Oyez, oyez, le guide du routard humanitaire est arrivé

Mise en ligne: 11 février 2013

Ce qui doit arriver arrive. Après s’en être allé par monts et par vaux, le jeune voyageur change son sac à dos d’épaule et se reconvertit à l’humanitaire, par Pedro Lecoati

C’est un petit livre, oui, mais
il regorge de bons présages
pour les candidats à l’expatriation
humanitaire. L’un ou
l’autre moins bon aussi, mais
enfin. Autant commencer par
ceux-là, d’autant plus qu’ils
tiennent en quelques lignes. Il
s’agit des risques du métier,
d’abord. Ils ne sont pas nombreux
mais ils sont plus importants
dans l’aide d’urgence
que dans le développement,
d’après le Routard. Dans le
développement, on ne risque
rien de bien grave, mis à part
le choléra, la fièvre typhoïde
et autres salmonelloses, les
shigelloses, l’amibiase, la
giardiase, l’hépatite virale A et
E, le dengue, la malaria et
quelques diarrhées à répétition
(sur ce chapitre, rien ne sert
de se munir de suppositoires
car ils fondent).

Dans les missions d’urgence
les risques sont nettement plus
consistants si bien que pour ne
pas les prendre tous à la fois il
vaut mieux les ranger en trois
catégories : les motifs politiques,
les raisons lucratives et
les risques sans mobile. Les
premiers vont des attaques aux
démonstrations de force et
autres intimidations et se manifestent
par quelques effets
spéciaux comme des bombardements,
des fusillades et le
minage des routes. Un avantage,
tout de même : les explosifs
sont souvent de mauvaise
qualité… Quant aux aspects
économiques, il vaut
mieux savoir que les volontaires
représentent une nation
riche dans un pays pauvre et
sont toujours considérés
comme une bonne valeur marchande.
La prise d’otages est
ainsi devenue un risque très à
la mode. L’avantage ici est
qu’il ne faut pas tuer la poule
aux œufs d’or. Pour ce qui est
des risques sans mobile, ils
sont aussi imprévisibles que
« la bombe qui rate son objectif,
la balle perdue, la mine
oubliée au fond du jardin, le
lion qui se réfugie dans la cuisine…
 ».

Ensuite, il y a la petite question
des regards du Sud, qui
ont tendance à être un peu de
travers, paraît-il : « Les jugements
des populations du Sud
ayant eu des contacts assez
longs avec les volontaires qui
travaillent dans le développement
sont plutôt négatifs. Selon
elles, les volontaires sont
jeunes et manquent d’expérience.
Ils débarquent dans un
milieu inconnu et souvent ne
tiennent pas compte des pratiques
et des savoirs des locaux.
Ils repartent alors qu’ils
s’étaient finalement familiarisés
avec le terrain et qu’ils
commençaient à devenir efficaces.
De plus, l’apprentissage
de la langue locale les indiffère
complètement et, de ce
fait, la communication avec
les populations est limitée. Ce
que celles-ci semblent apprécier
le plus, ce sont les moyens
matériels et financiers qui accompagnent
les volontaires ».
Pedro Lecoati tient à préciser
qu’il ne fait que citer le Routard
qui cite, lui, une très sérieuse
évaluation réalisée par
le Ministère français de la coopération,
« Le volontariat français
dans les pays en développement
1988-1994 ».

Il y a encore çà et là quelques
anicroches, genre accidents
de la route qui représentent
toutefois la première
cause de mortalité des expatriés.
L’état des routes, le manque
d’entretien des véhicules,
mais aussi et surtout la mauvaise
conduite des expatriés
qui roulent assez vite et mal
dans des pays où il y a peu de
circulation et pratiquement pas
de code de la route, expliqueraient
cela. « Conduire sur des
pistes en terre battue n’a pas
grand-chose à voir avec l’asphalte
entre Paris et Lyon. De
même, se retrouver sur les
routes glacées de Bosnie ou de
Tchétchénie, nécessite une
certaine maîtrise ». Puis, il y a
la vie en communauté. Et
alors, qu’est-ce qu’elle a la vie
en communauté, c’est bien la
vie en communauté, non ? Si,
si. Pour des raisons à la fois
pratiques, économiques et de
sécurité, la vie en communauté
est la règle pour la plupart des
ONG, favorisant ainsi l’esprit
d’équipe. « Travailler et vivre
en communauté représente au
début une prise en charge appréciable
pour celui qui débarque
un peu perdu. Les autres
membres de l’équipe vont
vous expliquer ce qui se passe,
faire les présentations (qui
vous permettent d’être introduit
auprès des autorités administratives
locales et des copains
locaux ou expatriés),
vous faire découvrir l’endroit…
Mais une collectivité
peut aussi être pesante, et être
notamment la source de bien
des problèmes et des tensions
internes. Les plus mauvais
souvenirs des expatriés en
mission sont souvent liés à la
promiscuité et aux conflits
personnels dans l’équipe ».

Passons enfin aux bonnes
nouvelles. Le contact avec la
population locale, singulièrement,
joyeux chapitre qui se
décline de la sorte : le choc
des cultures, la méfiance, la
frustration, les paradoxes et la
caricature du colon. A ce
stade-ci, vous pouvez encore
envelopper de papier à fleurs
ce guide du Routard humanitaire
et le déposer dans la boîte
à lettres de votre ennemi d’enfance et tenter ensuite de faire
carrière dans les assurances.
Car il me faut encore vous annoncer
qu’au retour de mission
et déjà à l’aéroport vous
risquez le choc culturel dans
l’autre sens mais pas vraiment
avec les mêmes paramètres. Et
que l’impact de ce choc n’est
nullement négligeable étant
donné que presque la moitié
des expatriés repartent tout de
suite après leur retour soit
pour la même association soit
pour une nouvelle.

On va en rester là, notamment
pour laisser la place aux bonnes
nouvelles promises que
voici : même si le guide est de
toute évidence de facture
hexagonale —des douze figures
de l’humanitaire citées en
début d’ouvrage, seules Florence
Nightingale, Mère
Thérèsa et Emma Bonino ne
sont pas encore françaises—
des références québecoises,
suisse romandes et belgo-francophones
ne manquent pas d’y
trouver une petite place. Allez,
avouez que ça c’est quand
même très bien.

Le Guide du routard humanitaire 2000-2001, Hachette.

Publié dans Antipodes n° 153, juillet 2001.