Deux associations bruxelloises. L’une s’adresse à des jeunes du
Nord qui ont envie de partir au Sud. L’autre travaille avec des jeunes
qui habitent en plein coeur du Nord mais vivent comme dans le Sud et souhaitent
s’intégrer au Nord. Leur est-il possible d’oeuvrer à un projet commun ?
Rencontre avec Martin Van der Belen, coordinateur de Quinoa, et Bilal Chuitar, coordinateur des Amis des Renards, par Andrés Patuelli
Quinoa est une ONG d’éducation au développement. Les Amis des Renards, une ASBL située dans le quartier des Marolles. Deux organisations jeunes, créées respectivement en 1990 et en 1994, qui s’adressent à un public jeune, mais dans des conditions et avec des objectifs différents. Quinoa vise un public large, qui fréquente l’université ou les centres culturels, motivé par la découverte des réalités sociales et culturelles des pays du Sud, public à qui elle offre la possibilité de participer à un chantier de coopération là-bas. Les Renards cherchent l’intégration sociale de jeunes, pour la plupart issus de l’immigration, à travers des activités multiples, culturelles ou sportives, tout en essayant d’endiguer leurs éventuels problèmes de décrochage scolaire, de chômage, de petite délinquance ou de toxicomanie.
Les deux associations sont conscientes de leurs différences mais, comme elle se plaisent à le dire, elles travaillent ensemble » là où il est possible de le faire ». Au début, ce n’était pas évident : « C’est en se côtoyant qu’on se rend compte des points communs et qu’on pense à des synergies auxquelles on n’avait pas pensé ». Elles définissent le partenariat comme « un rapport privilégié » dont la viabilité est basée avant tout sur une complémentarité, l’amitié et la confiance mutuelle plutôt que sur la stricte coïncidence des objectifs institutionnels.
La première expérience de collaboration a lieu en 1995, quand dix jeunes volontaires des Marolles partent au Guatemala pour aider à la construction d’un bâtiment communautaire. Le partenaire local est CIDECA, une ONG qui travaille avec des communautés mayas. L’expérience se répète les trois années suivantes en Amérique latine, et en 1999 et en 2000, en Palestine, où ils travaillent avec Badil, une ONG d’appui palestinienne qui fournit un service d’aide juridique et mène des campagnes visant à défendre le droit des Palestiniens à vivre dans leur pays. Les groupes de base avec lesquels ils travaillent sont les centres de jeunes créés par les comités d’habitants des camps autour de Bethléem.
Le groupe qui part en Palestine a un profil plus varié : il est composé non seulement par des jeunes des Renards, mais aussi par des professionnels des médias et d’autres jeunes contactés par Quinoa. L’année passée, les volontaires ont animé trois ateliers médias (photographie, vidéo et radio) dans le cadre d’un projet de sauvegarde de la mémoire orale des anciens réfugiés rescapés de 1948 ; ils ont produit des supports utilisés en Belgique pendant toute l’année 2000 dans une campagne d’information sur le sort des réfugiés palestiniens. Cette année-ci, le projet comprenait la poursuite de l’atelier de photographie ainsi que la réalisation d’autres activités éducatives ou récréatives (sports, peinture murale, danse).
La coopération entre les deux associations ne se déroule pas exclusivement dans le contexte d’un projet dans le Sud, mais également sous la forme de » petits services » , comme ils les appellent, ou par une implication commune dans des projets. Ainsi, lors de la présentation d’une pièce sur les réfugiés palestiniens dans une salle des Marolles, les animateurs des Renards et des volontaires de Quinoa contribueront à la sensibilisation en partageant le fruit de leur séjour en Palestine, au moyen d’une exposition de photos et d’une vidéo réalisées sur place.
La collaboration entre Quinoa, Les Amis des Renards et le partenaire du Sud s’appuie sur certains points forts. Le mot d’ordre est la négociation. Les projets reposent sur l’initiative des partenaires du Sud de Quinoa, des ONG d’appui à des communautés de base, mais aussi d’autres entités de promotion, comme par exemple des troupes de théâtre à Cuba et au Burkina-Faso. Le partenaire du Sud traduit les demandes en un projet qu’il propose à Quinoa, mais il existe toujours une marge de manœuvre, afin d’adapter les modalités de réalisation aux possibilités réelles, notamment les compétences des volontaires contactés par Quinoa.
Les partenaires partagent les efforts nécessaires à la réalisation du projet, par un financement, du matériel ou de la main-d’œuvre. Dans le cas du projet au Guatemala, Quinoa a fourni une partie des fonds et assuré un encadrement aux deux accompagnateurs ; CIDECA, l’encadrement du projet et le suivi technique relatif à la construction ; et les Renards et la communauté locale, des ressources humaines pour les travaux de construction. La gestion du projet reste sous la responsabilité du partenaire local. Toutefois, » les ONG doivent tenir Quinoa au courant du déroulement du projet. A chaque fois, nous essayons de trouver avec l’ ONG locale les moyens de garder le contact avec le groupe de base » . Loin des yeux, près du cœur : grâce à un système de parrainage, les six permanents de Quinoa assurent un suivi organisé des partenaires et, de façon indirecte, des projets.
Entre Quinoa et Les Amis des Renards existe aussi une répartition des tâches en ce qui concerne le rapport avec les sources de financement. Au départ, un dossier commun : chacun l’adapte et l’introduit en son nom. Celui qui l’a présenté doit aussi le défendre et, en cas d’attribution de l’aide, il reste responsable du suivi et du compte-rendu final.
Le partenariat semble ne leur avoir apporté que des avantages : « Pendant ces cinq ans nous avons appris à travailler ensemble malgré nos différences ». Si l’équipe de Quinoa utilise la notion d’ éducation au développement, les Renards parlent plutôt d’ intégration sociale, mais ces deux approches convergent : elles cherchent à responsabiliser les participants, à stimuler leur engagement et à développer leur volonté d’entreprendre.
Plutôt qu’à insister sur la coopération au développement dans les pays du Sud, les responsables de Quinoa et des Renards soulignent l’apport de ce partenariat à la réalisation de leurs objectifs institutionnels respectifs : sensibiliser des jeunes appartenant à un public large à des réalités du Sud, et intégrer socialement des jeunes issus de l’immigration. La plupart des bénéfices qu’ils retirent de leur relation proviennent, justement, de leurs différences d’objectifs, de publics, de contextes d’action. Bref, de la mixité de leurs rapports.
Que des jeunes des Marolles participent aux projets de Quinoa contribue à briser le phénomène de « ghettoïsation », à développer leur volonté d’entreprendre, ainsi qu’à les valoriser socialement. Elle offre aux jeunes qui vivent enfermés dans leur quartier la possibilité de rencontrer des jeunes Belges d’autres milieux, qu’ils n’ont normalement pas la possibilité de connaître et à propos desquels ils perdent leurs préjugés : « ce ne sont pas que des petits bourgeois ». Il en va de même pour le public de Quinoa, pour lequel rencontrer un groupe de jeunes d’origine marocaine est inhabituel : « c’est fou de devoir aller en Palestine pour connaître des jeunes qui habitent, comme nous, en Belgique ». La participation à un projet commun sert à abattre les barrières et à ne pas stagner dans ses propres positions.
Chaque organisation fait office de médiateur ou de facilitateur auprès de son partenaire. Pour Quinoa, les Renards lui permet de tester leurs outils pédagogiques avant de les employer avec d’autres publics ayant des caractéristiques similaires à celles des Marolles ; quant aux Renards, l’équipe de Quinoa « constitue un pont vers le monde, parfois trop érudite, de la coopération au développement et, pour certains projets, de bénéficier d’une plus forte reconnaissance auprès de ce monde ».
Par rapport aux objectifs éducatifs sous-jacents aux activités de coopération dans le Sud, la participation de jeunes qui habitent dans des conditions difficiles, comme ceux des Renards, a certes comporté des avantages. Cette similarité a contribué à enrichir la rencontre avec les communautés locales, comme l’ont fait savoir certains des partenaires latino-américaines : « Certains nous disent qu’ils sont contents d’avoir découvert que tous les Belges ne correspondent pas à un certain profil, trop stéréotypé avec, par exemple,, des études supérieures à la clé ; il y a des Belges qui vivent aussi dans des conditions difficiles ». Toutefois, les volontaires des Marolles trouvaient que les communautés palestinienne et guatémaltèque qu’ils venaient de découvrir avaient « les mêmes problèmes et vivaient dans les mêmes conditions que leurs familles de la campagne, au Maroc ». Et c’est là le paradoxe, voire la difficulté : comment attirer leur regard sur une analyse d’une situation qu’ils pensent connaître.
Dans l’ensemble, Quinoa et Les Amis des Renards se montrent satisfaits des résultats de leur travail en commun. Si ces derniers constatent que les jeunes qui ont participé aux projets dans le Sud deviennent effectivement plus actifs et autonomes, Quinoa voit que plusieurs de ses anciens volontaires ont continué dans le milieu de la coopération au développement. Quinoa souligne, enfin, l’importance qu’a le principe de partenariat pour son organisation : « Il est à la base même de nos projets : sans partenaires au Sud, on n’aurait pas pu concevoir nos activités. Nous n’avons aucune prétention de développement dans les pays du Sud ; c’est uniquement sur la base d’un partenariat avec des organisations locales, qui connaissent les réalités du terrain, que nous pouvons réaliser des projets. Ce sont aussi nos partenaires qui nous ont fait grandir ; c’est grâce aux échanges multiples avec eux que nous avons construit notre identité : ils nous ont beaucoup aidé à réfléchir sur qui nous sommes et sur les spécificités de notre action ».