Y a-t-il un sens pour un bailleur de fonds bilatéral de financer directement des organisations dans les pays partenaires ?, par Eddy Boutmans
La question n’est pas neuve, y compris pour la coopération belge, qui a analysé la problématique depuis plusieurs années. La Belgique dispose de possibilités légales pour appuyer directement des organisations, et plusieurs dispositifs existants ont déjà permis et permettent de financer directement des acteurs non-gouvernementaux du Sud. Parmi ces dispositifs existants, nous pouvons citer :
Les débats actuels sur l’aide d’urgence portent notamment aussi sur l’opportunité d’appui direct par les bailleurs de fonds à des associations locales susceptibles de jouer un rôle de plus en plus grand dans la prévention et la réponse aux catastrophes.
D’autre part, en matière d’accords multilatéraux, l’accord de Cotonou qui fixe les bases de la coopération entre les pays ACP et l’Union européenne élargit résolument le domaine de la coopération et l’accès aux financements à de multiples acteurs dont les acteurs non-gouvernementaux du Sud. Le rôle de ces acteurs va bien au-delà d’une fonction d’exécution puisqu’ils devront pouvoir intervenir dans le dialogue politique, dans la définition des politiques et stratégies de coopération et leur programmation, ainsi que dans l’évaluation des résultats.
L’extension et l’affirmation du rôle de la société civile (à côté des Etats et des opérateurs économiques) dans les processus de développement contribuent, si pas à un décloisonnement des logiques des différents acteurs, au moins dans la plupart des cas à jeter les bases d’un dialogue entre les acteurs non-gouvernementaux et les pouvoirs publics. Ce phénomène a également contribué à une évolution dans la relation de ces acteurs avec les bailleurs de fonds multilatéraux et bilatéraux.
Une étude publiée en février 1998 par Johan Debar et Robrecht Renard [1] analyse l’expérience de divers bailleurs de fonds bilatéraux dans le domaine et formule des recommandations à la coopération belge :
Il s’agit donc de bien percevoir les différences de contextes socio-politiques dans lesquels cet appui à des organisations locales devra être mis en œuvre. Dans un nombre de plus en plus important de pays partenaires, la relation entre l’Etat et la société civile s’enrichit et se transforme. Des mécanismes de concertation et de collaboration se sont développées entre pouvoirs publics et monde associatif. Cette évolution de la relation s’est accompagnée également de la mise en vigueur de nouvelles lois et réglementations reconnaissant à des acteurs de la société civile un rôle dans le développement de leur pays. Parallèlement, des mécanismes de concertation se sont mis en place. L’évolution de cette relation ne se fait pas sans difficultés. Il n’empêche que dans de nombreux pays, une transformation s’est opérée qui semble difficilement réversible.
La question se pose alors différemment, et avec une acuité particulière, dans les zones en conflit où lorsque l’Etat est faible ou déficient : l’appui à des organisations locales revêt une signification particulière, non seulement en fonction de ce qu’il permet de réaliser, mais aussi parce qu’il crée une dynamique. Cette dynamique ne doit cependant pour contrarier à terme l’émergence de structures publiques efficaces, démocratiques et proche des citoyens.
De manière très explicite, la coopération belge envisage aussi de se déployer (ou tout au moins d’essayer d’être active) dans des zones en conflit. Cependant, l’approche et les mécanismes d’appui devront bien évidemment tenir compte de la nature des crises auxquelles ces Etats et leur populations sont confrontés. C’est pourquoi il est difficile actuellement d’envisager d’inscrire ces mécanismes d’appui dans le cadre de la coopération bilatérale directe. La création d’un instrument spécifique intégré au programme 4 (programmes spéciaux) s’avère la plus appropriée.
Les objectifs de ce nouveau dispositif sont essentiellement les suivants pour 2001 :
A plus long terme cette modalité de financement direct devra également prendre en compte l’implication des organisations de base dans les programmes de lutte contre la pauvreté. Il est un fait indéniable qu’un début de décloisonnement entre les différents acteurs de la coopération et leurs logiques respectives s’est opéré. Ceci a notamment incité les institutions de Bretton Woods à réexaminer leurs approches en la fondant sur une analyse plus « politique » des causes de la pauvreté et des moyens de la combattre. Le concept de programme stratégique de lutte contre la pauvreté inclut explicitement les associations non-gouvernementales du Sud comme acteurs indispensables de ces programmes. Un bailleur de fonds bilatéral tel que la coopération belge doit prendre en compte cette réalité. La perspective d’un financement direct d’organisations non-gouvernementales du Sud par la coopération belge dans le cadre de ces programmes stratégiques de lutte contre la pauvreté n’est donc pas à exclure. Il ne pourrait cependant s’envisager sans l’indispensable concertation et coordination avec les pouvoirs publics locaux, les ONG belges et internationales ainsi que les organisations multilatérales concernées.
Cette philosophie est déjà présente dans les nouvelles modalités de mise en œuvre du Fonds de survie, l’analyse de l’expérience et les leçons que nous pourrons en tirer enrichiront la pratique d’un financement direct à visée plus large.
Pour conclure, nous considérons donc d’une façon positive le financement d’organisations non gouvernementales chez nos partenaires, puisque cela semble s’inscrire dans une conception contemporaine du développement et de la démocratie. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que le droit international est toujours basé sur le principe de la souveraineté nationale. Un Etat n’a pas, en principe, le droit d’intervenir dans les affaires internes d’un autre Etat.
Certes, le droit international prévoit des exceptions, mais elles restent bien cela : des exceptions ! Il n’y a pas, en droit international, de clause générale qui donne le droit aux pays donateurs —c’est dire aux riches— le droit de dicter la loi aux pays en développement — c’est à dire aux pauvres. En vérité, l’accord de Cotonou est à peu près la seule base juridique qui pourrait justifier ( dans le dialogue et non sur base d’une intervention unilatérale ) un soutien de prime abord non envisagé par le gouvernement local. Le financement des ONG locales devra donc se faire avec circonspection et sans confusion de rôles car il n’est pas dénué d’ambiguïté ni de risques.
[1] De discussie omtrent directe financiering : implicaties voor de relaties tussen een kleine bilaterale donor en de NGO, J. Debar en R. Renard. RUCA. 24 februari 1998