Souriez, vous êtes filmés

Mise en ligne: 2 novembre 2015

Une ONG communique autant par sa politique de communication explicite que par d’autres signaux qui renforcent ou contrecarrent ce qui a été pensé ou orchestré, par Jacques Valentin

La première scène se passe au siège de Médecins sans frontières-Belgique. Si vous vous y rendez, ne passez pas trop vite le bureau d’accueil du rez-de-chaussée : asseyez vous quelques instants sur les chaises courtoisement disposées en face et observez. Derrière les grandes vitres de l’accueillant guichet (le welcome desk dit-on dans les entreprises privées toujours à la pointe des appellations les plus séduisantes ou politiquement correctes), sont disposées sur le mur, au dessus d’un magnifique planisphère, une série d’horloges vous indiquant l’heure de différentes villes lointaines. C’est un peu un mélange d’ambiance d’aéroport (les horloges) et d’hôpital (le guichet vitré) : vous êtes bien à MSF.

Sans que cela ne soit vraiment étonnant, notons au passage que le planisphère semble être un must de communication dans les ONG : du logo à la décoration murale, voilà peut-être un des signes le plus communs et unanimement valorisé. Aussi dans le langage et le jargon : le partenaire Sud et l’offre de services au Nord, tout le monde (le monde ONG) comprend et sait qu’on parle du Nord et du Sud de la planète.

Autre exemple de messages envoyés par des locaux et espaces d’ONG : une visite à SOS-faim. M’y rendant pour la première fois il y a quelques semaines, quelle ne fut pas ma surprise devant la grande beauté du bâtiment.
Un peu comme si, pour moi, pour Dieu sait quelle raison, s’appeler SOS-faim ne pouvait pas signifier maison de maître... En poussant la porte, juste au pied des quelques marches vous menant au corridor d’entrée, sur votre droite, se trouve une petite plaquette sur laquelle est indiquée la phrase suivante : « Cette maison provient d’une donation, elle est un lieu de travail ». N’aurais-je pas été le seul à m’étonner ? Les responsables de SOS-faim ont-ils voulu s’expliquer en prévenant dès les premiers mètres ? Quoi qu’il en soit, cette plaquette est une manière de compléter ou corriger le message qu’envoie à lui seul le bâtiment.

Ces deux exemples illustrent comment, sans nécessairement s’en rendre compte de façon vraiment consciente, une ONG communique. De la même manière, l’ensemble des ONG envoie des messages de ce type. En dehors des structures représentatives et autres fédérations destinées à communiquer aux autres une série de messages, le monde des ONG communique toujours. Après avoir évoqué les lieux et espaces, parlons maintenant des attitudes et comportements.

Me rendant il y a peu et pour la première fois à l’assemblée générale d’Acodev, j’ai eu l’impression d’entrer dans une réunion de famille. Mon voisin me demanda d’où je venais (sous-entendu : tu représentes qui, tu travailles où ?) : « Salut, tu viens pour ITECO ? Moi c’est Untel, je suis de SOS-Solidarité internationale. Comment va Jacques B. ? ». Après six mois de travail en ONG et ayant précédemment travaillé dans un centre d’étude associatif universitaire, je me sentais accueilli au sein d’une famille (tutoiement, connaissance mutuelle de réseau...). Savant mélange d’ambiance de décontraction et de convivialité mais aussi de sérieux de travail.

En d’autres cadres, aussi typiques du monde des ONG, vous serez reçus et accueillis avec des produits du commerce équitable et les documents de travail que l’on vous y fournira seront prioritairement imprimés sur du papier recyclé. La tenue relax sera généralisée, sauf le jour où, par exemple, vous serez reçus avec vos pairs au Palais Royal pour assister solennellement à la remise du prix du développement de la Fondation Roi Baudouin à une ONG du Sud. Par contre, lorsqu’on se retrouve pour faire la fête et-ou revendiquer, soyez sûrs de le faire sur des airs de djembé ou des musiques de vieux cubains. Ces quelques exemples que nous avons observés récemment illustrent bien en quoi ces aspects de la communication d’une ONG peuvent en dire au moins autant qu’un long discours ou qu’une campagne médiatique pour qui sait y prendre un tant soit peu attention.

Dans le précédent numéro d’Antipodes, nous expliquions que l’analyse de l’image des ONG (comme de tout autre type d’organisation d’ailleurs) ne peut s’envisager qu’en considérant la multitude de ses facettes dont certaines sont le plus souvent délaissées. S’il vient fort logiquement à l’esprit de privilégier l’examen de la « stratégie de communication » (publicité, brochure, revue, affiche, site internet, campagne médiatique...), une série d’autres aspects sont régulièrement ignorés. Une ONG communique autant par sa politique de communication explicite et réfléchie que par toute une gamme d’autres signaux qui renforcent (ou parfois contrecarrent) ce qui a été savamment pensé ou orchestré...

Ces signaux sont par exemple l’aménagement et la physionomie des locaux de l’ ONG, les discours mais aussi les attitudes et comportements typiques de ses membres, les habitudes de la maison, la façon dont on y est accueilli (les gens, mais aussi les lieux, l’espace, le répondeur téléphonique...), la manière dont on organise le temps (horaires et respect des horaires...), etc.

Pour nommer ces différents aspects, nous pourrions parler de communication stratégique
(c’est-à-dire délibérée, voulue, pensée...) d’une part et de communication fortuite (semi-consciente voire non-consciente) d’autre part. Cette dernière illustre l’axiome célèbre : « on ne peut pas ne pas communiquer » ; cela pourrait être aussi, sur l’axe verbal-non verbal de la communication humaine, la « communication non-verbale d’une organisation ».

Cette communication fortuite reflète notre image avant n’importe quel texte fondateur, quelle campagne, quelle charte ou quel résultat d’assises. Les contrastes qui s’en dégagent révèlent notre identité au-delà des mots. S’il est important de faire ce que l’on préconise et de bien dire ce que l’on fait, il est aussi crucial d’être conscient de ces petits côtés qui font de nous ce que nous sommes.