Des missions religieuses au partenariat du XXIe siècle

Mise en ligne: 3 novembre 2015

Les points forts et les paradoxes du partenariat du passé peuvent ouvrir des voies aux partenariats à venir

L’histoire nous apprend que, pendant la colonisation, l’aide ou l’assistance au développement dans les Etats actuels du Sud passait généralement par les missions religieuses. Plus tard, avec la sécularisation de la civilisation occidentale, l’aide est passée principalement par le canal des ONG non confessionnelles. L’une des caractéristiques communes à ces deux premières générations d’ONG était que les besoins en développement des populations locales étaient unilatéralement identifiés par les missionnaires ou coopérants qui exécutaient les projets sur le terrain, l’apport des bénéficiaires se limitant essentiellement à la main d’œuvre. Cette assistance a néanmoins créé une dynamique qui a conduit à l’émergence des mouvements associatifs de développement, qui ont catalysé l’apparition des ONG au Sud.

Avec les années septante marquées par une internationalisation des entreprises, le paradigme d’aide ou d’assistance a été remplacé par celui de partenariat, derrière lequel se dissimule en réalité un rapport déséquilibré entre partenaires du Nord et du Sud, motivé par l’ascendant financier des premières et la faiblesse organisationnelle des secondes. Il convient de reconnaître que la vitalité actuelle du monde associatif dans le Sud est l’effet induit par ce partenariat, lequel a favorisé la mise sur pied de projets viables de développement qui concourent à l’amorce d’une développement durable.

Compte tenu des limites du partenariat actuel et des réalités que charrie la mondialisation, caractérisée par la toute puissance des firmes sans nationalités, causant progressivement l’affaiblissement des Etats, il y a lieu de s’interroger et de réfléchir sur ce que serait le partenariat au XXIe siècle.

Le partenariat comme projet [1]

Le partenariat peut être entendu comme un processus d’échange, de négociation et de concertation autour d’intérêts communs. Dans son essence, le partenariat implique :

  • l’existence d’au moins deux entités engagées dans une relation consciente et volontaire, à préserver et à promouvoir
  • une relation égalitaire, ou tout au moins l’intention de tendre vers une coopération équilibrée entre partenaires [2]

Ce qui signifie une mise en œuvre conjointe des actions de développement et, par voie de conséquence, une concertation avec les bénéficiaires. L’idéal du partenariat est donc d’impulser un véritable développement sur la base de la participation effective des bénéficiaires aux différentes étapes du cycle d’un projet de développement, ainsi que leur appropriation de ce projet pour qu’ils arrivent eux-mêmes à en assurer la continuité Cela suppose l’élimination de la passivité de la part des bénéficiaires, parce que l’auto-développement auquel ils doivent aboutir ne peut se concevoir sans un engagement militant de leur part.

Points forts du partenariat

Notre expérience du partenariat avec les organisations du Nord est émaillée d’un certain nombre de points positifs que nous ne pouvons nous retenir de souligner. Sans prétendre à l’exhaustivité, il convient de noter que le partenariat actuel a permis :
1) l’émergence de dynamiques à la base, en incitant les populations du Sud à s’organiser en groupes de base, ONG, groupements producteurs, syndicats, mouvements politiques, associations de promotion des droits de l’homme, institutions de formation et d’enseignement, institutions financières d’épargne et crédit, institutions de santé
2) d’assurer le financement des projets
3) la formation des partenaires locaux dans le cadre du renforcement de leurs capacités
4) le transfert de technologies et l’acquisition de l’équipement de production
5) la création d’emplois
6) l’échange d’expériences, et par voie de conséquence, une meilleure connaissance mutuelle
7) le développement des relations interpersonnelles entre partenaires.

Ambiguïtés et paradoxes

Si notre expérience du partenariat avec les organisations du Nord se jonche de points positifs, dans la pratique elle est souvent marquée par des ambiguïtés et paradoxes que l’avenir doit pouvoir dissiper.

  • En dépit de la volonté affichée des partenaires du Nord d’encourager le plus possible l’émergence d’un partenariat égalitaire, la subordination et le paternalisme sont encore perceptibles dans les rapports avec les organisations du Sud. Le talon d’Achille de cette domination reste la dépendance financière de ces dernières.
  • Le financement des projets ne tient pas toujours compte des priorités des bénéficiaires, mais est plutôt focalisé sur les concepts à la mode (sécurité alimentaire, crédit, développement organisationnel, droits de l’homme, mutuelles de santé). Un projet a beau revêtir un caractère pertinent et urgent, il ne sera pas financé s’il ne rentre pas dans la mode du moment. Généralement, cette manière de faire contribue à l’échec de bon nombre de projets de développement De plus, elle favorise le surgissement de partenariats opportunistes.
  • Un autre aspect de cette subordination se remarque par l’envoi de coopérants. Une telle situation ne favorise pas la valorisation de compétences locales.
  • Les financements prennent rarement en compte les frais occasionnés par l’identification et l’étude de faisabilité des projets, alors que ces aspects sont le gage de la réussite et de la durabilité des projets.
  • La personnalisation des relations entre partenaires précarise le partenariat.
  • Un manque de transparence est décelé sur des points fondamentaux de la relation de partenariat, en ce qui concerne l’échange et le traitement des informations et la gestion des projets, ce qui entache la relation de confiance.
  • Les mécanismes garantissant la participation et l’appropriation des projets par les bénéficiaires sont insuffisants. Généralement, les populations cibles ou bénéficiaires parviennent difficilement à bénéficier de l’aide au développement. Les conditions de participation aux projets les écartent souvent de circuits de cette aide.
  • La faiblesse des capacités financières, organisationnelles, voire institutionnelles contribue à entretenir la subordination et le paternalisme.

Quelques pistes pour le partenariat du XXIe siècle

Nous n’entendons pas fournir des recettes toutes faites sur ce que le partenariat sera ou ne sera pas au prochain millénaire. Notre préoccupation est, au contraire, d’enrichir la réflexion autour de cette problématique sur les possibilités d’un partenariat adapté aux réalités de ce siècle, gagné par la globalisation.

Le prochain millénaire s’inaugure sous les traits de la mondialisation, considérée comme la dernière phase de l’accumulation du capital, qui se réalise à l’échelle mondiale. Dans ce processus, les forces du marché sont présentées comme la seule alternative au développement. Elles nécessitent parfois des adaptations pénibles aux changements rapides et sont considérées comme prometteuses d’une croissance à l’échelle mondiale et d’une augmentation des choix et des possibilités.

Concrètement, cela implique que :

  • les marchés internes sont de moins en moins importants pour la croissance
  • l’extérieur et les débouchés externes jouent un rôle de plus en plus important pour les conditions internes de la croissance et de l’emploi
  • les degrés de liberté des politiques économiques nationales sont de plus en plus réduits et dépendant de l’accumulation des entreprises sans nationalité [3].

Dans ce contexte de l’accumulation du capital, où les rapports de force sont soumis à la loi du marché et la logique du profit, il faut désormais situer le partenariat —entendu comme processus— dans l’échange, la négociation et la concertation autour des intérêts communs.

Les flux financiers de l’aide au développement vont par conséquent diminuer et se concentrer sur les seuls projets productifs et générateurs de plus-value, au détriment des projets socio-communautaires. L’aide devient un investissement géré par les partenaires les mieux organisés et les plus performants.

Le défi des ONG réside dès lors dans leur capacité à se transformer en entreprises de développement, à travers la recherche de mécanismes d’auto-financement, leur permettant d’assurer le relais du financement de ces projets socio-communautaires. De ce fait, la professionnalisation devient une occasion de garantir le renforcement des capacités et de repenser le système d’assistance technique, sur la base de la valorisation des compétences locales et l’échange d’expériences.

Les oppositions ONG du Nord — ONG du Sud tendent à disparaître pour céder la place à l’ ONG inter ou supranationale qui recrute ses membres par-delà les pays avec lesquels elle entretient des relations.

Dans ce nouveau partenariat, la notion de bénéficiaire calquée sur l’idée d’assistant-assisté, de donateur-receveur n’a plus sa place. Le bénéficiaire d’hier est associé, participe et œuvre pleinement à son autonomisation. Il devient acteur de son propre développement.

Pour plus d’efficacité dans leurs actions, le rapprochement devient nécessaire entre partenaires du Nord et du Sud. Ces derniers devraient tendre à se constituer en réseaux transnationaux et de lobbying pour préserver et promouvoir leurs intérêts communs tels que :

  • l’échange d’informations à travers un processus de diffusion, collecte, et traitement garantissant la protection de la propriété intellectuelle
  • le développement humain des peuples, qui ne se mesure pas seulement par rapport à la croissance économique, mais qui intègre les aspects socioculturels et même éthiques
  • la réduction des inégalités entre les peuples, aggravées par le diktat des multinationales et le poids de la dette extérieure
  • la lutte contre la pauvreté, gage de la réduction des mouvements migratoires économiques et politique dans le monde, et
  • la paix.

Toutefois, l’annulation de la dette extérieure des pays du tiers monde est une condition nécessaire, sans laquelle tous les efforts resteront vains. En effet, on ne peut prétendre lutter contre la pauvreté sans dénouer le goulot d’étranglement que constitue le paiement de cette dette, lorsque l’on sait que chaque franc octroyé dans le cadre de l’aide au développement par les pays riches leur rapporte neuf francs, comme l’atteste la Campagne Jubilé 2000.

[1Cette partie s’inspire de la vision de la publication Le partenariat des ONG, de la DGCI, et de la communication de Jean Michel Swalens (pages 6 à 13 de ce numéro)

[2Le partenariat des ONG, AGCD, 1999, page 4.

[3S. Marysse, La libération du Congo dans le contexte de la mondialisation, dans l’Afrique des grands lacs, Paris, L’harmattan, 1998, page 215