L’aller-retour incessant des Polonais de Belgique

Mise en ligne: 5 octobre 2015

Ils posent du carrelage, réparent des meubles, installent des toits. Elles gardent des enfants et font des ménages. Ce sont les « Belzyki », les Polonais de Belgique

Extrait du journal polonais Polytika et reproduit par le Courrier international

L’avenir radieux dont on parle beaucoup à Siemiatycze s’appelle la Belgique. Avant l’« état de guerre » du général Jaruzelski, de 1981 à 1983, la ville, qui compte 16 mille habitants, avait déjà commencé à bouger. Tout d’abord en avion, vers les Etats-Unis et le Canada. Mais, depuis le milieu des années quatre-vingt, Siemiatycze voyage en bus. « Pourquoi Bruxelles ? C’est peut-être à cause des nombreux habitants qui s’y sont installés à l’époque de Solidarnosc », explique Jery Nowicki, éditeur et rédacteur en chef de l’hebdomadaire Glos Siemiatycz (La voix de Siemiatycze).

« Avant les années nonante, le voyage vers l’Europe n’était pas facile, se souvient Zbigniew Radomski, directeur de la société de transports PKS à Siemiatycze. Il fallait d’abord traverser la RDA. On nous rackettait, on nous gardait pendant des heures à la frontière, parfois, on nous forçait à faire demi-tour ». A l’époque, l’entreprise était au bord de la faillite. Cinq ans après la chute du Mur, grâce à la ligne Siemiatycze-Bruxelles, sa filiale de Bialystok est devenue la plus rentable de Pologne. Aujourd’hui, Zbigniew Radomski exploite douze bus tout confort.

Dans les années quatre-vingt, la communauté de Siemiatycze a pris de l’importance à Bruxelles. Depuis, elle y a ses rues, ses commerces. Les enfants du pays font venir les leurs, ils leur trouvent un toit et un travail au noir. Les Belzyki (les Belgique) travaillent dans le bâtiment, passent à Bruxelles un ou deux mois, trois au grand maximum. Ensuite, pétris de nostalgie, ils retournent au pays se reposer. Pendant sa période de repos, le Belzyk cède sont travail à ses copains ou à ses proches, car le travail est précieux. « Un Belge ne prend pas de risques pour un inconnu : il te donnera un travail si tu es introduit par quelqu’un de confiance. C’est pourquoi les relations employeur- employé sont très solides », explique Andrzej, vendeur d’électro-ménager à Siemiatycze, dont la femme va bientôt revenir de Bruxelles, où elle fait des ménages. Elle a hérité sa place de sa mère, qui, elle, l’avait eue d’une voisine... « Il faut que je lui trouve d’urgence une remplaçante », dit Andrzej, qui sait parfaitement que ce ne sera pas facile. Peut-être devra-t-il vendre la place à une étrangère.

Un Belzyk, c’est deux hommes en un. En Belgique, il est perdu et constamment fatigué : un gars qui travaille dur, qui habite n’importe où et mange n’importe quoi. Selon les Polonais de Belgique, un Belzyk est facile à reconnaître par son manque de manières et par le fait qu’il est souvent ivre. Une fois à Siemiatycze, le Belzyk se métamorphose : il devient sûr de lui, on le voit partout. En cas de réussite, il achète une voiture neuve. Parfois il ouvre un commerce, il construit sa maison dans la partie de la ville qui s’appelle le hameau des Belzyki. Sa femme, qui a passé son temps à Bruxelles à faire des ménages, loue à son tour les services de jeunes Biélorusses, moyennant 3 à 5 zlotys (entre un et deux euros) l’heure, et elle sait devenir une patronne sévère et exigeante. Après tout, elle sait bien comment faire le ménage... Puis, elle repart de nouveau pour la Belgique, afin d’assurer un avenir meilleur à ses enfants.

Les enfants des Belzyki posent d’ailleurs quelques problèmes. « Ils ont de l’argent, mais pas de parents », avoue Waldemar Fleks, maire de la ville. « Ils sont élevés par les grands-parents, par une famille plus ou moins éloignée, voire par les voisins. Les échecs scolaires sont fréquents ». « Nous n‘avons plus d’interlocuteurs » confirme Halina Wysocka, directrice du lycée de la ville. Telles les cigognes, les mères de Siemiatycze quittent le pays à l’automne, mais, auparavant, elles expédient leurs enfants à l’école.

« Ces voyages incessants font se développer une pathologie sociale », affirme Boguslav Toczko, commandant local de la police. Une partie des enfants de Belzyki se retrouvent en infraction avec la loi, et certains en marge de la société. La moitié des affaires traitées par son bureau sont plus ou moins liées à la Belgique. Selon le quotidien national Rzezpospolita, Siemiatycze est le plus important centre de consommation de drogue de la région.

Pour le maire, Waldemar Fleks, les Belzyki constituent une force économique. « Dans notre ville, il y a 1.040 entreprises, contre 700 dans des villes de taille comparable. Et, chaque année, une centaine de nouvelles entreprises sont créées ». C’est Simiatycze qui compte le plus de voitures et de nouvelles maisons dans la région, on en construit au moins quatre-vingt tous les ans. Le prix des terrains constructibles flambe : dix dollars le mètre carré, contre cinq ailleurs. En revanche, le taux de chômage est le plus bas de la région : 7% contre 12,5% dans le reste de la Voïvodie et 13, 8 dans l’ensemble du pays.

Le style de vie décontracté importé de Belgique déçoit le maire. « Une course à la consommation s’installe… De nombreux couples supportent mal l’éloignement prolongé et se séparent ». Selon Halina Wysocka, seuls ceux qui n’ont aucune chance de trouver du travail sur place partent pour la Belgique. Certains y restent pendant des années. Et tant mieux. « J’ai du mal à imaginer le retour de toute cette Belgique à Siemiatycze. Ce serait une catastrophe pour la ville », dit-elle.