Amnesty, ou comment passer de huit mille à vingt mille associés

Mise en ligne: 7 septembre 2015

Droits de l’homme, campagnes, prisonniers, lettres, autant de mots-clefs définitivement liés à cette organisation. Symbolisée par une bougie, Amnesty, qui en soufflera quarante cette année, s’appuie sur des campagnes de communication élaborées, par Samy Hosni

Amnesty International, l’une des organisations non gouvernementales les plus populaires, doit son succès à une stratégie de communication efficace inhérente à son fonctionnement. Les premiers efforts en matière de communication remontent à la source du mouvement : au début des années soixante, à Londres, le fondateur, Peter Benenson, choisit d’écrire un article dénonçant le sort des prisonniers politiques. Parallèlement à la diffusion dans la presse internationale de ce texte appelé « les prisonniers oubliés », Benenson et plusieurs autres militants organisèrent une campagne d’un an : « l’Appel de 1961 pour une amnistie ».

Depuis Amnesty a affiné ses campagnes de communication. Presse, télévision, radio voire sites internet [1] se font l’écho d’Amnesty, avec la volonté de transmettre le plus d’informations sur les droits fondamentaux, y compris la liberté d’expression (droit essentiel lorsque l’on pratique, il est vrai, le journalisme). Mais ces relais ne sont que marginaux par rapport à la vraie force de communication de l’association : les groupes locaux d’Amnesty et, à travers eux, ces membres qui diffusent les principes de l’organisation.

Des groupes locaux

Amnesty a pour principe de base d’être financé par ses membres, les institutions étatiques ne pouvant subvenir qu’à hauteur de cinq pour cent du budget total, et uniquement en matière d’enseignement et d’emploi. Ce souci d’indépendance est primordial pour comprendre les différentes stratégies de communication d’Amnesty. L’ONG est essentiellement un moyen de pression sur les gouvernements qui ne respecteraient pas la Déclaration de droits de l’homme. Cette pression ne peut donc venir que de ses membres et leur nombre influence l’efficacité de l’action. Pour ces raisons le récepteur des campagnes d’Amnesty est généralement le quidam. Ceci explique aussi pourquoi Amnesty est une des organisations comptant le plus de membres. Partout des groupes locaux se forment et deviennent les principaux relais de l’organisation. Souvent le groupe « adopte » un ou plusieurs prisonniers pour concentrer leurs efforts : « Ils entreprennent diverses actions de campagnes. Ils font de la publicité dans les médias de la communauté, exercent des pressions auprès des personnalités politiques locales, recherchent des soutiens dans les milieux professionnels, envoient des lettres et organisent des collectes de fonds » [2].

Le recrutement de nouveaux membres se fait généralement sur le terrain, c’est-à-dire dans la rue ou lors d’événements. Qui ne s’est pas déjà fait accoster par un inconnu vous proposant de devenir membre ? La plupart des membres d’Amnesty sont bénévoles, mais la section Belgique consacre une part significative de son budget à l’engagement de jeunes recruteurs. Cette campagne (au curieux nom de « Yéké ») s’étale généralement sur sept mois – d’avril à octobre, car c’est la période où il y a le plus de gens dans les rues, le plus d’événements en plein air. « Depuis le début des Yékés, nous explique Olga Belo- Marques, coordinatrice du secteur d’adhésion de nouveaux membres à Amnesty, nous sommes passés de 8 mille à 20 mille membres en Belgique francophone. Nous avons pu grâce à ces bons résultats donner une ampleur sans précédent à nos campagnes publicitaires : le spot télévisé annonçant la campagne contre la torture est directement lié au recrutement de nouveaux membres. Sachant qu’une publicité coûte très cher (de 190 mille FB pour un passage avant le JT à 3 millions pour une campagne d’affichage), nous en faisons très peu et cela malgré la réelle générosité de certains annonceurs qui nous offrent des réductions. Autres mannes financières importantes : le marchandising et bien sûr la fameuse bougie recouverte de fil de fer barbelé. Cent vingt mille bougies ont été vendues l’année passée en Belgique francophone. Pour ce qui est du marchandising, Amnesty vend des montres, des sacs et de nombreuses camisettes : une commission d’éthique délimite ce que nous pouvons faire sans transgresser les limites du mandat. Nos produits rappellent toujours notre mission sinon ils n’ont pas lieu d’exister. Notre force réside dans nos membres : c’est grâce à eux que nos actions aboutissent. C’est également eux qui décident quels seront nos futurs champs d’actions ».

Deux mille appels en 24 heures

Il est évident que les membres et les changements sociaux ont influencé le champ d’action d’Amnesty. Tous les deux ans une rencontre internationale représentant toutes les sections décide des nouvelles actions, des thèmes prochainement abordés et éventuellement de l’élargissement du mandat : « Nous ne remettons jamais en cause le mandat initial, la lutte pour les droits de l’homme, mais nous élargissons ce concept : il me semble clair que, par exemple, les droits des homosexuels que nous prenons en compte dans leur spécificité, et en tant que victimes de violation des droits humains comme la torture ou la peine de mort depuis 1991, cela fait partie intégrante de la mission de l’organisation ». Les campagnes organisées par Amnesty à l’encontre d’un pays ou autour d’un sujet suivent généralement trois phases : après la vérification des informations, les sections nationales et tous les groupes locaux participent à un travail d’information et de sensibilisation. Les méthodes varient : soit Amnesty fait appel à des catégories particulières de la population (juristes, syndicalistes…) afin d’éveiller un sentiment de solidarité internationale entre les membres d’une même profession. Soit, et c’est le plus fréquent, c’est à l’opinion publique dans son ensemble qu’il est fait appel. Chaque section possède également un réseau d’ « actions urgentes » : quand un prisonnier est malade ou en danger de mort, quand quelqu’un a disparu et donc que la rapidité d’une intervention doit primer, le secrétariat international, basé à Londres, déclenche un système de multiplication en chaîne. Les informations sont diffusées via le réseau d’actions urgentes de chaque section. Ce système permet d’envoyer un minimum de deux mille appels pour chaque cas, les premiers arrivant endéans les 24 heures [3].

A cela il faut ajouter le réseau d’actions régionales : plusieurs groupes locaux spécialisés sur la situation d’un pays ou d’une région sont toujours prêts pour agir dès qu’un problème concernant les droits humains se pose là-bas. La dernière action, plus « discrète », d’Amnesty se fait auprès des autorités du pays ou des organisations internationales : les sections et groupes locaux demandent à leurs représentants politiques de prendre position en ce qui concerne les droits humains. Les hauts fonctionnaires pourront à leur tour répercuter le message d’Amnesty soit auprès de leurs propres instances soit auprès des gouvernements étrangers mis en cause. Chaque mois également paraît Libertés !, le magazine d’Amnesty International Belgique. Centré essentiellement sur un thème d’actualité, Libertés ! fait le point sur les violations des droits de l’homme, rarement sur ses avancées : « Il est vrai que Libertés ! dénonce plus qu’il ne produit des dossiers de fond bien documentés, commente Brian May, le secrétaire de rédaction de la revue. Deux raisons à cela : Libertés ! critique les régimes qui ne respectent pas les droits de l’homme, c’est plutôt un magazine d’accusation. Nous ne sommes pas là pour dire que tout va bien dans un pays, leurs agences de pub s’en occupent ! ». De plus, la rédaction est constituée de journalistes bénévoles qui n’ont pas le temps de maîtriser tous les dossiers mais vont à l’essentiel. A la fin du magazine, on retrouve une partie des actions du mois d’Amnesty : celles-ci attirent l’attention de l’opinion internationale sur trois ou quatre cas, souvent des prisonniers d’opinion. Le cas des prisonniers est présenté brièvement et un modèle de lettre demande aux responsables la libération des prisonniers du mois. Ces lettres affluent du monde entier ; ainsi les autorités savent que l’opinion internationale se préoccupe du sort de ces personnes détenues en raison de leurs opinions. Les chances de libérations en sont plus grandes [4].

Cher Salamat…

« Il y a des chefs qui croient avoir toujours raison, ils sont méchants avec les papas, les mamans et les enfants qui ne pensent pas comme eux et qui sont différents » [5]Fascicule destiné à expliquer son organisation, Amnesty International raconté aux enfants est la suite logique d’une campagne de sensibilisation de la jeunesse aux droits de l’homme. On y lit l’histoire de Salamat, un petit Pakistanais condamné à mort pour blasphème. A partir de ce cas simple et symbolique, les enfants découvrent le rôle d’Amnesty. Depuis quelques années, des membres d’Amnesty viennent également dans les écoles du pays pour sensibiliser, informer voire pour animer des débats autour des droits humains.

Mieux, Amnesty met à disposition du matériel pédagogique pour certaines organisations locales ou des écoles (comme en Croatie ou au Pérou). Au Rwanda, vu l’importance prise par les médias, une « radio des droits de l’homme » est en projet parmi d’autres programmes visant à la restauration de la confiance entre les citoyens. Enfin, une campagne de protection des militants locaux des droits humains est en cours.

Cher Salamat, nous pensons tous à toi, tiens bon... [6]

[1www.amnesty.be pour la section belge francophone

[2Amnesty International, document interne sur les campagnes

[3Amnesty International, Qu’est ce que c’est ?, fascicule d’information

[4Amnesty International, Qu’est ce que c’est ?, fascicule d’information

[5Amnesty International raconté aux enfants …

[6Amnesty International raconté aux enfants