Les ONG, tiennent-elles l’affiche ?

Mise en ligne: 7 mars 2001

Nous avons demandé à des jeunes étudiants en graphisme de se frotter à des affiches d’ONG. Le contact fut rude

Les murs de l’atelier de graphisme culturel à l’Ecole de recherche graphique de Bruxelles sont pleins d’affiches d’ONG. Des visages pâles et foncés, des appels et des slogans y prennent place dans la diversité des formes et des formats, devant le regard intéressé d’une dizaine d’étudiants et de leur professeur, Jean-Pol Rouard, qui ont accepté de se soumettre à cet exercice. En fin de parcours, leur jugement est sévère : archaïsmes, amateurisme et clichés, le verdict est d’autant plus cruel qu’il est établi sans méchanceté par des jeunes qui ont un a priori favorable vis-à-vis des ONG.

Ils pointent une affiche qui veut illustrer la fraternité entre les peuples à travers un photomontage d’un homme noir et d’un homme blanc, souriants tous les deux. C’est un archaïsme, en plus d’être une situation forcée, pas crédible, tranchent nos évaluateurs. Les clichés, ils les voient partout ou presque, des représentations prévisibles, des artifices qui ne fonctionnent pas. Si les images sont souvent simples et immédiates, elles manquent cruellement de profondeur, elles sont trop univoques. Les plus courantes sont des représentations narcissiques qui ne racontent rien ou alors elles sont trop misérabilistes : on montre la misère et on demande des sous.

Pour ce qui est de l’amateurisme, ce n’est pas agréable d’en parler, mais voilà : d’après nos évaluateurs, les ONG ne semblent pas se donner les moyens d’avoir une bonne communication graphique et elles se contentent de construire leurs images de bric et de broc. C’est à se demander si un bon communiqué de presse ne ferait parfois pas mieux. Si leur communication est mal maîtrisée, les ONG finissent par produire beaucoup d’affiches et en diffuser très peu. Et encore, elles limitent cette diffusion à des cercles de convaincus.

Mais, rétorquons-nous, de quels critères vous munissez-vous pour porter un tel jugement ? Il faut des images qui mettent les choses en perspective. Il faut un slogan et une image clairs et lisibles et cohérents entre eux. A l’arrière-plan des bonnes images, il y a tout un travail intellectuel, elles s’ouvrent à plusieurs niveaux de lecture, répondent-ils.

Jean-Pol Rouard présente cette typologie des images. Il y a d’abord les images du jaillissement, ce sont des images abruptes, du genre de celles qui sont présentées par Paris Match, Stern ou les grands tabloïds de la presse à sensation. Ensuite, il y a des images objectives, qui représentent des données techniques, scientifiques, comme les icônes d’une notice de médicament ou les pages d’un calendrier. Et finalement, il y a les images intégratives, qui établissent une complicité entre l’image regardée et son spectateur. Il leur faut pour cela se tenir à des critères esthétiques et techniques très stricts.

Pour illustrer ses propos, le professeur de graphisme prend l’exemple de la crise de la dioxine. Le premier type d’image du jaillissement montrera par exemple un premier plan de cadavres d’animaux et des gens qui les inspectent munis d’un masque protecteur. Une image du troisième type, intégrative, montrera par contre un paysage de verdure avec plusieurs plans, dont un animal mort entouré par deux fermiers qui le regardent, comme font les paysans de L’angélus, de Millet, tandis que dans le fin fond de l’image, on distinguera la fumée dégagée par une centrale nucléaire. Il y a un travail plus long de décodage dans ce cas-ci, mais cette image est destinée à durer, tandis que l’image-choc, elle, est destinée à être consommée et à disparaître ensuite.

Un message graphique fonctionne d’autant mieux quand il opère par équivalence, ce qui permet que l’imaginaire de chacun puisse se réaliser dans l’image, poursuit Jean- Pol Rouard, en prenant appui sur une campagne contre l’alcool au volant en Allemagne. Des propositions apparemment impossibles peuvent être lisibles, ainsi cette chope cassant le carreau d’une voiture qui exprime avec aisance la fête qui tourne au drame.

Il cite encore le travail graphique de Jacno, le créateur du fameux chapeau des cigarettes Gauloises qui dans les années cinquante a créé un style d’affiches basé sur la typographie pour le Théâtre National Populaire, en France, à un moment où on ne voyait que des photos sur les affiches. Sur un autre plan, plus confidentiel, Jean-Pol Rouard évoque le projet I am you (artistes contre la violence) dans le cadre duquel des jeunes artistes européens ont produit au milieu des années nonante de superbes images sur des bâches plastiques à dérouler, qui à l’arrière d’une chapelle, qui sur les escaliers d’un parc.

Et deux événements graphiques et culturels à ses yeux majeurs : les images d’Oliviero Toscani et celles de Yann Arthus-Bertrand. Le premier, à travers des images publicitaires pour Benetton, a éveillé dans le public une attention plus grande pour les images, un autre regard sur les affiches. Il a réactivé des thèmes plus ou moins inconscients, le machisme, le racisme, et les a mis au grand jour en termes graphiques. Son principe a été de s’adresser à tous (ces images pouvant être lues à Pekin comme à Paris) en ne travaillant pas sur le créneau standard de la publicité mais bien sur des espaces sociaux et culturels. Arthus-Bertrand, le photographe de la Terre vue du ciel, joue aussi sur les sentiments humains et les grands thèmes de notre époque en faisant des déclinaisons inhabituelles, en produisant des images qui peuvent se passer de texte et peuvent elles aussi être lues partout.

On revient à nos images d’ONG et on s’arrête sur trois affiches. La première est une photo d’un médecin blond le stéthoscope aux oreilles. Le slogan dit « Quand on veut nous dissuader d’agir, nous nous bouchons les oreilles ». C’est une publicité de Médecins sans frontières qui fut largement affichée en ville il y a quelques années. « C’est une image objective, juge Jean-Pol Rouard, on montre la compétence d’une personne. Le doute ne peut pas s’installer, on fait appel à un savoir, à des connaissances. Le tout est crédible, raisonné et cela sécurise. Pour ces mêmes bonnes raisons, l’image n’a pas une prégnance exceptionnelle ».

La deuxième est un dessin de Topor pour Amnesty International. Un marteau s’enfonce dans la bouche d’un homme et en déplace la mâchoire inférieure. Pas de slogan, juste la signature de l’ONG. Jean-Pol Rouard est favorable : C’est une image très interpellante, sans concessions ni complaisances, mais qui ne laissera personne indifférent. Elle lui fait penser à la torture, à la censure, à tout ce qui se passe dans le noir. C’est un « bas les masques, ouvrons les yeux ». Au premier abord, l’image peut paraître abrupte, mais par tout ce qu’elle raconte, elle est en fait intégrative. Mieux vaut une image qui blesse, même si elle va dégoûter une partie des gens, qu’une image aseptisée.

La troisième est une photo d’un enfant africain victime d’une disette portant son petit frère. « On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas », affirme le slogan. C’est une production de l’ONG française Action contre la faim qui fut publiée à pleine page dans le journal Le Monde. « C’est moralisant, inutilement culpabilisant, affirme Jean-Pol Rouard. Le slogan est de trop, une phrase comme Votre aide nous est précieuse suffirait ou alors uniquement le nom de l’ONG, Action contre la faim. Malgré tout l’intérêt, toute l’émotion qu’elle peut susciter, tout le scandale que cela représente, elle jette la honte sur les gens si bien qu’elle risque de provoquer davantage de fermeture ».

Ces images font partie d’un ensemble de plus de six cents affiches d’ONG belges, européennes et du tiers monde qu’ITECO a collecté pendant ces derniers années pour être utilisées comme outils d’animation et de recherche.