Quand des associations d’origine africaine font de l’éducation au développement

Mise en ligne: 11 mars 2015

Par leurs initiatives, ces collectifs incarnent ce concept un peu flou de citoyenneté mondiale, par Jean Claude Mullens

En marge des organisations reconnues par la Coopération belge, des associations et des collectifs d’origine africaine participent depuis des décennies en milieu urbain comme rural aux objectifs et finalités de l’éducation au développement. Par leurs initiatives nombreuses et protéiformes, ces collectifs incarnent et concrétisent ce concept un peu flou de citoyenneté mondiale. Loin d’être isolés, ces associations et collectifs travaillent en réseau avec des organisations publiques ou privées plus « intégrées » (aux structures de financement), leur donnant ainsi occasionnellement accès à des appuis financiers ou matériels. Inversement, les organisations plus intégrées trouvent de par leur intermédiaire une plus grande légitimité et pertinence par rapport à certaines thématiques ou actions. L’objet de cet article est d’esquisser les pratiques et apports de ces collectifs en matière de développement et d’éducation au développement.

Le premier acteur rencontré vit et travaille à Bruxelles. Il est engagé dans des collectifs et associations de Sénégalais en Belgique. Par ailleurs, il occupe une fonction élective au niveau communal. Quant à la seconde personne, elle est belgo-congolaise, originaire du Congo RDC. D’abord avec sa famille, puis avec des bénévoles, elle a crée en milieu rural, dans une ancienne région minière du sud du Hainaut, l’association Les Ailes du phoenix. Nous évoquerons enfin, mais très brièvement, deux associations issues de la diaspora africaine et ayant participé à l’organisation, en février 2015, d’une commémoration autour des cinquante ans de l’assassinat de Malcolm X.

Des Sénégalais de Bruxelles

En 2003, Ibou a participé à la création de l’Association des Sénégalais et sympathisants de Bruxelles et environs (Senebel), connue aujourd’hui sous le nom de l’Association des Sénégalais et sympathisants de Belgique (Assbe). A l’origine, l’association visait à fédérer et organiser la communauté sénégalaise de Bruxelles, puis de Belgique. Elle cherchait à créer « un enracinement des us et coutumes du Sénégal, mais aussi une meilleure intégration dans la société belge ». Comme l’explique Ibou, dans la nouvelle configuration du pays, en Belgique, les relations familiales, le financement des études, l’emploi, l’aide judiciaire, la maladie, la mort, sont autant de questions vitales et urgentes qui se posent à la communauté, et auxquelles elle doit répondre.

Au début, un des enjeux cruciaux de l’association était de générer assez rapidement des retombées positives pour ses membres. La participation aux projets de développement dans le pays d’origine était relativement secondaire, comme l’explique Ibou : « Comment faire du développement au Sénégal, si déjà on n’est pas intégré ici ? ».

Lorsqu’Ibou compare l’approche et les problématiques traitées par les fondateurs de Senebel et celles de la nouvelle génération, il a l’impression d’une continuité, mais également d’une rupture par rapport à la plus grande volonté des jeunes « d’avoir leur mot à dire » sur les débats politiques qui animent le Sénégal. La nouvelle génération est ainsi davantage en relation avec l’ambassade du Sénégal. Ces jeunes sont aussi plus mobilisés autour d’actions ponctuelles qui varient souvent au gré des événements qui touchent la communauté sénégalaise de Belgique. On trouve ainsi sur le site internet de l’association certes des appels à la mobilisation pour les sans papiers, mais aussi des avis de décès, des appels à la solidarité pour des récoltes de fonds. Si Ibou reconnaît l’importance de ces mobilisations conjoncturelles, il relève toutefois que ces actions se font peut-être au détriment d’actions plus structurelles, plus structurantes en termes de développement ou d’éducation au développement.

Lors de l’entretien, Ibou a d’abord insisté sur le rôle que jouent, mais que pourraient jouer davantage, les migrants dans les politiques de développement. Il constate et regrette un certain déficit de participation des migrants dans les politiques de développement qu’il attribue au fait que ces politiques se négocient principalement au niveau des Etats. Qu’en définitive, les pays du Nord travaillent essentiellement avec les pays du Sud via la coopération bilatérale, donc interétatique, et que dans cette configuration, les migrants et les Osim (organisations de solidarité internationale issues des migrations), dans la mesure où ils se situent en dehors des Etats du Sud, sont « naturellement » exclus des processus de définition des politiques de développement qui pourtant les concernent. L’exclusion des Osim, selon Ibou, est aussi symptomatique d’une certaine incapacité des Etats à articuler de manière simultanée développement économique et démocratisation des sociétés. Dans ce contexte, les Osim ont davantage tendance à adopter une posture de dépendance et d’allégeance à l’égard des ambassades, et donc des structures étatiques des pays d’origine.

Dans la mesure où les politiques de développement sont généralement conçues dans les pays du Nord, il est évident pour Ibou que les migrants doivent peser à partir des pays dans lesquels ils vivent. En général, les migrants connaissent très bien leur pays d’origine, ses cultures, ses systèmes de représentations, ses traditions familiales, ses pratiques économiques, pourquoi se priver de ces savoirs et compétences ? Dans le domaine des mutualités, Ibou évoque par exemple sa participation à l’écriture d’un mémorandum pour le Parti Socialiste sur les manières de mettre en place un système de mutuelles au Sénégal.

Pour Ibou, il est aussi important que cet élargissement de la participation, cette démocratisation des politiques de développement passe par l’intégration des acteurs issus des Osim dans les conseils d’administration et les assemblées générales des ONG et des associations plus intégrées aux structures de financement. Les migrants devraient aussi davantage participer aux différents groupes qui élaborent par exemple les critères de sélection dans les appels à projet. D’autant plus, lorsque ces appels à projets concernent des thématiques qui intéressent les migrants, entre autres comme groupe « cible » de l’appel à projet. Comme l’explique Ibou, « avant les appels à projets, il faudrait pouvoir discuter avec nous de ce que nous savons de nos besoins. Il faut intégrer le problème et la solution au processus. Il faut que nous puissions dire : voilà, nous pensons qu’il faudrait faire ça, nous voudrions ça, comment penser avec vous pour y arriver ? ».

Dans le domaine de l’éducation au développement, Ibou intervient également de manière occasionnelle dans l’information ou l’accompagnement de petits projets menés dans son pays d’origine. Il porte un regard assez ambivalent sur ces initiatives. Il se demande parfois si ces voyages d’immersion dans les pays du Sud n’ont pas pour prétexte d’essayer de faire comprendre aux jeunes Européens, nés dans de bonnes familles, bien pourvues, qu’ils ont de la chance de ne pas vivre dans la pauvreté, qu’ils devraient être heureux d’être nés en Belgique. C’est la raison pour laquelle, selon Ibou, si on veut que ces voyages aident à dépasser certains clichés, il faudrait impliquer davantage les migrants dans ces projets de voyages scolaires ou associatifs. Tant pour la préparation du voyage, que pour l’accompagnement sur place.

Récemment, Ibou a ainsi été sollicité pour évoquer la vie au Sénégal dans une école d’une commune cossue de Bruxelles en jumelage avec une école sénégalaise. Lors de la réunion avec les encadrants, les élèves et le comité de parents, Ibou a présenté la région du Sénégal où est située l’école. Cette rencontre a été l’occasion de parler de la santé, de l’éducation, de l’économie et de la culture du Sénégal à un groupe finalement assez hétéroclite. Par rapport aux questions posées par le public, Ibou a le sentiment qu’il y a encore beaucoup de travail à faire, « les questions qu’on te pose sont de celles que tu n’as pas envie d’entendre, du genre : Est-ce que ce n’est pas trop dangereux ? Et les serpents ? Les problèmes d’ensorcellement... Difficile de ne pas se demander si on vit dans le même monde quand on constate la méconnaissance de l’Afrique ». Selon Ibou, en parlant presque exclusivement du soleil en hiver, des côtés exotiques du voyage, on sort du voyage, selon Ibou, l’importance de l’objet social qui tient au développement, à l’éducation au développement et au changement de mentalités.

Ibou ressent ce même décalage lorsqu’il évoque un autre projet d’échange entre l’école de sa fille et une école de la banlieue de Dakar. Consulté par l’école, il a conseillé aux institutrices de commencer par organiser un échange « virtuel » entre deux classes, et d’ensuite de l’élargir petit à petit à toute l’école. Les interactions entre la famille et la l’école deviennent ensuite un peu plus surprenantes, lorsque sa fille de retour de l’école lui raconte que ses camarades n’arrêtent pas de lui poser des questions un peu « idiotes » sur le Sénégal : « Comment faites-vous pour mettre les bancs dans les arbres ? Comment vit-on dans une hutte ? ». Face à ces questions très clichés, sa fille s’est un peu faite éducatrice au développement en invitant ses camarades de classe à voir un film sur le Sénégal. Comme l’explique Ibou, elle avait envie de répondre à leurs clichés sans s’énerver. A la suite de la projection, les autres enfants étaient fascinés par le Sénégal, et la fille de Ibou se sentait valorisée.

Ibou voit aussi dans l’économie sociale un champ d’action à développer avec les migrants. Les personnes issues des migrations sont souvent dans une telle situation d’urgence par rapport à l’emploi qu’ils se disent souvent être prêts à faire n’importe quoi comme travail. Dans le cadre de son travail, Ibou essaye d’orienter ce public vers des métiers ou des formations plus proches de leurs inclinations. Il a aussi développé un projet de formation professionnelle avec des artistes et artisans originaires du Sud autour de la fabrication d’objets artistiques ou utilitaires qui étaient ensuite mis en vente dans une boutique de la commune.

Dans le domaine du bâtiment, Ibou voit aussi des possibilités d’articulation entre formation professionnelle des migrants, action sociale et culturelle. La commune dans laquelle il travaille a par exemple mis en place un projet de rénovation de bâtiments essentiellement au profit de locataires et de petits propriétaires disposant de ressources insuffisantes pour réaliser des travaux importants avec des entrepreneurs privés. Comme l’explique Ibou, dans la formation professionnelle, en général, 60% des stagiaires sont d’origine étrangère, et il y a 80% de femmes. Voilà des espaces qu’on devrait davantage investir...

Les Ailes du phoenix

Fernande et son mari, Jean-Marie, habitent Bernissart depuis une quinzaine d’année. C’est là, dans cette ancienne région minière du sud du Hainaut qu’ils ont créé l’association Les Ailes du phoenix. Lors de l’entretien, Fernande a d’abord évoqué son parcours qui l’a amenée, elle et sa famille, à créer l’association.

Au début des années nonante, Fernande et son mari fuient le Congo en pleine guerre civile. Ils s’installent en Région flamande, dans la proche périphérie de Bruxelles. De nationalité belge au Congo, Fernande et sa famille n’ont pas dû vivre le problème d’être sans papiers. Comme l’explique Fernande : « Moi, j’avais mes papiers, ça nous permettait de nous installer d’une autre façon…Je me disais, je suis ici, alors que faire en tant que personne qui va, ou pas, retourner au pays ? Concrètement, que faire ? »

Fernande évoque ces soirées en famille, devant la télévision, avec son flot de guerres et de catastrophes, le génocide au Rwanda, des enfants affamés, le gaspillage en Europe, la Somalie, les femmes violées, la pauvreté en Belgique. Des soirées en famille autour de ces questions : « On fait quoi ? Qu’est-ce qu’on peut faire ? En tout cas, on ne peut pas rester sans rien faire ? », « Où trouver d’autres personnes qui se posent les même questions ? », « Comment sortir de la résignation ? ». Au milieu de ces interrogations, des intuitions et des désirs, échanger des idées entre ici et là-bas, d’ici vers là-bas.

Lorsque la famille déménage à Bernissart, ils sont définitivement ancrés en Belgique. Se pose alors la question, à partir de là que faire ? Il y avait bien sûr ce constat : on gaspille trop. D’un côté, il y a des gens qui manquent de tout, et de l’autre, il y a ces gens qui gaspillent parce qu’ils en ont trop. Il y avait aussi cet autre constat, presque trivial, il y a trop peu d’échanges et de communication entre les gens. Personne ne se salue dans la rue, personne ne se dit bonjour. Des petites choses qui en disaient long pour Fernande et Jean-Marie sur l’état du vivre ensemble.

Emerge de plus en plus la conviction qu’on ne peut pas faire du développement seul, qu’il faut s’associer à d’autres. Fernande suit alors la formation organisée par ITECO, Ici et ailleurs, que faire ? La formation comme elle dit donne du sens à ce qu’elle était en train de vivre. La formation la conforte dans ses intuitions, confirme « ce qui dormait en moi », c’est-à-dire, remettre les personnes au milieu de ce qu’il se passe, mobiliser leur parole. Les questions de son engagement devenaient aussi « que faire avec cette double appartenance ? », « comment partager avec les gens d’ici ce qu’on a ? », « comment être dans une logique de participation et de respect ? ». La formation d’ITECO l’a confronté aussi à de jeunes « Belgo-Belges » qui déroutaient ses représentations des jeunes Européens. Comme elle l’explique c’était assez réconfortant de voir ces jeunes avec de l’expérience qui avaient un regard critique sur le monde tel qu’il va, sur la colonisation, les rapports Nord-Sud, l’économie, qui aiment la justice.

A Bernissart, la famille de Fernande a très vite eu le sentiment qu’il y avait des choses à faire. Ils ne pouvaient pas à l’époque faire des actions au Congo à cause de la situation politique. Il y avait aussi ce que Fernande appelle les cicatrices et les deuils de toutes sortes qui les amenaient à voir les choses autrement, les injustices, la dictature dans leur pays, le développement (c’est quoi ? ça passe par quoi ?). C’est alors qu’ils créent en 2007 Les Ailes du phoenix, dont la porte d’entrée la plus évidente est la distribution de colis alimentaires. Mais cette activité comme dit Fernande est surtout un prétexte ou occasion pour créer du vivre ensemble. Une manière de rencontrer l’autre, d’humaniser les relations sociales, de se donner de l’espoir face aux difficultés. Les Ailes du phoenix s’est d’abord fait connaître en passant par le bouche à oreille, ensuite via le Centre public d’aide sociale et la plateforme sociale de Bernissart. Comme l’évoque Fernande, il s’agissait au début de se rapprocher des autres, d’échanger des expériences. On ne trouve pas chez Fernande de critique à l’égard des professionnels du travail social ou éducatif ou même de critique vis-à-vis des institutions publiques mais plutôt un désir de complémentarité, de travailler en réseau avec d’autres organisations. Les Ailes du phœnix ont de cette manière progressivement élargi le nombre de familles bénéficiant de colis alimentaires. Des bénévoles, parfois d’anciens bénéficiaires, ont rejoint l’association. Aujourd’hui plus ou moins 150 personnes s’approvisionnent aux Ailes du phœnix.

Parallèlement à la distribution de colis alimentaires, Les Ailes du phœnix organisent également des rencontres et sorties interculturelles et intergénérationnelles. Ils animent un jardin solidaire, avec pour objectifs de briser la solitude, de favoriser les rencontres entre cultures et générations, de lutter contre l’exclusion, et d’aider les personnes démunies et défavorisées (personnes de troisième âge, dépressives…) en Belgique et à l’étranger à améliorer leurs conditions de vie. Ils bénéficient aussi de l’appui d’autres organisations comme Vivre ensemble ou la Fondation Roi Baudouin. L’association est aujourd’hui reconnue comme dépôt des banques alimentaires et elle reçoit des denrées alimentaires de l’Union européenne, ainsi que les surplus de fermiers et de supermarchés des environs.

Par la porte d’entrée des colis alimentaires, Fernande et son mari ont commencé à être invités dans des églises, dans des écoles de la région pour parler de « chez nous », du Congo, de leur association, de leur parcours. Certains, lors de ces rencontres, les plus âgés évoquent un parent ayant vécu au Congo. Des élèves leur demandent : « Vous avez tout laissé là-bas ? ». D’autres habitants sont étonnés qu’ils mènent une action de solidarité dans la commune plutôt que dans leur pays d’origine. Comme l’explique Fernande : « Nous, on trouve ça tout à fait normal ». L’une des belles anecdotes, douce amère, qu’évoque Fernande porte sur la réaction d’une bénéficiaire d’un colis alimentaire qui éclate en sanglots lorsqu’elle voit que Fernande est africaine. S’écroulent les anciennes images, la « charité », les « petits Noirs », soudain, tout ça, fissuré…

A force d’audace et de ténacité, Les Ailes du phénix sont aussi parvenues à acheminer du matériel médical et scolaire, ainsi que des vêtements, des ordinateurs, et d’autres objets au Congo. Cette opération a été financée en partie grâce à une activité consistant à préparer des plats africains à domicile pour des diners en famille ou entre amis, « une très bonne manière de faire découvrir les plats de chez nous ». Poulet à la moambe, riz et feuilles de manioc, poulets grillés, bananes plantains. Pour le voyage et l’envoi de matériel au Congo, Les Ailes du phoenix ont également demandé et obtenu l’appui du Ministère de la défense. Comme l’explique Fernande, « on n’attend pas d’obtenir des subsides, on essaie de profiter des opportunités ». Mais Fernande reconnaît aussi la nécessité de pouvoir s’appuyer sur des « professionnels », de pouvoir s’épauler mutuellement, par exemple, lorsqu’elle évoque l’idée d’éventuellement travailler avec les jeunes de la cité du Préau à Bernissart. Par rapport à ces jeunes, elle estime qu’ils pourraient s’engager dans la solidarité, mais à condition qu’ils se sentent concernés, qu’ils se posent finalement la même question que celle qu’ils se posaient au début de leur parcours d’engagement : « comment sortir de la résignation ? ».

Africa Unite, hommage à Malcolm X

Ce 21 février 2015, une journée d’hommage à Malcom X a été organisée à Bruxelles au Piano Fabriek. Change, Bruxelles Panthères et de nombreuses autres associations et collectifs ont participé à l’organisation de cet événement. Il est difficile de discuter ici les thématiques et enjeux abordés à cette occasion, nous voudrions plus modestement, à partir des documents de présentation de deux organisations à l’origine de l’événement (Change et Bruxelles Panthères), ébaucher un questionnement sur les positions de ces organisations qui sont animées par une nouvelle génération de militants issue des diasporas africaines.

Change se définit elle-même comme une association dont l’objectif principal est de « créer un pôle d’attraction entre les membres de la diaspora africaine afin de développer un certain esprit d’entraide et de solidarité, ceci par le biais de divers événements (conférences, activités socioculturelles, musicales, sportives…) regroupant tous les acteurs de terrain partageant notre ambition » .

Quant au collectif Bruxelles Panthères, il se définit de manière plus explicite et politique comme « un espace de réflexion autonome de tous ceux qui veulent s’engager dans le combat contre les inégalités raciales qui cantonnent les immigrés et leurs enfants à un statut analogue à celui des indigènes dans les anciennes colonies : marginalisation politique, stigmatisation de nos cultures et religions (notamment dans les médias), brutalités policières au faciès, sexisme, discriminations à l’emploi, au logement, à l’école, répression de l’immigration et des habitants des quartiers populaires de Bruxelles » .

Les Bruxelles Panthères inscrivent plus fondamentalement leur collectif dans la lutte « contre toutes les formes de domination impériale, coloniale et sioniste qui fondent la suprématie blanche à l’échelle internationale. Nous travaillons à construire la communauté politique de toutes celles et tous ceux qui refusent l’occultation des dominations et des oppressions inscrites dans l’histoire et les institutions étatiques des pays occidentaux. Nous affirmons qu’aucun avenir n’est possible si l’on ne s’inspire pas des résistances antérieures et actuelles. Nous devons enseigner l’histoire de manière objective afin que les nouvelles générations ne reproduisent plus les crimes du passé. Tirer les leçons du passé pour construire un avenir meilleur. Notre objectif prioritaire est de faire converger, au sein d’une même dynamique antiraciste et décoloniale, l’ensemble des espaces de résistances que se donnent les habitants des quartiers populaires de Bruxelles » .

A la lecture de cette présentation des Bruxelles Panthères, il m’est difficile de ne pas rire intérieurement en imaginant les têtes et réactions déconfites de certains chroniqueurs médiatiques [1]. Je les imagine horrifiés et incontinents pour dénoncer pêle-mêle le ressentiment des immigrés, leur penchant morbide à la victimisation, leur racisme anti-Blanc, leur antisionisme cache sexe de leur antisémitisme.

Il me semble pourtant que lors de l’hommage à Malcolm X s’exprimait surtout une volonté de la part des intervenants et participants de relier le racisme (envisagé dans le temps long) et la critique du capitalisme. Ils mettaient en effet dans leurs discours à la fois l’accent sur l’importance d’une réappropriation de la mémoire et de l’histoire des pays d’Afrique, avec un désir d’affirmation des identités et cultures africaines, mais également, et c’est important, une posture plus politique (ainsi, les regards critiques et non-hagiographiques des orateurs par rapport à la mémoire de Malcolm X).

Ces tentatives d’articuler critique du capitalisme et réappropriation et réinvention des cultures africaines ont le mérite d’exister, mais la fécondité de ces tentatives dépend aussi de la capacité de leurs auteurs à conjurer et prévenir les sentiments de supériorité qui peuvent également s’exprimer par rapport aux cultures ou civilisations africaines. Ce qui n’est pas le cas de Change et des Bruxelles Panthères. Il s’agit par contre d’un point de vigilance à ne pas minimiser.

[1Parmi les « grands réactionnaires » de l’époque, on pourrait par exemple citer Alain Finkielkraut ou Eric Zemmour, dont les discours ont pour l’instant énormément de succès en France.