pour les membres de FEDA, leur apport a consisté essentiellement en l’accompagnement et le soutien à la mise en place de structures de gestion collective et démocratique, autonome de tout pouvoir, notamment de celui des hommes, de manière à renforcer la capacité des femmes algériennes à reprendre le contrôle de leur propre avenir. Par ailleurs, les membres de FEDA ont, également, apporté un appui dans la définition et la conception des produits des artisanes, à tout le moins pour ceux destinés à l’exportation vers le marché français. Cet appui a consisté en la mise en relation avec des chambres d’artisanat en France, avec des lieux de revente, etc. En bref, ces membres ont ainsi apporté leur connaissance des goûts, des modes de consommation prévalant en France. Mais cette relation n’est pas allée en ce sens uniquement. En effet, inversement, les femmes artisanes algériennes ont apporté à FEDA une meilleure connaissance de leurs contraintes techniques et d’approvisionnement liées à leur métier, à leur savoir-faire. Mais surtout, elles ont aussi contribué à mieux faire comprendre les réalités politiques et économiques vécues en Algérie, notamment pour les femmes et ainsi à mieux définir les actions d’information et de plaidoyer que FEDA peut développer en France auprès de divers acteurs de la coopération au développement sur la situation algérienne. Enfin, elles ont indéniablement permis aux femmes issues de l’immigration algérienne installée en France de (re)nouer différemment des liens avec une part de leur histoire, de leurs origines et ce dans un contexte particulièrement difficile de guerre civile où ont prévalu dénigrement et repli sur soi. Le partage de la langue, la confiance mutuelle née d’une histoire commune, l’intimité née de l’appartenance, même si partagée, à de mêmes origines ont été autant de facteurs facilitant la mise en place de ces échanges et le renforcement de l’action de FEDA et des femmes artisanes algériennes. Cet exemple n’est pas unique. Même si dans certains cas les actions empruntent des voies différentes, il n’en reste pas moins que les échanges de compétence et de savoir-faire sont au cœur des pratiques des OSIM. Cela vaut aussi pour les actions qui pourraient être envisagées par les OSIM en direction de leurs consœurs ONG en Europe.

La plupart des formations proposées aux migrants, en dehors du cadre de la solidarité internationale, sont de type qualifiant, en lien avec l’accès au marché de l’emploi. Quels commentaires vous suggère cette réalité ? Faut-il organiser des formations spécifiques pour ce public ou alors faciliter son accès à des formations préexistantes ?

Je ne suis pas un spécialiste de la formation professionnelle. Toutefois, le fait que les formations soient de type qualifiant en vue de répondre aux besoins du marché du travail n’est pas spécifique aux personnes issues de l’immigration mais à toute personne souhaitant bénéficier d’une formation, il me semble. En ce sens, si remise en cause doit y avoir, elle doit concerner l’ensemble des mécanismes de la formation professionnelle. Premier point. Second point, au sein de la solidarité internationale, si les formations ne sont pas reconnues comme qualifiantes, cela concerne tous les acteurs, et non seuls ceux issus de l’immigration. Donc de nouveau, si une réforme doit être poussée, elle doit l’être dans sa globalité, et non au vu de la réalité de groupes spécifiques. Par contre s’il y existe des discriminations à l’accès à la formation et à la reconnaissance et la valeur des diplômes selon la nationalité des personnes, alors effectivement dans ce cas, des actions spécifiques doivent être engagées. Non pas parce que les personnes issues de l’immigration sont « spécifiques » mais parce que la situation voulue par le législateur ou par les pratiques insidieuses de discrimination, leur oppose une discrimination « légale » ou de « fait » à l’issue de laquelle ne prévaut pas, par définition, une stricte égalité de droits. Sur ce point, ce n’est pas tant le contenu de la formation, que la reconnaissance des acquis de cette formation ou les modalités d’accès à cette formation, qui sont porteuses de discrimination. Par contre, au moins dans le champ de la solidarité internationale et cela pourrait se réfléchir pour d’autres secteurs d’activités, il serait intéressant d’envisager des formations « spécifiques » aux personnes issues de l’immigration et à leurs organisations de façon à mieux prendre en compte leurs propres caractéristiques, à savoir, notamment, la « pluriculturalité » comprise dans de leurs pratiques, le côté multisectoriel de leurs actions (bien souvent les actions de développement des OSIM comprennent aussi un volet lié à l’insertion, à la citoyenneté dans le pays de résidence)… Sur ces points, il peut être un enjeu de développer des actions spécifiques car au-delà de la validation ainsi obtenue par la formation, cette dernière peut aussi devenir un lieu et un processus de reconnaissance et de valorisation des apports des personnes issues de l’immigration. Cela pourrait aussi se compléter par une extension des principes de la validation des acquis de l’expérience.

Plus les migrants se formeront, mieux ils pourront investir leur société d’accueil. Quels limites trouvez-vous à cette affirmation de bon sens apparent ?

Je ne sais qui a conçu cette affirmation, mais elle aussi stupide qu’inutile. Ce serait comme dire plus les femmes se formeront, plus elles seront investies, idem pour les jeunes. Certes, l’enjeu de la formation et, surtout de la validation des acquis de l’expérience, est réel pour toute personne exclue socialement et économiquement. Mais à elle seule, la formation ne peut résoudre l’ensemble des difficultés rencontrées à l’insertion. Les discriminations à l’accès à la santé, à l’emploi, à l’éducation et au logement sont réelles pour les personnes issues de l’immigration, mais aussi pour les femmes et les jeunes. Lutter contre ces discriminations ne peut passer uniquement par la formation ; cela requiert aussi des choix volontaristes de la part de nos sociétés et des politiques mises en œuvre. Car, et excusez-moi d’être aussi direct, toute formation ne pourra ôter certains signes déclencheurs, à l’égard de certains groupes par d’autres groupes, de discrimination comme l’âge, le sexe ou encore la couleur de peau ! Il s’agit aussi et avant tout d’une question de droit et de politique. Une première action dans les différents Etats européens pourrait sur ce point consister en une identification des lieux de création de discrimination nés de la loi elle-même. Et dans certains secteurs, ces lieux sont nombreux (non reconnaissance des diplômes acquis par un étranger, fonction publique à l’accès limité, voire interdit…). Mais plus globalement, au-delà de son contenu, ce qui me choque est le sens même de cette affirmation : « Plus les migrants se formeront, mieux ils pourront investir la société ». Elle rejoint, en cela, les propos tenus en France, mais aussi dans d’autres pays européens, sur l’intégration… Celle-ci est vue comme devant être le fait des personnes elles-mêmes. Cela se lit dans les discours des politiques ou des praticiens (« les étrangers ont pour vocation de s’intégrer, ou doivent s’intégrer ») mais aussi dans les programmes initiés qui sont toujours conçus comme étant au bénéfice des personnes issues de l’immigration pour qu’elles s’intègrent, comme vous le dites, qu’elles s’investissent dans la société d’accueil. Mais s’est-on jamais interrogé, d’une part, sur les efforts déjà suffisamment consentis par ces personnes pour justement pouvoir s’investir dans leur société et, d’autre part, sur les efforts que devraient consentir nos sociétés pour investir le champ de la pluriculturalité née de la diversité de ses composantes ? S’est-on interrogé sur les programmes à mettre en œuvre pour que nos sociétés intègrent collectivement la diversité, comme un fait majeur et caractéristique des dynamiques sociales actuelles ? Autrement dit, il est demandé aux personnes issues de l’immigration de s’investir, de s’intégrer, dans leur société d’accueil mais il peut être aussi demandé à cette même société de s’investir dans cette diversité, aujourd’hui incontournable, de ses composantes.