Victimes d’une triple discrimination, en tant qu’étrangères, travailleuses et femmes, elles tentent la difficile intégration par l’emploi, par Jeannine Moninga-Gbogbu
Les femmes forment un contingent de plus en plus important dans les flux migratoires à destination de l’Europe. Cette tendance manifeste à la féminisation des migrations était liée dans le temps d’abord par des demandes spécifiques en main-d’œuvre, ensuite par la politique de réunification familiale.
En Belgique, les mouvements migratoires ont commencé par le recrutement des travailleurs italiens, espagnols, grecques, maghrébins et turcs pour les industries du charbon. Ces migrations sont considérées comme les plus anciennes. Les Latino-américains, par contre, se sont plus déplacés suite aux abus de la dictature et au non-respect des droits de l’homme dans certains pays. Du côté des Africains au Sud du Sahara, ces déplacements sont plus justifiés par l’instabilité politique, les études, la crise économique.
Aujourd’hui, la part des femmes dans les migrations est plus importante. De plus en plus de femmes changent seules de pays en tant que soutient principal de leur famille. Mais les statistiques existantes ne permettent pas de déterminer avec certitude le pourcentage de femmes dans les communautés immigrées. Et pourtant, elles sont là.
Toutefois, les raisons qui justifient cette vague des migrations féminines sont multiples. Il y a lieu de citer la demande croissante de main-d’œuvre dans des secteurs traditionnels dits féminins, particulièrement le service domestique et les soins aux personnes. Ces emplois sont ceux que la main-d’œuvre locale a longtemps dédaignés et n’accepte plus.
D’autres raisons évoquées sont les stratégies familiales de survie liées à la dégradation des conditions de vie dans de nombreux pays du Sud, la répression de certains régimes en place, les catastrophes naturelles et les guerres, l’absence d’opportunités d’emplois dans les pays d’origine, le manque de perspectives de réalisation personnelle, les salaires très bas et la pauvreté.
En Belgique, néanmoins, l’accueil réservé aux immigrées est souvent loin d’être chaleureux. Faute de trouver une approche satisfaisante et au risque de s’installer dans une impasse totale due à l’absence d’une politique réelle d’accueil et de structures bien définies d’encadrement des nouveaux arrivés, les migrantes ont créé leurs propres organisations.
Pour les immigrées, ces structures constituent un atout incontournable pour leur intégration. C’est pourquoi, elles se sont engagées dans le travail d’accueil, d’accompagnement, de médiation et d’orientation. Elles organisent des formations de remise à niveau, celles touchant à l’apprentissage de métiers et d’autres secteurs professionnels, des écoles de devoirs pour l’encadrement des enfants.
Toutes ces activités visent à susciter des réflexions pour des actions et interventions visant à améliorer les différents aspects de l’éducation, le respect de l’identité culturelle, le dialogue et les échanges constructifs entre les différentes communautés. En outre, par la mobilisation qu’elles suscitent auprès de ses membres, elles recherchent ensemble des alternatives aux problèmes qui se posent à leur intégration.
Mais l’espace conquis par les migrantes reste encore minime. De nombreux obstacles bloquent leurs actions. Ce sont notamment le manque de subventions pour financer des projets, l’insuffisance d’informations, les difficultés juridiques et administratives.
Cependant, l’intégration socio-économique des femmes migrantes est un processus qui passe principalement par l’accès à l’emploi. Cette intégration se fait de manière silencieuse. Mais, l’insertion sur le marché de l’emploi est rendue plus ardue par des obstacles de tous ordres.
D’après l’enquête que j’ai pu réaliser auprès des associations des femmes migrantes sur l’intégration des femmes migrantes sur le marché de l’emploi en Belgique, les immigrées éprouvent beaucoup de difficultés pour accéder à l’emploi. La plupart des femmes interrogées perçoivent très mal la politique belge en matière de droits des femmes et sont affectées par celle-ci. Tout cela, à en croire les migrantes, n’a pour effet que de les diviser.
S’agissant des femmes qui rejoignent leur mari dans le cadre du regroupement familial, celles-ci dépendent complètement d’eux car elles n’ont pas automatiquement droit à un permis de travail. Ce fait se traduit par des droits réduits qui font d’elles des citoyennes de second rang.
Pour les femmes seules, la situation est très chaotique. Ces dernières sont subordonnées aux personnes qui les ont fait venir en Belgique. Les tracasseries auxquelles les soumettent les agences de passeurs, pour ce qui est de la régularisation de leur situation, en constituent une parfaite illustration. Parfois, elles sont soumises aux caprices de certains employeurs sans scrupule qui les exploitent ardemment. Quant à celles qui ont réussi à briser l’étau du chômage, elles se plaignent également de discriminations. Des offres d’emploi proposées par les entreprises portent toujours des étiquettes de conditionnalité. Le droit au travail est souvent subordonné au principe de l’acquisition de la nationalité belge et d’un permis de travail. Ce qui exclut ipso facto les migrantes qui gardent leur nationalité d’origine.
Par ailleurs, certains xénophobes n’hésitent pas à désigner à tort les immigrées ayant acquis la nationalité par des termes impropres comme celui de « Nouvelles Belges ». Ce qui signifierait qu’elles sont des Belges de papier et non de souche. Ces termes négatifs sont réfutés par les immigrées, parce que teintés d’un sens péjoratif les désignant comme « des arrivistes », « des profiteuses » ou des gens qui spolient les acquis sociaux et financiers des Belges autochtones.
Dans une recherche-action menée par le Forum des migrants en 1999 auprès des différentes communautés étrangères présentes en Belgique, les femmes interviewées ont reconnu que l’acquisition de la nationalité belge constitue une étape-clé vers l’intégration. Ainsi, pour augmenter leur chance d’accéder à l’emploi, certaines femmes ont dû changer de nationalité.
La voie la plus couramment utilisée par les femmes migrantes pour leur intégration est le recours au mariage avec un conjoint belge ; mais dans la plupart des cas, ce mariage de circonstance se solde souvent par un échec. Ce qui a pour conséquence une aggravation de la situation précaire des immigrées.
De l’autre côté, il est très désolant de retrouver parfois des universitaires médecins, avocats, journalistes, économistes, engagées comme femmes de ménage, aides soignantes, faute d’avoir trouvé des emplois correspondant à leurs qualifications et ceci tout simplement parce que les diplômes étrangers ne sont pas reconnus en Belgique.
Les structures politiques et publiques existantes s’inspirent aussi des clichés et stéréotypes culturels traditionnels pour proposer aux migrantes des formations dans ces secteurs traditionnels. Ces formations les confinent dans des emplois peu qualifiés, temporaires et mal payés, sans sécurité sociale alors que, parallèlement, les femmes autochtones sont encouragées à s’investir dans des secteurs d’avenir.
L’image des femmes migrantes est souvent celle de femmes pauvres, analphabètes, soumises, travailleuses non qualifiées, facilement malléables. Réduites au silence, elles sont victimes d’une triple discrimination : en tant qu’étrangères, en tant que travailleuses et en tant que femmes. Et en cas de problèmes sur le marché de l’emploi, elles sont les premières à être licenciées. Les témoignages de quelques femmes migrantes interrogées sont assez éloquents à ce sujet :
« Je suis une réfugiée du Rwanda. Je suis ici en Belgique depuis bientôt cinq ans. J’ai mes papiers en ordre. De part ma formation de base, je suis licenciée en économie. Je me suis inscrite à l’Orbem comme demandeuse d’emploi. Là, on me propose de suivre une formation pour les soins aux personnes âgées. La conseillère-emploi qui me reçoit ajoute que c’est bon pour les Africaines parce que nous nous occupons très bien de nos vieillards. Comme je me trouvais dans une situation de faiblesse et que je tenais à travailler, j’ai accepté de suivre la dite formation. C’est pour cette raison d’ailleurs que vous trouvez plein d’immigrées dans ce genre de formations. Les institutions nous imposent certains métiers si nous voulons effectivement travailler ».
« Nous subissons des discriminations de tout ordre parce que nous sommes d’abord immigrées, ensuite femmes. Nous ne sommes bonnes que pour des emplois atypiques, avec des contrats précaires. Nous ne nous retrouvons que dans des secteurs comme aide-soignante, soins aux personnes âgées, femmes de ménage. Les emplois de responsabilité, ce n’est pas notre affaire même si nous possédons des diplômes, des compétences. C’est triste et très dure. Personne ne vous respecte ».
Comme on peut bien le constater, cette façon de voir les choses contribue à disqualifier, à dévaloriser davantage les migrantes et constitue, de ce fait, un gaspillage du capital humain. Cet écart entre les autochtones et les immigrées ne fait que s’accroître car les aptitudes et les qualifications des immigrées ne sont pas reconnues au même titre lors de l’embauche. A ce stade, peut-on vraiment se permettre de parler d’une société égalitaire ?
Mais comment faire pour remédier à cette situation ? Plutôt que de les écarter, il aurait mieux valu recourir à la solution de les associer. Et pour en finir avec ces discriminations, les migrantes exigent que le droit du travail soit distingué des notions de nationalité et de permis de travail qui bloquent toute avancée en matière de leur accès à l’emploi. Et pourtant, tout le monde sait que Belges et immigrées partagent une même communauté de destin. Ils travaillent ensemble, participent à la solidarité sociale, paient les impôts et les cotisations sociales au même titre que les Belges.
Pour cette raison, les travailleuses immigrées réaffirment leur détermination à être considérées comme des Belges à part entière. Pour atteindre cet objectif, les organisations de femmes migrantes revendiquent des moyens et se battent pour développer leur potentiel humain afin de mener une vie pleinement satisfaisante et obtenir une position respectable sur le marché de travail. Pour ces organisations, les acteurs politiques et socio-économiques doivent arriver à favoriser un climat de pluralité culturelle, d’égalité éthique, d’interactivité et de tolérance afin de promouvoir le recrutement des immigrées qualifiées pour les orienter vers des secteurs clés. Il est dès lors important que des stéréotypes négatifs vis-à-vis des femmes migrantes changent de manière à leur permettre d’intégrer pleinement la société belge. La réalisation de cet objectif souhaité par tous nécessite le soutien et la solidarité de tous afin de construire positivement une société tolérante et interculturelle.
D’où cette question fondamentale : Qui sommes-nous ? Et pourquoi nous appeler par le terme de « Nouvelles Belges » ?