La place des ONG dans la presse, Des ONG partout et parfois nulle part

Mise en ligne: 2 novembre 2015

On trouve des références quotidiennes à l’action et aux prises de position des ONG dans la presse. Nous avons lu pendant une semaine « Le Soir » de Bruxelles sous cette angle. Cela commence fort et à la fois bien et mal, par Antonio de la Fuente

Quelle présence les ONG trouvent-elles dans la presse ? La réponse dans Le Soir, premier quotidien belge francophone, ainsi décrit par le Courrier international, qui reproduit fréquemment certains de ses articles : « 133 000 ex. Ce journal plus que centenaire est le grand journal, politiquement neutre et journalistiquement complet, de Bruxelles et de la Wallonie ». Passons sur la neutralité politique pour essayer de voir à quel point il est complet en matière d’ONG. Car il s’agit ici de détecter la présence des ONG dans le journal —non celle des questions Nord-Sud ou de la solidarité internationale—, et de voir quand et à quel propos les vues des ONG sont reprises, dans quel cadre et dans quels termes leurs activités sont répertoriées. Et cela pendant une semaine prise au hasard, celle qui va du jeudi 29 mars au mercredi 3 avril par exemple, histoire d’éviter des journées chargées d’ONG, comme celles du sommet sur les PMA (Pays les moins avancés, ces euphémismes dont seul l’Occident a le secret), en mai 2001, forcément moins représentatives.

Bien entendu, la présence des ONG dans la presse ne se limite pas aux textes et aux images où on les voit nominalement apparaître, mais se trouve dans le choix et la hiérarchie des sujets à traiter, dans l’idéologie des journalistes et des lecteurs. De même, pour quelques sujets où les vues des ONG sont reprises il y en a des centaines d’autres dans lesquels malgré leurs efforts pour communiquer leurs positions, les médias n’en font nullement écho.

Jeudi 29 mars 2001 : cela commence fort et à la fois bien et mal.

Bien : des organisations belges sont à la pointe du combat pour la démocratie en Birmanie, nous apprend un article dans la section « Monde ». Les actions Birmanie et Vêtements propres demandent à l’entreprise suisse Triumph, numéro un mondial de la lingerie, qui collabore depuis 1997 avec l’une des pires dictatures de la planète, d’agir de façon morale et responsable en se retirant de Birmanie. Parce que c’est ce que souhaitent la fédération des syndicats et Aung Sang Suu Kyi, la dirigeante de l’opposition, dont le parti, la Ligue nationale pour la démocratie, a vu sa victoire aux élections de 1990 confisquée par la junte militaire. En quelque cinq paragraphes, l’article fait le tour de la question en précisant la position des associations concernées. Et joint l’image à la parole, en présentant la carte postale que la campagne propose d’envoyer à Triumph, sur laquelle une jeune femme porte un soutien-gorge en fer barbelé (voir page 3 de cet Antipodes), document qui, agrandi par le journal, prend l’allure d’une affiche.

Mal : sur toute l’étendue de la « une » du deuxième cahier du journal, sous le sous-titre « Une étude universitaire incite les associations qui encadrent les SDF à enfin concerter leurs interventions sur le terrain », on peut lire : « Guerre de tranchée autour des sansabri ? Les clochards et autres arpenteurs de trottoirs donnent souvent l’impression d’être l’enjeu de conflits qui les dépassent. Comme si les multiples associations que les encadrent se les disputaient, se les arrachaient même, histoire d’afficher le bilan social le plus enviable. Histoire, aussi, de justifier l’importance des subsides et autres sources de financement qui leur permettront de fonctionner ». Diable ! Des sangsues de clochards, voilà ce que seraient Médecins sans frontières, l’Association des maisons d’accueil, Pierre d’angle, Albatros, Source et Diogènes (malgré ces bien jolis noms). Sous l’impulsion des résultats de l’étude universitaire, commandée par le Parlement bruxellois, ces associations, actives dans l’aide aux sans-abri de Bruxelles, auraient accepté de signer un armistice. L’article égrène ensuite les recommandations de l’étude en question pour ramener la paix dans les tranchées, dont celle-ci qui tombe à point nommé : « La presse doit veiller à ne pas parler que des actions les plus spectaculaires, qui sont en fin de compte les plus rassurantes pour le public ».

Vendredi 30 mars : page 20, un bref rectificatif, juste au-dessus des Services de garde : « C’est Médecins du monde —et non Médecins sans frontières, comme nous l’avons écrit dans nos éditions du 29 mars— qui collabore régulièrement avec le Samu social. Par ailleurs, les ASBL dont il est question dans cet article travaillent en bonne entente depuis longtemps, alors que notre sous-titre et un paragraphe pouvaient faire croire que les associations venaient de déposer les armes après une longue guerre de tranchées. Il existe d’ailleurs une « concertation sans-abri » et un dialogue permanent entre les associations. Nous nous excusons auprès des représentants de ces ASBL ainsi que de nos lecteurs pour ces inexactitudes ». Fort bien. Même si cette brève rectification le lendemain risque de ne pas peser bien lourd à côté d’une manchette et d’une entrée en matière aussi tonitruante la veille, les excuses sont faites pour s’en servir, comme le dit si bien un dicton wallon.

Page 3, sous la rubrique « Belgique », on apprend que « les ONG ne veulent plus mentir ». Certaines d’entre elles font appel aux donateurs en leur promettant des attestations fiscales pour tout don au-dessus de mille francs alors que leur agrément est en cours d’approbation ou de renouvellement au Ministère des finances, qui traîne des pieds pour les accorder. On apprend aussi que les trois principales fédérations d’ONG actives dans le domaine de « l’intérêt public » et notamment de la coopération au développement récoltent chaque année cinq milliards de FB en dons. Si l’administration est tatillonne dans l’octroi des agréments en matière de déduction de l’impôt, les ONG ont de leur propre initiative créé une Association pour une éthique de la récolte de fonds, très active dans l’autorégulation du secteur, et à l’origine de l’article en question.

La décision de l’administration américaine de ne pas respecter le protocole de Kyoto sur la diminution des émissions de gaz à effet de serre ouvre la section « Monde » : « Bush renie Kyoto et fâche le monde ». Le texte présente d’abord un panorama des réactions négatives dans le monde et aux Etats-Unis à l’annonce de George Bush de renier les engagements pris par son prédécesseur, et cela sous la pression de l’industrie énergétique. Le texte présente ensuite d’autres reculades de la nouvelle administration nord-américaines en matière d’environnement, pour donner enfin la parole aux ONG. Celles- ci rappellent qu’avec 4 à 5 % de la population mondiale, les Etats-Unis sont responsables d’un tiers des émissions de CO2. Un spécialiste du climat chez Greenpeace est d’avis que les pays européens doivent se rallier l’appui du Japon, de la Chine et des pays en développement de sorte qu’en face d’un tel bloc, les Etats-Unis soient amenés à plier. Pour illustrer cet article, Le Soir fait appel à une affiche de Greenpeace sur laquelle on voit des manifestants revendiquer partout dans le monde l’avènement d’énergies propres. Il est intéressant de constater que l’image n’a pas été fournie par Greenpeace mais par une banque d’images, ce qui en dit long sur l’ubiquité de l’ONG.

A la page suivante, une autre ONG internationale, l’Institut de la presse, fait savoir, à travers une dépêche d’agence, que 56 journalistes ont été tués dans le monde en 2000, dont onze d’entre eux en Colombie. Sous la rubrique « Forum », une carte blanche signée Stefaan Declercq et Raoul Marc Jennar, secrétaire général et chercheur auprès d’Oxfam Solidarité, alerte l’opinion sur la duplicité d’une mesure européenne d’ouverture des marchés européens aux produits agricoles provenant des pays les moins avancés. Celle-ci ne serait d’après Oxfam qu’une concession de façade pour convaincre les pays du tiers monde de reprendre les négociations au sein de l’OMC en vue d’une plus grande ouverture de leurs marchés nationaux aux produits étrangers. Une analyse fouillée montrerait combien cette mesure est contre-productive pour les pays pauvres tant sur le plan environnemental qu’économique.

Samedi 31, dimanche 1er avril : voici le 1er avril, jour des blagues et charades. Présentée à la « une » cette nouvelle peut en avoir l’air : « Le peuple massaï à Han-sur- Lesse ». Des Massaïs en chair et en os se tiennent au Domaine des grottes de Han pour présenter leur culture aux visiteurs. Premier paragraphe : « On peut être séparé par des milliers de kilomètres et pourtant avoir les mêmes préoccupations écologiques. C’est le message sous-jacent de la nouvelle exposition du domaine des grottes de Han consacrée aux Massaïs. Un voyage riche en couleurs à la rencontre de cette fière peuplade du Kenya ».

Le mot peuplade fait tilt. Simon Sampauan, un des Massaïs venus animer l’exposition, qui d’après Le Soir n’apprécie pas le climat de la Famenne mais bien les hamburgers, pense que leur présence à Han empêchera qu’on dise n’importe quoi sur eux, comme c’est trop souvent le cas dans certains livres ou films. Le Larousse donne cette définition du mot peuplade : « Groupement humain de faible ou de moyenne importance peuplant un territoire non clairement délimité, à la culture souvent archaïque ». Trois éléments, les trois négatifs. Il y a fort à parier que Simon Sampauan ne se reconnaîtra guère dans la définition.

La nouvelle est présentée sous la rubrique « Wallonie- Bruxelles » et le sous-titre « Escapades aux quatre coins du pays » ; l’exposition est co-organisée par l’association Cultures et communication et le Domaine des grottes de Han. On apprend par ailleurs que Cultures et communication n’est pas à son coup d’essai, puisqu’en 1997 elle a organisé l’expo Aethiopie au Musée royal de l’Afrique centrale, toujours dans le but de donner « une autre image de l’Afrique ».

Lundi 2 avril : suite de la série « Escapades aux quatre coins du pays », qui nous menait la veille à l’expo Massaï à Han. Cette fois-ci il est question d’une grotte préhistorique à Flémalle. Ce qui permet la rencontre malencontreuse entre le logo de la série au premier plan duquel trône fièrement un guerrier massaï et le titre de l’article : « Réveillez le primitif qui est en vous ».

Mardi 3 avril : Le Soir met à la « une » un article sur la modernisation de la loi sur les ASBL. Vu que toutes les ONG sont des ASBL mais toutes les ASBL ne sont pas des ONG, on s’arrête à sa lecture. On y apprend qu’il y a 90 mille ASBL dans le pays —il faut à peine trois membres pour en créer une—, et que la loi qui les régit date de 1921 si bien qu’un groupe de travail s’est réuni au Sénat en vue d’actualiser ce cadre légal, en renforçant les contrôles, tout en gardant la simplicité du dispositif, pour fermer la porte notamment à la criminalité organisée et ses fausses ASBL. Il y a donc bien des ASBL et des ALSB, des associations lucratives sans but.

Mercredi 4 avril : pour clore notre promenade hebdomadaire, rebelotte sur Bush et l’environnement. Comme dans l’article du vendredi 30 avril, c’est une ONG qui fournit l’image et les mots qui permettent au journal d’ancrer les contenus dans l’imaginaire d’usage. Cette fois-ci le texte fait référence aux réactions négatives de l’opinion publique nord-américaine et des gouvernements européens à la décision de l’administration américaine de ne pas respecter le protocole de Kyoto sur la diminution des émissions de gaz à effet de serre. A priori, pas d’ONG dedans. Mais pour titrer et illustrer le texte le journal fait recours, comme précédemment, à une ONG traditionnellement à la pointe de la lutte environnementale : « Les Amis de la terre se réveillent », dit le titre, et la photo montre un activiste en action. C’est dans cette même direction qui va Roland Moreau, directeur de Greenpeace Belgique, dans une carte blanche publiée sous la rubrique « Forum » : si Bush veut se tourner vers le passé, la menace nucléaire et les énergies du siècle dernier, l’Europe doit, elle, profiter de ce retard pour aller de l’avant dans le développement d’énergies propres.

En résumé, sur six parutions on trouve presque quotidiennement plusieurs références à l’action et aux prises de position des ONG. Ces articles — qui vont de la très brève note au reportage à deux et trois entrées avec plusieurs images—, se trouvent sous différentes rubriques et ont été rédigés par différents journalistes ; tout cela va dans le sens d’un certain décloisonnement de l’information qui a trait aux ONG. La plupart de ces articles sont nés sous l’impulsion des ONG elles-mêmes qui s’expriment sur des sujets de leur compétence. Dans deux parutions sur six, l’espace d’opinion des cartes blanches est investi par des ONG. Dans le restant des textes, les ONG sont citées pour illustrer la position de l’opinion publique en la matière, ou alors à propos d’initiatives gouvernementales ou législatives les concernant. Ces ONG nominalement citées sont des institutions internationales bien connues, la place des petites ONG étant presque inexistante.

Sur le plan du contenu, si l’on peut déceler dans le ton et les termes employés à leur égard une certaine syntonie entre les ONG et les journalistes, des poncifs, par contre, frôlant parfois la caricature —comme dans le cas de ces associations qui se feraient la guéguerre pour s’accaparer les subventions publiques ou dans l’emploi de mots d’un autre temps du style « peuplades africaines »— sont là pour rappeler que dans la presse comme partout ailleurs le passé couve même là où il est question de l’actualité.