Paradoxes du partenariat

Mise en ligne: 28 juillet 2014

La tension entre la situation de disparité réelle des partenaires et l’idéal d’égalité qui se trouve au centre même du concept est à la source de bien des frustrations au Nord et au Sud, par Jean-Michel Swalens

Le propos qui suit est inspiré de la synthèse de plusieurs travaux, de réflexions et d’évaluations traitant du partenariat Nord-Sud dans le cadre de la coopération ONG. Avant d’entamer la présentation de cette synthèse proprement dite, il convient de dessiner les contours de notre sujet. Il ne s’agit pas de donner une définition exhaustive, définitive, du partenariat entre ONG du Nord et leurs partenaires du Sud, mais d’en identifier quelques caractéristiques essentielles et les placer dans une perspective historique. Il convient de souligner dès le départ que l’évolution décrite tente de définir l’apparition progressive de nouvelles tendances, ce qui ne signifie pas nécessairement que tous les partenariats Nord-Sud actuels correspondent à la même évolution et aux mêmes tendances. L’apparition d’une nouvelle tendance ne signifie pas la disparition complète de formes plus anciennes. L’évaluation des relations de partenariat réalisée par Transtec-Sher démontre la diversité des formes existantes de partenariat, ces différentes formes pouvant correspondre d’une certaine manière aux diverses strates temporelles de l’évolution du partenariat.

L’émergence du concept de partenariat se situe déjà dans le début des années septante. Progressivement, la notion d’aide ou d’assistance s’estompe à partir de cette époque pour faire place à celle de partenariat. Cette évolution sémantique répond à une évolution du concept même de la coopération au développement. A une relation initialement fondée sur l’assistance (l’un donne et l’autre reçoit), les acteurs de la coopération ont voulu substituer un autre type de relation impliquant tout d’abord l’existence de deux entités, au moins, engagées dans une relation consciente et volontaire, basée sur une communauté d’intérêts et une prise de responsabilité de toutes les parties.

La condition d’existence d’une entité au Sud implique elle-même un minimum d’organisation, de création d’une institution directement ou indirectement représentative d’un ensemble de bénéficiaires devenant l’interlocuteur de son partenaire du Nord. Ceci n’était pas toujours en réalité évident [1] et amènera d’ailleurs certaines ONG à susciter la naissance d’entités partenaires, afin de se rapprocher de l’idéal contenu dans ce concept de partenariat.

En outre, le partenariat (c’est la racine même du mot) implique une relation égalitaire, ou du moins l’intention de tendre vers des relations équilibrées entre partenaires. C’est ici, au cœur même de l’idée de partenariat, que surgit un premier paradoxe qui suscite bien des débats, à savoir la tension, la contradiction, entre la situation de disparité réelle des partenaires et cet idéal d’égalité qui se trouve au centre même du concept.

Ce paradoxe est à la source de bien des frustrations à la fois au Nord et au Sud. Au Nord parce que les ONG perçoivent quotidiennement cet écart entre la réalité et cet idéal de relations équilibrées qu’elles mettent au centre de leur dispositif de coopération. Frustration au Sud, parce que la relation de dépendance existe encore bel et bien malgré tout ce qui est déployé pour l’adoucir ou la réduire. Nous aurons l’occasion d’aborder ce paradoxe sous plusieurs angles et à diverses reprises.

Par ailleurs, l’émergence du concept de partenariat constitue aussi le signe du refus de la passivité de la part des bénéficiaires. Les termes d’aide ou d’assistance ont été ainsi bannis peu à peu du vocabulaire pour faire place à une notion centrale : le développement, avec une insistance progressive sur l’auto-développement qui évidemment ne peut se concevoir sans engagement (ou même militantisme parfois) de la part des populations des pays en développement.

C’est ainsi que dans la relation entre ONG du Nord et partenaires du Sud une préoccupation essentielle liée au degré et au mode d’implication des bénéficiaires va apparaître de manière progressive, comme critère de qualité incontournable du partenariat.

On parlera ainsi de manière souvent graduelle de :

  • La participation des bénéficiaires aux différentes étapes du cycle d’une action de développement.
  • L’appropriation par les bénéficiaires d’une action.
  • L’initiation par les bénéficiaires eux-mêmes de l’action (capacité d’initiative des bénéficiaires).

Cette gradation qualitative peut être mise en parallèle avec une structuration progressive des organisations de développement au Sud (afin d’assumer diverses fonctions à différentes échelles) et une évolution du rôle des ONG du Nord qui progressivement se dégagent des fonctions de préparation et mise en œuvre des actions de développement pour s’orienter vers un rôle de soutien par la mise à disposition de ressources financières, humaines, techniques et évoluent vers des formes de partenariat différentes, non nécessairement liées à l’accomplissement d’actions dans le Sud, tel le renforcement institutionnel des partenaires.

Petit à petit vont ainsi apparaître au Sud les distinctions entre organisations de base, organisations fédératives, ONG d’appui ou de service, structures spécialisées dans le crédit et ou l’épargne, par exemple... Ceci correspondant à une diversification des tâches et des fonctions accompagnée d’un processus de spécialisation des instances au Sud autour de fonctions aussi diverses que la mise en œuvre même des actions, l’appui technique et méthodologique en matière de préparation, le suivi et l’évaluation, la formation de base et la formation des cadres, le fédération et la représentation, la mobilisation des moyens financiers...

Différentes études et évaluations (dont celle de Transtec-Sher) soulignent la diversité actuelle des partenaires ONG : groupes de base, ONG, groupements de producteurs, syndicats, mouvements politiques, associations de promotion des droits de l’homme, institutions de formation et d’enseignement, institutions financières d’épargne et de crédit, paroisses, missions, pouvoirs publics régionaux ou nationaux... Un partenariat entre pouvoirs publics et ONG peut apparaître contre- nature et peu égalitaire, mais il est quasi inévitable pour des ONG agissant dans le domaine de la santé publique par exemple. De plus, il ne se présente pas forcément dans des configurations binaires.

Les fonctions des uns et des autres ainsi que l’objet du partenariat entre ONG du Nord et partenaires du Sud se sont donc considérablement diversifiés, en tentant de recentrer ce pouvoir d’initiative au Sud, notamment pour tenter de mieux répondre à cet idéal de relation égalitaire au cœur même de l’idée de partenariat. D’une part, en développant des analyses non plus centrées seulement sur les besoins au Sud, mais aussi sur les ressources et la mobilisation de ces ressources, d’autre part en recherchant de part et d’autre à compléter la relation d’aide ou d’appui par des processus davantage basés sur l’échange : échange de savoir, de savoir faire, travail en réseau...

A cette diversification des formes et du contenu du partenariat, il faut mettre en parallèle une évolution des modèles de développement et de l’analyse des causes du sous-développement ou du mal-développement. Le caractère universel des mécanismes engendrant les inégalités entre riches et pauvres a de plus amené assez naturellement à ne plus se satisfaire uniquement d’actions de développement centrées au Sud mais à engager une série de processus visant à combattre plus fondamentalement ces mécanismes, d’où recherche d’autres cibles, diversification des formes d’actions et redéfinition des rôles des partenaires au Nord et au Sud. Outre la redéfinition des thèmes et des approches en éducation au développement au Nord par exemple, le travail en réseau a acquis ainsi une importance de plus en plus grande, modifiant les méthodes, les formes de partenariat et accentuant aussi la nécessité de solidarités Nord-Nord et Sud-Sud.

Dans cette configuration, le partenariat ne peut plus se pratiquer comme une relation binaire exclusive (l’a-t-il jamais été d’ailleurs ?), mais bien plus comme une participation à un ensemble de relations entre divers acteurs centrées sur des intérêts communs. Le plus fréquemment aujourd’hui, au Nord comme au Sud, chacun des partenaires est engagé dans un ensemble de relations qui représentent pour lui un éventail de possibilités et de contraintes qu’il doit pouvoir gérer et concilier. Ce qui amène de part et d’autre à rechercher une situation optimale dans le nombre et les caractéristiques de ces partenaires. Cet équilibre n’est pas facile à atteindre. Au Sud, les organisations ont intérêt à diversifier leurs partenaires pour éviter une dépendance trop marquée vis-à-vis d’un partenaire unique sans toutefois s’engager dans un ensemble de relations trop vastes dont les contraintes cumulées deviendraient incompatibles ou impossibles à gérer (il y va pour elles du maintien de la cohérence d’un programme d’action). Certaines organisations au Sud ont d’ailleurs atteint une taille et un volume d’activité dépassant de loin ceux de leurs partenaires du Nord.

Au Nord, les ONG sont également contraintes à une meilleure définition de leur spécificité incluant une stratégie claire dans le choix des partenaires et une méthodologie appropriée. Les évaluations leur recommandent en général d’éviter la dispersion, car il s’agit non seulement de bien connaître les partenaires et le contexte dans lequel ils agissent, mais aussi d’organiser le suivi et l’évaluation.

Les évaluations révèlent également l’importance fondamentale de la qualité des relations humaines dans le partenariat. Une certaine communauté de pensée comme assise du partenariat est très fréquente, mais Il faut mettre en parallèle la diversification des formes et du contenu du partenariat et une évolution des modèles de développement et de l’analyse des causes du sous-développement ou du mal-développement il faut aussi souligner l’importance des affinités et sympathies interpersonnelles dans cette relation de partenariat. C’est la dimension humaine de cette relation, il convient de ne pas la nier ou vouloir l’occulter. En pratique, l’aspect humain de la relation n’est pas antinomique de l’aspect institutionnel. C’est ainsi que plusieurs travaux insistent également sur la qualité des accords de collaborations écrits entre partenaires que l’on pourrait qualifier de condition nécessaire mais non suffisante pour la qualité du partenariat. Outre la pertinence et la clarté des accords de collaboration, d’autres conditions doivent être remplies pour donner des gages de réussite à ce partenariat : communication et concertation, transparence, connaissance mutuelle, capacité de s’engager dans la durée. L’envoi ou l’échange de personnes constitue une dimension fort importante du partenariat : bien pensés, ils favorisent la communication et la connaissance mutuelle. Il est important de ne pas réduire le partenariat à la seule dimension financement comme vecteur de la relation. En général la présence de coordinateurs locaux est appréciée et encouragée dans la mesure où ils favorisent une plus grande proximité des partenaires et une décentralisation du processus de décision.

Ces évaluations mentionnent par ailleurs des reproches des partenaires du Sud vis-à-vis des ONG du Nord en matière de transparence : manque de transparence sur le fonctionnement de leur propre organisation, manque de transparence sur leurs relations avec les bailleurs de fonds (leurs gouvernements en général) dont peuvent découler certains malentendus.

Outre les évolutions mentionnées ci-dessus, les théories du développement ont commencé à prendre en compte le fameux concept de société civile [2] qui est venu se juxtaposer à l’Etat et au marché. Complétant ou contrebalançant les approches exclusivement centrées tout d’abord sur le rôle de l’Etat et ensuite sur celui du marché dans le développement, des analyses de plus en plus nombreuses sont ainsi apparues mettant l’accent sur le caractère inévitable d’un renforcement de la société civile comme processus indispensable au développement. Cette évolution des conceptions et des approches pratiques qui en ont découlé a contribué à engendrer au moins un double mouvement :

  • D’une part un élargissement de l’objet même du partenariat qui ne se centre plus exclusivement sur l’accomplissement en commun d’une action de développement mais également sur le renforcement même du partenaire du Sud comme composante de cette société civile.
  • D’autre part la reconnaissance par les gouvernements et les institutions internationales des ONG du Sud (et autres composantes du tissu associatif) comme acteurs véritables du développement (avec par exemple la naissance de partenariats directs entre ONG du Sud et organismes multilatéraux ou le financement direct d’ ONG du Sud par des gouvernements du Nord : ce financement direct est demandé et apprécié par certains partenaires du Sud, mais il est vivement critiqué par d’autres. Il pose la question du rôle et de l’identité des ONG du Nord).

L’objet même du partenariat entre ONG du Nord et organisations au Sud s’est élargi. Centré tout d’abord sur l’accomplissement d’actions, celui-ci s’est aussi orienté vers l’appui à des processus s’inscrivant dans une dynamique de renforcement du tissu associatif au Sud.

Ce renforcement couvre deux aspects principaux :

  • L’accroissement du poids des organisations elles-mêmes dans la sphère politique et sociale qui en fait des acteurs et des interlocuteurs incontournables vis-à- vis notamment de leurs propres gouvernements.
  • L’accroissement de la capacité opérationnelle des organisations de développement au Sud. Mais en arrière-fond de ce processus se pose la question de la représentativité (les organisations se renforcent mais le danger existe qu’elle se coupent progressivement de leurs racines).

Ce processus est aussi sujet à certaines critiques :

1. Il amène à poser la question de la substitution des ONG et autres organisations à des fonctions traditionnellement dévolues aux Etats dans le domaine de la santé publique, de l’enseignement, de l’aide sociale par exemple. Les politiques d’ajustement structurel ont bien évidemment été le catalyseur de ce processus. Une série de besoins essentiels n’étant plus couverts par les pouvoirs publics ont été pris en charge par les ONG.

2. Il amène également à poser la question de la concurrence entre le secteur ONG et le secteur commercial privé.

Il faut constater aussi qu’il est parfois très difficile de faire une nette distinction entre l’accomplissement d’une action de développement et un processus d’appui institutionnel. De nombreux projets de développement ont peu à peu intégré cette dimension de renforcement institutionnel en le combinant à l’action même dans les limites où les critères de cofinancement le permettaient (lorsqu’il s’agissait d’une action cofinancée). L’apparition de cette nouvelle dimension a également contribué à faire évoluer certains partenariats initialement centrés sur l’accomplissement d’actions vers des partenariats centrés sur le renforcement institutionnel et opérationnel du partenaire.

Divers travaux et évaluations consacrés au développement institutionnel et au renforcement opérationnel des organisations au Sud montrent que ces deux processus peuvent se révéler antagonistes. Dans certaines situations le développement institutionnel n’a pas eu pour effet de renforcer la capacité de l’organisation à appuyer les initiatives des bénéficiaires, et a pu au contraire diminuer la proximité de l’institution avec la base et ses préoccupations, sans améliorer réellement l’efficience de l’organisation. L’appui institutionnel ne doit pas être considéré comme une recette à la mode à mettre en œuvre dans n’importe quel contexte. Les évaluations montrent d’ailleurs certaines lacunes dans les outils et méthodes utilisés pour appuyer le renforcement des organisations partenaires, et la difficulté à définir des objectifs en la matière. Certaines études mettent en évidence le manque de formation des cadres d’ ONG du Nord en ce domaine. Ce manque de formation ne se limite d’ailleurs pas à la problématique du renforcement institutionnel et opérationnel des partenaires du Sud, il concerne également le partenariat commercial et financier. Il concerne aussi l’aide d’urgence pour laquelle certaines évaluations recommandent d’intégrer dès le départ ce souci d’appui et de renforcement des organisations locales dans le but de les aider à devenir actives et efficaces dans ce secteur.

Il nous faut en outre aborder ici les aspects concernant l’évolution des ressources de financement disponibles pour les ONG. L’évolution qui s’est produite s’est faite dans le sens d’une diversification des sources et des modes de financement - celui-ci ne se faisant plus seulement sur le mode du don mais également sur celui de la mobilisation de fonds de crédits et fonds de garanties (ces derniers s’étant généralement avérés plus adaptés pour le financement d’activités productives).

Le développement des mécanismes de cofinancement des ONG par les gouvernements du Nord a bien sûr permis un accroissement des possibilités d’action du secteur non gouvernemental, mais il a aussi engendré un certain nombre d’effets et de paradoxes qu’il est intéressant de souligner ici. En Europe, la dépendance des ONG vis-à-vis des financements publics est très variable. Certaines ONG dépendent quasiment à 100 % des financements publics, d’autres organisations ont volontairement limité l’apport de financement public à leur budget à des proportions de 10 ou 20 %. Le cofinancement par les pouvoirs publics comporte des conditions et des exigences qui se répercutent sur les relations avec les partenaires. La plus ou moins grande dépendance des ONG du Nord vis-à-vis de ces financements publics a évidemment un impact sur la politique de leurs relations avec leurs partenaires.

Il faut cependant souligner deux tendances :

1. Un accroissement du financement par programme (qui comporte en lui-même quelques effets paradoxaux abordés ci-après ; les caractéristiques des systèmes de financement par programme sont cependant loin d’être toutes semblables et n’engendrent pas forcément les mêmes paradoxes).

2. Un éventail fort diversifié de lignes de financement accessibles aux ONG comportant des lignes aux objectifs très spécifiques (notamment des lignes spécialement consacrées à des actions de renforcement institutionnel des partenaires comme le chapitre XII de l’Union européenne [3]).

Les systèmes de cofinancement d’ONG mis en place par les pouvoirs publics se basent sur un certain nombre de critères et conditions qui ont des répercussions importantes sur les relations des ONG avec leurs partenaires.

Il faut d’abord relever que ces systèmes de cofinancement s’inscrivent dans un cadre de relations entre Etats et ONG qui n’offrent pas toutes les mêmes caractéristiques dans l’ensemble des pays européens.

Pour ce qui concerne les systèmes belge et européen, que nous connaissons mieux, les ONG disposent d’un certain pouvoir d’initiative en matière d’actions à mener et de latitudes quant au choix de leurs partenaires (avec une réserve cependant sur la rigidité trop marquée du système belge vis-à-vis des actions de crédit). Nous constatons cependant que les particularités du système belge reposant entièrement sur un financement de programme et les modalités de gestion financière qui y sont liées induisent un certain nombre d’effets paradoxaux dont l’impact sur les relations de partenariat n’est pas véritablement positif. J’aborderai ici essentiellement trois aspects :

  • Le risque de spécialisation (ou
    de confinement) à outrance.
  • Le paradoxe de la planification-
    programmation.
  • Les contraintes de la gestion financière.

Le risque de confinement

Le financement par programme comporte bien sûr des avantages en ce sens qu’il amène à se fixer des objectifs et une stratégie à long terme, peut donner de véritables perspectives au travail d’une ONG et facilite théoriquement l’instauration d’un autre mode de dialogue entre ONG et pouvoirs publics. Face à ce système les ONG sont amenées à définir au mieux leur spécificité, ce que l’on peut considérer comme une avancée positive. Il y a cependant un danger à pousser à l’extrême le principe de spécialisation à une sorte de confinement selon plusieurs dimensions : géographique, sectorielle, thématique ou autre.

La rigidité de ce confinement ne permettrait plus à l’ONG de répondre à des initiatives novatrices et intéressantes, à nouer des contact avec un certain type de partenaire nouveau, à explorer de nouveaux modes de coopération. Elle perdrait par là même sa capacité à répondre à des initiatives intéressantes, à innover et à se renouveler.

Le paradoxe de la programmation-planification

Les exigences en terme de programmation à long terme se répercutent sur les partenaires. Ceux-ci sont contraints de planifier leurs actions tenant compte de tous les paramètres qui leur sont connus à ce moment. Il nous faut cependant reconnaître que le développement est loin d’être un processus linéaire dont tous les paramètres sont prévisibles à long terme. Comme il est dit dans une évaluation : « en matière de développement, l’imprévu semble plutôt la règle que l’exception ». Une gestion trop rigide de ces programmes empêchera d’adapter les activités aux changements de contexte, ce qui s’avèrera finalement contre-productif. Une qualité essentielle d’une activité de développement réside tout de même dans sa capacité d’adaptation à la mouvance du contexte tout en préservant l’essence de ses objectifs initiaux. C’est dans cette mesure que la planification doit se centrer davantage sur les objectifs que sur le contenu des actions. Il faut pouvoir envisager, dans certaines conditions, la mise à disposition pour les partenaires de fonds délégués dont les modalités de gestion plus souples améliorent les possibilités d’action.

Les contraintes de la gestion financière

Le système belge est contraint à une stricte logique d’attribution annuelle des subsides. Ce qui confère une réelle incertitude aux moyens financiers disponibles à long terme. Il y a donc un hiatus profond entre programmation des activités et programmation financière qui ne sont pas réunies dans un même mouvement. Il en résulte pour les partenaires une profonde incertitude et la possibilité de remise en question d’une année à l’autre d’une activité pluriannuelle entamée ou programmée depuis longtemps. Avouons que cette situation met nos partenaires dans une situation inconfortable.

Par ailleurs, le rythme des décaissements (étalés et parfois très tardifs) et les contraintes de justification rapide des dépenses va à l’encontre d’un principe d’efficience dans la gestion (absence des moyens financiers au moment où ils sont nécessaires et obligation par la suite de dépenser rapidement pour faire face aux délais de justification). Ils imposent aux partenaires un rythme anormal de réalisation des actions.

En guise de conclusion, il paraît intéressant d’introduire également une réflexion sur la dimension de la durée du partenariat. Le partenariat exige une bonne connaissance et compréhension mutuelle des partenaires : en ce sens, le financement est-il la première chose à faire dans un partenariat qui débute ? D’autre part, le partenariat consiste- t-il, une fois l’action et le financement terminés, à se séparer et chercher alors de nouveaux partenaires, comme le recommandent certaines évaluations ? Ce serait donner un sens bien réduit à le notion de solidarité. Lorsque le partenaire du Sud a acquis davantage d’autonomie, c’est peut-être à ce stade que l’occasion se présente d’orienter la relation de partenariat vers une forme plus égalitaire ou plus équilibrée en répondant ainsi un peu mieux à l’idéal de départ du partenariat.

[1Aujourd’hui, il est remarquable de noter que notre système de cofinancement belge a complètement intégré non seulement cette nécessité d’existence d’un partenaire qui constitue une entité clairement identifiée, mais en outre engagée dans une relation de collaboration formalisée par des accords écrits.

[2Concept assez pléonastique et plutôt fourre-tout : quelle société ne peut-elle être qualifiée de « civile » si ce n’est une société militaire ? Toute société n’est-elle pas par essence composée de citoyens, c’est à-dire de personnes disposant de certains droits et confrontées à certains devoirs ? Dans certaines sociétés, il est vrai, les droits dont la plupart des membres disposent réellement (et non théoriquement) sont en fait nuls ou quasi-nuls. L’émergence de cette société « civile » correspondrait alors (entre autres mouvements) à l’appropriation (la conquête !) et l’exercice par cette société de droits théoriquement reconnus mais non encore véritablement exercés. A cet accroissement des droits correspond également celui des devoirs à accomplir vis-à-vis de la communauté. Ce double mouvement amène en fait chaque individu à devenir chaque jour davantage citoyen, ce qui constituerait alors une des caractéristiques du développement de la société.

[3L’utilisation de cette ligne spécifiquement consacrée au cofinancement de l’appui institutionnel de partenaires du Sud par les ONG du Nord a fait l’objet d’une évaluation dont un certain nombre d’éléments ont été pris en considération pour cette synthèse.