Au commencement il y avait le nom

Mise en ligne: 31 janvier 2013

Le premier message qu’une ONG adresse au public c’est son nom, par Antonio de la Fuente

Au hit parade des appellations contrôlées dans les ONG, il y a le mot solidarité. Solidarité mondiale, Solidarité protestante, Solidarité socialiste, Solidarité Afghanistan, Solidarité internationale des travailleurs Nord-Sud, Oxfam-Solidarité, Solidarité des alternatives wallonnes, Solidarités nouvelles, Solidarités nouvelles-IWHC… A chacun sa solidarité. Puis, il y a eu la vague des « SOS », ces cris de détresse au nom des populations en péril. Cela a donné SOS-Faim, SOS-PG, SOS-Sahel, SOS-Eau-Sahel et quelques autres. Puis, la vague des « sans frontières ». Ce fut une vague de fond, celle-là, qui a mené le paquebot français hissant drapeau libéral nommé Libertés sans frontières sur les rivages du monde entier avec à son bord ces french doctors de Médecins sans frontières. Vétérinaires sans frontières n’a pas tardé à suivre ainsi qu’Avocats sans frontières, Reporters sans frontières, Enseignants sans frontières, Apiculteurs sans frontières, Retraités sans frontières, Action sans frontières, Socialisme sans frontières et même Animaux sans frontières. La liste est longue et non exhaustive qui dit long sur le succès de la dénomination.

Lorsqu’on évoque le mot ONG, pour de larges couches de la population, Médecins sans frontières est le nom d’ONG que l’on cite en premier lieu. Le budget annuel de MSF-Belgique représente le même montant que le budget du cofinancement de l’ensemble des autres ONG belges. MSF-Belgique, parce que malgré l’absence de frontières dans l’appellation, l’association a bien des puissantes déterminations nationales. Elle n’existe encore que dans les pays d’Europe occidentale et récemment au Japon. Nulle trace de Médecins sans frontières-Honduras ou de MSF-Kenia. Cela viendra, peut-être, il faut toujours rester optimiste. En attendant, il y a des précurseurs de l’appellation qui ont voulu s’en démarquer. Frères sans frontières, ONG suisse d’envoi de coopérants, est devenue en 1996 E-changer. On remarque que si dans l’appellation « SOS » l’accent porte sur une situation de détresse, dans l’appellation « sans frontières » ce sont les acteurs censés y remédier qui se mettent en avant. Comment ? En faisant fi des frontières.

Le nom, la raison sociale, dénote le problème auquel un groupement veut s’attaquer et la manière dont il compte s’y prendre. Pour le Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde, il semble clair que pour ses membres le problème est la dette du tiers monde et que la solution en est son annulation. Le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme et l’Agence de coopération au développement par la science et la technique disent tout aussi clairement leurs propos, et cette dernière livre même la clé de sa résolution. Le Centre, qui n’est d’ailleurs pas une ONG mais une institution fédérale, s’appelait auparavant Commissariat royal à la politique des immigrés. La modification du nom est révélatrice des différences d’accent dans la politique gouvernementale à l’égard des étrangers dans le courant des dernières années. Autre changement de nom significatif en la matière, le Centre des immigrés de Bruxelles est devenu le Centre bruxellois d’action interculturelle. On le voit, le mot immigré disparaît du vocabulaire politique et associatif au profit d’autres mots plus neutres, comme étranger ou moins connotés et plus techniques comme allochtone ou encore primo-arrivant.

Par ailleurs, le nom sert aussi à permettre de différencier des entités qui, s’attaquant à des problèmes similaires, diffèrent par contre par la composition sociologique de leurs membres. Le Service de coopération missionnaire au développement et le Service laïque de coopération au développement veulent tous deux coopérer au développement, mais s’y mettent avec un personnel dissemblable. De même que moins une association est connue, plus elle doit mettre l’accent sur son appellation dans sa communication extérieure. Les premiers messages d’une entité inconnue sont consacrés à expliquer par divers procédés pourquoi elle s’appelle comme elle s’appelle. Une fois que cela devient clair pour le public, l’association peut essayer de déplacer le centre d’attention vers le référent auquel elle pointe son doigt. Ne regardez plus le doigt, regardons désormais vers le tiers monde.

Puis, il y a les noms qui ne veulent en principe rien dire et les noms qui veulent dire plus que la simple appellation. Parmi ces derniers, Le monde selon les femmes, Entraide et fraternité, Forum pour un contrat de génération Nord- Sud. Des noms qui sont en soi tout un programme, au-dessus desquels plane une douce polysémie. Il y aura toujours lieu de faire quelque chose en la matière si on s’appelle Entraide et fraternité. Vivement Le monde selon les femmes puisque le monde selon les hommes, on l’a déjà trop vu. Quant au Forum pour un contrat de génération Nord-Sud, bonne chance.

FCD, CNCD, CADTM, APVC sont des sigles, des abréviations, certains imprononçables comme MRAX, CENNT, JOCF, JJJY ou Ré.SO-J, mais avec un peu de bonne volonté on finit par s’habituer. COTA, GRESEA, ITECO, SEDIF, OXFAM, et bien d’autres encore, sont des acronymes ou des mots-valises, des sigles qui peuvent être prononcés comme des mots courants (COTA, GRESEA) ou des mots composés par des parties de deux autres mots, comme OXFAM (Oxford Committee for Famine Relief). Pour faire bref, un sigle occulte le sens des mots qui le fondent, se propose comme étant un signe instrumental. Mais il ne tarde pas à remplir de sens son réservoir. ITECO voulait dire à l’origine Internationale Technische Cooperatie - Coopération technique internationale. L’appellation montre bien le moment où elle est apparue, la décolonisation de l’Afrique centrale au début des années soixante. Il s’agissait de coopération internationale qui se devait d’être technique, pratique, validée par un savoir qui avait fait ses preuves. Presque quarante ans plus tard, la démarche d’ITECO a beau vouloir se situer aux antipodes de celle-là, le nom reste. Affublé d’un « Centre de formation pour le développement » pour corriger le titre.

Dans COTA, Collectif d’échanges pour la technologie appropriée, on trouve des concepts qui furent importants dans le courant des années septante. Ils le sont sans doute encore mais à l’époque on les affirmait davantage, en soutenant qu’il y avait des technologies imposées à coups de marteau et des technologies qui se coulaient tout doucement dans les moules locaux. Le COTA est né pour promouvoir ces dernières. Comme dans GRESEA, où les mots « stratégies » et « alternatives » étaient fort connotés au moment de l’apparition de l’association, le début des années quatre-vingt. La critique faite au mode de transmission vertical de la solidarité et du savoir, auquel sont débitrices les associations nées à l’époque et leurs noms, a vu naître une vague d’ONG portant des noms à l’horizontalité affirmée, comme Partenaire ou Réseau Sud-Nord.

Nombre de noms d’associations se rapprochent de la manière universitaire de désigner départements d’études et unités de recherche, ce qui donne des appellations bien fournies où l’on sent la crainte de pouvoir oublier quelque chose : APRAD, Association pluridisciplinaire pour la recherche et l’action en matière de développement ou SEDIF, Service d’information et formation Amérique latine-Tiers monde- Centre de documentation.

A présent, les noms à la mode s’ouvrent largement à la géographie, au voyage, aux grands espaces : Alizés, Altamira, Hémisphères, Itinerans, Quinoa, Antipodes. Ou au conceptualisme léger : E-clore, E-changer, Songes. Pas uniquement dans les ONG, d’ailleurs : des fonds d’investissement Altiplano à la nouvelle voiture Santa Fe les grands espaces font tendance. Il y a vingt ans, les prénoms des petites filles finissaient en ie, comme Stéphanie, Virginie et Elodie. Aujourd’hui, ils finissent en a, comme Victoria, Clara et Tania. C’est comme cela les noms, une affaire d’image et d’identité.

Publié dans Antipodes n° 153, juin 2001.