Mieux vaut ne pas être un jeune latino dans les campagnes nord-américaines. Huit cents mille d’entre eux y travaillent pour une bouchée de pain, par Samy Hosni
« Douze femmes ont été intoxiquées dans un vignoble de Terrabelle en Californie : un hélicoptère était passé au-dessus d’elles en faisant de l’épandage, et deux ont dû être hospitalisées. Vous imaginez des enfants là-dedans ? » 1. On a du mal à comprendre les propos d’Ephraim Camacho, un ancien saisonnier, la plupart des enfants américains ne sont-ils pas à l’école ou devant leur télé dégustant un soda glacé ? Le temps de travail infantile n’est-il pas révolu depuis la récession et les romans de Steinbeck ?
Malheureusement la réalité est différente : des milliers d’enfants mexicains sont exploités dans le secteur agricole aux Etats-Unis. Selon une étude récente, les enfants commencent à travailler dans les fermes entre 13 et 15 ans. Beaucoup ont traversé la frontière avec leurs parents pour participer aux récoltes. On estime à 85 %, le nombre de « fermiers » faisant partie d’une des minorités. Dans des régions comme l’ Arizona ou en Californie, 99 % des personnes travaillant dans les champs sont d’origine latino-américaine. D’après Human Rights Watch —HRW—, ces oubliés du rêve américain travailleraient jusqu’à douze à quatorze heures par jour dans des conditions souvent dangereuses : les pesticides utilisés pour l’épandage provoquent empoisonnements, éruptions cutanés, vertiges voire à long terme certains cancers. Quoi de plus normal quand on sait que les seuils actuels d’exposition au poison ont été établis pour un homme pesant 75 kilos ? Il faut ajouter à cela le manque de conditions sanitaires : l’accès à l’eau potable, aux toilettes ou à un endroit pour se laver les mains manquent cruellement. En outre, les jeunes travailleurs sont régulièrement escroqués lors du payement de leur salaire : des témoignages du HRW font état de salaires de misère ne dépassant pas deux dollars de l’heure au lieu des 5.15 légal…
Pourtant sur le plan strictement légal, seul ce bas salaire est une infraction à la loi. En effet, s’il est interdit à un enfant de douze ans de travailler dans un fast-food, il pourra travailler un nombre illimité d’heure dans une ferme. A cela deux conditions souvent transgressées : ne pas manquer l’école et ne pas travailler plus de nonante jours d’affilée. Pourtant, pour les immigrés mexicains suant dans les champs américains en toute clandestinité, aucune loi sociale n’existe : HRW estime à un million le nombre d’enfants employés dans l’agriculture et à cent mille le nombre de mineurs travaillant dans l’illégalité. Ce vide légal s’est révélé juteux pour les géants de l’agroalimentaire qui tirent un maximum de profit sur cette main d’œuvre bon marché. Pour lutter contre cette forme moderne de l’esclavage, HRW réclame la fin de la discrimination à l’encontre des enfants travaillant dans les fermes en imposant un minimum d’âge légal.
Les Etats-Unis est l’un des deux pays qui n’a pas ratifié la Convention de Nations unies pour les droits de l’enfant, le second étant la Somalie dont le gouvernement n’est pas reconnu internationalement. A l’époque, la division des droits de l’enfant avait pointé du doigt les Etats-Unis sur trois thèmes : la détention de mineurs issus de l’immigration, les conditions des enfants dans le système judiciaire et l’usage de mineurs comme soldats. C’est oublier le sort laissé à des milliers d’enfants trimant dans les champs américains tous les jours pour une bouchée de pain. Le HRW et Amnestie internationale se sont prononcés contre l’exploitation des enfants : si ce phénomène est vite vu comme inhérent au tiers monde, ce scandale nous rappelle que l’exploitation infantile existe aussi en Occident si fier d’être « l’inventeur » des droits de l’homme [1].
[1] Interview de Nick Paton Wash pour le journal britannique The Observer