La pub dévoile ses charmes devant des ONG qui se tâtent. Pendant ce temps-là, des casseurs de pub passent à l’acte
Elle est partout la publicité. Partout ? Y a-t-il des publicités même dans les rêves du dormeur moderne ? Une bonne séquence sur l’oreiller douillet, le somnifère efficace, la bouillotte anatomique, la camarade qui ne ronfle pas ?
En rue, une affiche qui montre un message dans un biberon fait vite comprendre qu’il faut aider à retrouver des enfants disparus. Sur une autre affiche, d’autres victimes : un clochard affaissé au bord d’un trottoir et un monsieur propre sur lui qui balade son attaché case. Pourquoi des victimes ? Lisez le journal Le Soir si vous voulez savoir.
La publicité excelle dans les formules du genre. Mais elle peut aussi faire plus abscons : « Une bactérie testée sous forme de circuit digital. La fin des siliconchips annoncé pour bientôt ? (Là, ça devient intéressant). Consulting. Technology. Outsourcing. Alliances. Venture Capital. Accenture was formerly know as Andersen Consulting ». Ou plus gras : une société de travail intérimaire —découverte en flagrant délit de discrimination raciale par ailleurs— est parvenue à faire parler d’elle en mettant en scène l’effeuillage d’un gros patron. Spectacle honteux et dégoûtant pour certains, plutôt amusant ou tout au moins défendable sur le plan de la liberté d’expression, pour d’autres. La publicité se mêle de tout, fait feu de tout bois, récupère des contenus à la mode, le métissage, l’environnement pour en faire une molle pâtée. On ouvre un magazine quelconque, les annonces publicitaires parlent toutes ou presque d’écologie. Elles racontent sans rougir les plus grosses sornettes. Si toutes les voitures font désormais une fleur à l’environnement, le déodorant Ushuaïa —avec essences du Penjab— présente, lui, le procédé Technologie Headspace qui permet de capter directement sur la plante vivante, sans l’abîmer, l’ensemble de ses molécules odorantes.
La pub abonde, redonde, répète et repépète jusqu’au dégoût ou l’hypnose. Sur internet, des bandes annonces clignotent à tout bout de champ vantant les charmes de blondes ou de brunes. Sur les routes, des sacs en plastique éventrés montrent longtemps après leur utilisation l’enseigne publicitaire des grandes surfaces. A la radio, des pseudo-personnages étalent leur complicité à propos de leurs achats ainsi que de leurs préférences sexuelles. A la télévision, n’en parlons pas.
Et cetera.
Certains commençaient à trouver cet etcetera bien long. Ils se sont regroupés dans des associations qui ont pour nom Casseurs de pub, Résistance à l’agression publicitaire, Publiphobes ou Paysages de France, dans le monde francophone. Chez les anglophones, AdBuster ou Media Foundation, dont les associations francophones se sont beaucoup inspirés. Leur objectif est de faire prendre conscience au citoyen que la liberté n’est plus possible au milieu du conditionnement auquel il est soumis par la publicité. « Votre salon est une usine et le produit fabriqué c’est vous », dit un de leurs slogans. « Pub : mes désirs sont vos ordres », lit-on sur un mur à Auderghem.
Détournant les marques et les codes publicitaires, ces casseurs de pub parviennent à capter l’attention sur-sollicitée du consommateur pour alerter le citoyen sur les dégâts que le matraquage publicitaire produit via notamment la télévision et l’affichage. « Vous savez ce qu’on mange ici ? » affiche-t-on à côté de l’enseigne de McDonald. Ou à côté du slogan Think different du fabricant d’ordinateurs Apple, on place une photo de manifestants cernés par la police. L’association Paysages de France a comme objectif de préserver le paysage français de l’agression publicitaire. Casseurs de pub est plus ambitieux et a déjà lancé plusieurs opérations comme la Journée sans achat, la Semaine sans télé et la Rentrée sans marques, pour essayer de contrer l’idéologie publicitaire. Leur dernière cible est la formule 1.
Ces faiseurs d’antipub sont pour la plupart issus des rangs de la publicité elle-même. « Ceux qui sont rémunérés par la publicité sont les mieux placés pour réfléchir à ses dégâts et à son devenir totalitaire », affirme Dominique Quessada, créatif publicitaire et auteur de La société de consommation de soi, en assumant ouvertement ce paradoxe apparent [1].
« Ce qui rend difficile l’envahissement publicitaire, c’est l’impossibilité de comparer. Les plus jeunes ne peuvent comparer à rien le monde de la publicité, ni dans l’espace (elle est partout), ni dans le temps (ils sont trop jeunes pour avoir connu autre chose) », avertit Jean-Pierre Meunier, professeur de communication à l’UCL [2]. Le monde publicitaire, en ignorant les rapports sociaux de coopération ou de solidarité, coince les jeunes entre une voix autoritaire et leur « moi » désireux. « On n’a jamais vu des personnages de publicité se posant des questions et capables d’en débattre », conclut- il.
Et les ONG là-dedans ? Entre rentabilité et prétention éducative, leur coeur balance. Enfin, le coeur de certaines a déjà balancé dans le camp de la publicité persuasive et soyeuse, sans trop d’état d’âme. « Lorsqu’on découvre que, dans de nombreuses parties du monde, on ne s’amuse guère et l’on meurt même de faim, on apaise sa mauvaise conscience par un grand spectacle récréatif de bienfaisance qui permettra de recueillir des fonds pour les enfants noirs, paraplégiques et squelettiques » écrit Umberto Eco [3]. Il exagère un rien, peut-être, mais il n’a pas tout à fait tort. On connaît déjà tellement bien la chanson que des publicitaires n’hésitent plus à parodier les publicités pour les causes humanitaires. Ainsi, dans une réclame pour voiture allemande, un « enfant malheureux » s’y voit conduire à l’école un jour de neige intense, tant la tenue de route de la voiture de ses parents est bonne.
Manquant de moyens, les petites ONG ne tiennent nul discours publicitaire. Mais certains publicitaires ne manquent pas de leur proposer de se rattraper à travers l’achat de fichiers d’adresses ou autres opérations du style. « Nous, on se charge de tout concernant le mailing, mais au dessus d’un tel montant les revenus nous reviennent ». Devant des telles pratiques, il faudrait manifestement récupérer l’action répulsive des vieilles publicités pour ratières.