Ouvrir des opportunités de rencontre, d’échange, de partage d’idées, d’expériences et de talents, par Alain Fohal
L’envoi et l’échange de personnes est un des moyens utilisés par Itinerans, consortium d’ONG belges.composé par Volens, SOS-PG, la Fondation André Ryckmans et Foncaba - KBA, pour participer aux dynamiques de solidarité et de coopération internationales, pour travailler avec ses partenaires du Sud et d’autres groupes à une société plus juste, en s’engageant concrètement ensemble et en renforçant les capacités d’action collective.
Fondés sur l’importance du travailler ensemble, l’envoi et l’échange de personnes
La notion d’engagement solidaire est pour Itinerans un élément fondamental de l’envoi et de l’échange de personnes. Nous sommes convaincus que le développement est d’abord l’affaire de personnes qui œuvrent ensemble, partagent les luttes, mettent leurs compétences en commun et se renforcent mutuellement pour une action collective.
Une véritable solidarité entre personnes, groupes ou populations nécessite d’ouvrir des opportunités de rencontre, d’échange, de partage d’idées, d’expériences et de talents. De plus en plus, Sud et Nord sont confrontés à des problèmes communs et à des niveaux de prises de décisions supranationaux, ce qui exige des solutions davantage concertées. Prenant ainsi pleinement conscience de nos intérêts communs nous pouvons parler de construire la mondialisation de la solidarité.
Alors que l’envoi de coopérants- ONG du Nord vers le Sud a longtemps représenté l’essentiel des échanges de personnes, une coopération véritable et un partenariat authentique sont conçus de nos jours dans le cadre d’un réseau multidirectionnel de relations : Nord-Sud, Sud- Sud, Sud-Nord. Les réformes de 1997 en matière de subvention des ONG par les autorités belges ont rendu possible le financement de formes non traditionnelles d’envoi et d’échange de personnes.
Le consortium s’est inscrit dans ces nouvelles opportunités de collaboration avec des partenaires dans le Sud. Tout était cependant à créer et à inventer. Volens, l’ONG qui porte les activités d’envoi du consortium, a progressivement développé ces autres formes d’envoi.
Au-delà de leur apport sur le plan professionnel et humain, ces activités, novatrices, diversifient les modalités de collaboration, renforcent les relations avec les partenaires et apportent une plus-value indéniable aux dynamiques régionales dans le Sud et à la construction de synergies.
Il s’agit essentiellement de :
C’est l’expérience de cette dernière activité qui fait l’objet du présent article.
Les habitants du Sud sont riches de connaissances et détiennent souvent les clefs de leur propre développement. Ils ont également beaucoup à enseigner à nos états « prospères”, ils nous font voir le monde à partir d’autres références, ils nous interrogent sur nos représentations de la société, des valeurs et du monde. Il est donc essentiel de favoriser les opportunités de rencontre, de concertation, d’apprentissage mutuel et d’action commune.
Si l’idée que le Sud a quelque chose à apporter au Nord est communément admise, elle reste dans les faits trop peu souvent concrétisée. L’Action Sud-Nord a pour but principal de développer, sous une forme originale et dans le cadre d’une thématique définie, des dynamiques d’écoute, d’échange et de partage entre des acteurs de développement du Sud et du Nord.
A la différence des traditionnelles visites de partenaires du Sud, axées souvent sur un travail direct avec l’ONG partenaire du Nord, sur des activités de témoignages ou sur des démarches de recherche de financement, l’action Sud- Nord menée par Itinerans se singularise tant par la nature des participants à l’action que par le programme de celle-ci.
Les participants à l’action sont des représentants d’organisations partenaires du Sud impliquées dans une thématique donnée, différente pour chaque action. S’il s’agit certes de personnes susceptibles d’avoir un apport concret à l’échange, l’invitation ne concerne ni les directeurs ni les responsables des organisations partenaires.
Quant au programme de l’action, il est conçu de telle sorte qu’il offre aux participants, pendant une période d’environ trois mois des espaces et des opportunités pour :
Deux composantes de l’action lui apportent une valeur particulière : la réalisation d’un stage pratique d’une à trois semaines auprès d’une organisation et l’approche concrète et directe de la réalité de la vie quotidienne des Belges. En ce sens on pourrait parler d’une sorte de stage d’immersion Sud-Nord.
Pour éviter le danger d’un repli sur le monde des ONG et assurer la richesse des échanges, l’action s’est assise, dès le départ, sur une diversification de ceux-ci. Les interlocuteurs se situent essentiellement à cinq plans :
Le contenu du programme est par ailleurs construit de manière participative avec nos visiteurs du Sud. Bien qu’un canevas très rudimentaire de programme soit élaboré avant l’arrivée des participants, c’est avec eux, et sur base d’une évaluation régulière, qu’il est progressivement construit, en suivant le fil rouge de la thématique de l’action, mais en veillant également à prendre en compte leurs souhaits et intérêts, communs ou particuliers. Il s’agit aussi de profiter d’opportunités exceptionnelles, comme celle de participer au Forum social européen à Florence en novembre 2002.
Quatre actions Sud-Nord ont été menées :
La première a eu lieu entre septembre et décembre 1999 sur le thème Genre et développement. Elle a rassemblé quatre femmes originaires du Chili, de Colombie et de République Dominicaine.
D’octobre à décembre 2000, des représentants de partenaires sénégalais, boliviens et colombiens se sont retrouvés en Belgique pour une deuxième action Sud-Nord, traitant d’écologie, environnement et développement durable.
L’action Sud-Nord n’ayant pu se faire en 2001, faute de temps et de disponibilité, l’année 2002 a vu se dérouler deux actions : l’une était consacrée au thème Jeunesse et citoyenneté et a accueilli deux jeunes colombiens entre août et novembre ; l’autre portait plus spécifiquement sur les méthodologies participatives et de planification. Elle a réuni des représentants de Bolivie, du Pérou, de Zambie et du Zimbabwe.
L’action Sud-Nord étant subventionnée par la DGCD, la thématique traitée, en lien avec le programme d’Itinerans, est définie à l’occasion de la remise du plan d’action annuel. Quelques mois avant le début de l’action, une invitation à participer est envoyée aux partenaires du sud. Une sélection des candidatures est effectuée sur base des profils reçus, mais en veillant aussi à la diversité des pays représentés et à une certaine homogénéité du niveau des participants, en termes d’expérience et d’apport potentiel.
Il serait erroné de vouloir mesurer l’efficacité de telles actions d’échange uniquement à l’aune des résultats institutionnels engrangés de part et d’autre. L’impact sur les participants, en tant qu’individus, est également important. On envisagera ici quatre catégories de bénéficiaires de l’action Sud-Nord.
Etant les plus directement impliqués dans les activités de l’Action Sud-Nord, les participants du Sud en sont naturellement aussi les bénéficiaires principaux. L’apport qu’ils retirent de leur participation à l’action est situé sur deux plans :
Bien que les frais soient couverts par Itinerans, l’envoi d’un collaborateur en Europe représente néanmoins un investissement de la part des organisations partenaires du Sud. Se passer d’une personne pendant trois mois, tout en continuant à lui payer son salaire, n’est en effet pas toujours évident. Elles en attendent naturellement quelque chose en retour, même si l’envoi peut, dans certains cas, représenter une sorte d’encouragement pour un collaborateur méritant.
Les bénéfices institutionnels potentiels sont variés et peuvent se décliner en des termes très divers : compétences professionnelles acquises et partagées, meilleure connaissance d’Itinerans et relations plus étroites, relations développées avec d’autres organisations, visibilité et image sur la scène belge et européenne, possibilités d’obtention de financements… Il est difficile de mesurer les bénéfices réels pour les partenaires du Sud. Ils diffèrent certainement d’une organisation à l’autre en fonction, par exemple, des mécanismes qu’elle a mis ou non en place pour diffuser et socialiser l’expérience en son sein. Certains participants nous ont fait part de ce processus de socialisation.
Le charisme et la qualité du participant lui-même sont aussi des facteurs importants, en ce qu’à travers lui, c’est aussi une image de son organisation qu’il projette sur le devant de la scène, lors des multiples rencontres et visites. D’où naturellement l’intérêt stratégique de proposer des candidats qui ont quelque chose à dire et à apporter à l’action.
En mettant en œuvre les actions Sud-Nord, Itinerans veut se profiler avant tout comme un offreur d’opportunités d’échange, comme un facilitateur de rencontres. En cela nous remplissons une des missions que nous nous sommes données. Bien évidemment nous sommes aussi un des bénéficiaires de l’action mais, comme Itinerans ne participe finalement qu’à une partie limitée des activités organisées, il s’agit parfois de bénéfices indirects, venant plus du fait d’être organisateur de l’action que du contenu même de celle-ci.
Comme pour les partenaires du Sud, les bénéfices sont variés : meilleure connaissance et relations plus étroites avec les partenaires, regard extérieur sur les pratiques et expériences d’Itinerans, nouvelles relations avec d’autres organisations, renforcement de la visibilité et de l’image d’Itinerans… Le bénéfice en matière de renforcement des compétences professionnelles propres du consortium dans les thématiques abordées est limité par le fait même de ne participer qu’à une petite partie des activités. Un imposant travail de systématisation et de socialisation serait nécessaire si on veut engranger vraiment des résultats sur ce plan.
Bien plus encore que pour les autres catégories, les bénéfices retirés de l’action sont ici difficiles à mesurer. Très variables, ils dépendent essentiellement de l’intérêt que porte chaque organisation aux opportunités offertes d’échanges et de rencontres avec des professionnels du Sud. Certaines voient essentiellement les participants à l’action comme des visiteurs simplement en quête d’information. D’autres, par contre, ont voulu profiter de l’occasion pour leur donner la parole lors de colloques ou pour faire un travail plus approfondi, comme ces jeunes latinos de Bruxelles dans le cadre de l’action Jeunesse et citoyenneté.
D’autres encore s’impliquent fortement. Ainsi en fut-il de l’ONG Le Monde selon les femmes qui aurait presque mérité le titre de co-organisatrice de l’action relative à la thématique Genre et développement . Plusieurs organisations enfin accordent une importance réelle à ce que des personnes extérieures puissent s’insérer et mieux connaître leur travail, depuis l’intérieur. L’organisation Terre a ainsi accueilli plusieurs stages, avec toujours le même intérêt et la même disponibilité.
A la lueur de l’expérience des quatre actions menées, on peut exprimer quelques considérations sur des difficultés rencontrées.
Chaque action requiert énormément de temps et d’énergie pour les différentes phases de sa mise en œuvre. L’expérience nous a appris la nécessité d’avoir une personne libérée spécifiquement pour la coordination et l’organisation pratique de l’activité, en concertation privilégiée avec un membre permanent du staff de Volens.
Tant d’activités suscitent l’intérêt et l’envie de participer. L’action crée ainsi des frustrations chez ceux qui, à Volens par exemple, n’ont pas la disponibilité pour prendre suffisamment part aux ateliers, aux échanges, aux visites. Mais la vie de l’organisation d’accueil ne peut pas s’arrêter avec la venue de nos visiteurs du Sud. Le travail continue et les contraintes journalières s’imposent.
Bien que de nombreuses activités soient organisées à l’extérieur, l’action requiert aussi une infrastructure suffisante, en termes de locaux et d’équipement bureautique. Les participants ont besoin d’un accès à des ordinateurs pour préparer des documents de travail, élaborer un rapport ou simplement communiquer avec leur organisation ou leur famille. Avec quatre, ou parfois davantage, personnes supplémentaires dans des bureaux déjà bien occupés, il y a un risque réel de désorganisation du travail de l’institution d’accueil. Cette difficulté a particulièrement été ressentie en 2002, avec la coexistence de deux actions aux mois d’octobre et de novembre.
Toute organisation qui reçoit des visiteurs pour une durée de quelques mois s’est probablement trouvée confrontée au même problème : la difficulté de trouver un logement adéquat pour un prix raisonnable. Ce ne fut jamais une difficulté insurmontable, nous avons plusieurs fois pu compter sur l’accueil de l’asbl Solidarité étudiants tiers monde à Bruxelles , mais elle est réelle.
Tout autant que les échanges avec les organisations du Nord, l’opportunité d’échanges entre les participants du Sud eux-mêmes est importante. La rencontre de l’Afrique et de l’Amérique latine n’est pas évidente, elle peut en devenir d’autant plus riche. Nous nous sommes souvent interrogés sur l’intérêt de chercher des familles d’accueil pour nos hôtes. Certes, la recherche d’un logement et l’apprentissage de la société belge eût pu s’en trouver facilité, mais cette solution risquait de confiner les échanges entre personnes du Sud aux seuls moments formels. D’où notre préférence pour un logement de type semi-communautaire, où les événements de la vie quotidienne sont autant d’espaces potentiels pour le dialogue.
Si la diversité des provenances renforce la richesse des échanges, elle rend aussi plus aigu le problème de la langue de travail. Lorsque des participants d’Afrique anglophone rencontrent des hispanophones des pays andins, la communication n’est pas évidente. Elle nécessite parfois aussi le passage par une langue tierce, comme le français, ce qui alourdit d’autant plus la traduction. La qualité des échanges s’en ressent. On se trouve clairement ici dans un conflit d’intérêts, entre souci de faisabilité et souci de la diversité.
Plus encore que précédemment, l’année 2002 a fait clairement percevoir le pouvoir réel de participation et d’apprentissage dans les espaces de dialogue que donne la maîtrise des langues internationales. Ou, comme on l’a vécu a contrario, que le monolinguisme est un frein à la participation et à l’accès à de précieuses sources d’information. Le souci de revaloriser les cultures locales et traditionnelles, ne devrait pas conduire à mésestimer l’égale nécessité, pour les partenaires du Sud, de développer leurs capacités de communication sur le plan international. Un participant faisait d’ailleurs remarquer que l’initiation du partenaire à une langue étrangère pourrait aussi être un des apports d’un coopérant.
Comme nous l’avons déjà souligné, le programme de l’action —rencontres, visites, stages— est progressivement construit, avec les participants sur base de la thématique de l’action, mais en veillant également à prendre en compte leurs souhaits et intérêts, communs ou particuliers. Face à la diversité de ceux-ci, l’expérience nous a montré la nécessité de la souplesse pour essayer de les intégrer, mais aussi l’impossibilité de répondre à tout sous peine de créer un éparpillement nuisible à la cohésion même du programme.
Par ailleurs, et cela fait encore parfois partie du non-dit, le souhait de rencontrer des bailleurs de fonds potentiels est souvent présent. Le séjour en Europe représente une opportunité de contact direct avec des organismes de financement. C’est un aspect auquel nous n’avons probablement pas donné suffisamment d’attention.
Les rencontres qui ont lieu durant l’action ont tendance à susciter chez les participants un enthousiasme créatif pour poursuivre des contacts établis, pour approfondir ou développer de nouveaux partenariats. Même si quelques collaborations ponctuelles nouvelles se développent, en-dehors du cadre d’Itinerans, la réalité des contraintes du travail quotidien sonne bien souvent le glas de la plupart de ces beaux projets. Faut-il nécessairement s’en alarmer ? Nous ne le pensons pas. Beaucoup de graines sont semées durant l’action ; certaines tombent au bord du chemin ou au milieu des pierres, d’autres encore en terre peu profonde où elle germeront vite, mais sans lendemain, d’autres enfin trouveront la terre fertile et s’y développeront pour devenir des plantes solides.
L’histoire de l’humanité montre qu’il y a toujours eu des échanges entre peuples, groupes ou personnes et que, malgré les aléas de l’histoire et les conséquences parfois néfastes pour les populations concernées, ils ont, d’une manière ou d’une autre, apporté une contribution au développement, que ce soit au niveau économique, social, politique, culturel, spirituel, philosophique, technologique ou scientifique. L’échange dépasse la pure technologie, le strict politique et le pur théologique : il confronte les cultures. Dans le monde actuel, où les contacts rapides forment la base des relations humaines, il y a un besoin d’échanges plus profonds. Travailler et vivre avec les gens en fournit l’occasion.
Cette confrontation, entre autochtones et extérieurs, permet d’insuffler de nouvelles idées, de stimuler des processus locaux et de catalyser. Elle est un pont entre des organisations partenaires et des groupes, dans le Sud et dans le Nord, et entre les deux. Finalement, elle contribue à l’élargissement de notions comme démocratie, droits humains, genre, durabilité….
Les quatre Actions Sud-Nord se sont inscrites dans cette dynamique. En ce sens, l’expérience que nous avons présentée ici nous paraît un concept intéressant, même si sans nul doute les modalités de préparation, de mise en œuvre et de suivi devraient être affinées et adaptées.
Et pourtant, nous avons fait le choix de ne pas organiser d’action Sud-Nord en 2003. Il n’y en aura probablement pas non plus en 2004, du moins sous la forme présentée ici. Est-ce à dire que nous renions le bébé ? Certainement pas ! Mais au-delà de notre conviction de l’intérêt de ce type d’échange, nous avons pu mesurer l’investissement en énergie et en temps, plus qu’en moyens financiers, que chaque action requiert de la part d’Itinerans, spécialement de la part de Volens qui porte cette action. Nous avons pu mesurer aussi le risque de désorganisation du travail quotidien qui pèse sur l’institution. Nous craignons finalement aussi l’installation d’une sorte de routine annuelle de l’action Sud-Nord. En cette année 2003, nous initions notre deuxième programme quinquennal, dans le cadre d’un consortium qui s’est élargi : de nouveaux défis, importants, nous attendent. Nous souhaitons, pour les deux années qui viennent, leur donner la priorité. En attendant peut-être de reprendre, sous une forme similaire ou différente, l’expérience des actions Sud-Nord en 2005.