Le voyage tient la première place au hit parade des actions prisées par les jeunes, par Adélie Miguel Sierra
Rencontre, dialogue, réciprocité, communication interculturelle… tous ces termes d’actualité pour exprimer un même besoin pressant de connaître et de comprendre l’autre. Mais pas n’importe quel autre, celui qui est ailleurs, qui est très loin, qui est différent, qui va me sortir du train-train quotidien, comme une thérapie contre la pensée unique.
La formule des rencontres est très prisée par les jeunes, au travers d’un voyage mais aussi par échanges par courrier. Surtout depuis l’arrivée du courrier électronique. On observe de nombreuses actions qui tentent d’approfondir la compréhension mutuelle entre jeunes d’horizons divers. Elles prennent des formes multiples : jumelages, correspondances scolaires, échanges via internet, voyages de découverte ou de solidarité, spectacles de théâtre-action, semaine d’animations et d’information sur le tiers monde, accueil de jeunes du Sud.
Le voyage tient la première place au hit parade des actions prisées par les jeunes. Des opérateurs privés à vocation non lucrative ou commerciale attirent ces bourlingueurs en herbe par des de produits attractifs : voyage alternatif, voyage aventure, voyage spirituel, voyage thérapeutique, voyage humanitaire et même le voyage développement durable ! Il s’agit de ne pas voyager idiot en se démarquant du tourisme de masse qui s’agglutine dans des clubs de vacances loin des turbulences économico-politico-sociales.
Mais en quoi le fait que le tourisme soit l’une des plus importantes activités économiques de notre époque et que les jeunes soient perçus comme des consommateurs intéressants sont des phénomènes qui intéressent les acteurs de la coopération et de la solidarité ?
De nombreuses recherchent nous indiquent que les nouvelles générations sont caractérisées par l’incertitude, une tendance à l’individualisme et un manque de perspectives devant un futur décourageant et inamovible. Une minorité échappe à cette apathie ambiante en réagissant activement à une telle morosité. Ils s’investissent alors dans différents types d’associations notamment celles qui proposent des actions de solidarité Nord-Sud. Cela exige de la part des organisations une cohérence dans les modèles qu’elles proposent pour canaliser de telles motivations. Dans leur mission éducative, les ONG doivent impérativement tenir compte des aspirations, frustrations et expériences des jeunes si elles souhaitent les accompagner vers une analyse complexifiée des interdépendances et des solidarités Nord-Sud. Le manque d’information des jeunes sur les pays du Sud semble un obstacle à toute réelle démarche de solidarité. Les éducateurs doivent se donner pour première mission un travail sur les représentations et les stéréotypes. La compréhension de l’autre passe impérativement par l’analyse du propre modèle culturel et par la connaissance du mode de communication de l’autre. Le voyage peut être un outil pédagogique intéressant s’il s’intègre dans une démarche d’éducation au développement plus globale. Le fait de se rendre dans un pays du Sud n’implique pas naturellement la reconnaissance des populations visitées. Les premiers contacts, dits trop rapidement interculturels, peuvent être source d’incompréhension si chaque partie n’a pas la bonne paire de lunettes pour décoder le mode de fonctionnement de l’autre. Un travail en amont et en aval du projet de voyages est nécessaire si on souhaite établir des liens durables en vue d’une société plus juste et égalitaire.
Peut-on communiquer avec les populations du Sud sans passer par une agence de voyages ? Un autre type d’actions à destination des jeunes est très en vogue actuellement dans le secteur éducatif : celui des correspondances épistolaires ou virtuelles. De tels échanges scolaires se réalisent un peu partout dans les écoles du monde. En juillet 2000, aux Pays-Bas, un séminaire international a voulu faire le bilan de ce type d’initiatives en invitant une centaine de personnes de monde de l’enseignement et des ONG originaires d’Amérique latine, d’Asie, d’Europe de l’Est et de l’Ouest ainsi que d’Afrique. Le séminaire a adopté une charte qui définit certains principes de bases dans lesquels devraient s’inscrire les projets d’échanges entre jeunes du Nord et du Sud en milieu scolaire (voir encadré page 74). Plus tard, lors d’un atelier organisé par le RED Nord-Sud, l’ONG flamande Vredeseilanden- Coopibo a présenté l’évaluation et les perspectives de son projet « Link up to (ex) change », échanges entre écoles du Nord et du Sud via internet.
À la recherche de formes novatrices de collaboration entre le Nord et le Sud, l’ONG a mis en place une initiative pilote d’échanges de correspondances électronique entre une école flamande et une école sénégalaise. En 1998, suite à la médiatisation de cette initiative, les instances politiques ont souhaité soutenir cette offre éducative interculturelle sur une plus grande échelle. Des lenteurs administratives et financières, un manque d’encadrement des écoles, un délai de réalisation trop court, une dynamique figée sont certains des éléments qui induisent des résultats mitigés.
Vredeseilanden-Coopibo vient de réaliser le bilan de cette expérience afin d’en retirer des apprentissages et des recommandations pour la poursuite de ce type d’échanges. Les projets d’échanges par correspondance électronique doivent évoluer d’une formule ponctuelle vers une démarche à long terme en s’intégrant dans les programmes scolaires ou associatifs existants. L’évolution des projets doit s’adapter aux dynamiques et contextes locaux (voir encadré page 74). L’objectif ne réside pas dans l’échange en lui-même mais dans sa participation au renforcement des groupes sociaux au Nord comme au Sud.
« Link up to (ex) change » s’inscrit dans un cadre global de l’organisation qui vise l’élargissement et la consolidation de la base sociale en vue de la construction d’une société plus juste et interculturelle. Le dialogue interculturel se réalise à travers des rencontres entre groupes homologues (dont on peut présumer qu’ils ont des intérêts communs) qui coopèrent pendant une période assez longue à la réalisation d’un produit commun au service de leur société respective.
Une autre expérience intéressante est celle d’une dizaine de jeunes amis qui ont créé l’association Droit d’Asie, en mars 2000 et élaboré une démarche pédagogique à destination de classes de l’enseignement secondaire supérieur.
Cette expérience est originale à plusieurs titres. D’abord, elle est initiée, portée et évaluée par l’équipe de jeunes elle-même et non pas par une ONG ou un centre éducatif. Ensuite, elle intègre différents supports de communication dans le cadre d’échanges Nord-Sud. Concrètement, une partie de l’équipe de Droit d’Asie s’est rendue en Inde pendant cinq mois afin de rencontrer des interlocuteurs associatifs de ce pays et de servir d’intermédiaire avec une dizaine de classes de la communauté française. L’autre moitié de l’équipe a assuré le suivi du projet en Belgique en élaborant des dossiers thématiques et en offrant un appui aux enseignants. La finalité de cette démarche était d’amener les élèves à développer un esprit critique vis-à-vis de la société à partir de la confrontation de réalités et de points de vue indiens et belges, permettre aux jeunes de construire leurs propres outils de perceptions (voir), de communication (juger) et d’action (agir), initiation à l’utilisation critique de l’outil internet.
Après une année d’échanges et d’analyse intenses sur des thématiques transversales Nord-Sud telles que l’exclusion, le travail et la santé à travers internet, un forum a finalisé l’initiative en présence de différents acteurs, y compris des Indiens.
Voyage virtuel ou voyage réel, à vous de choisir. Mais si on vise une véritable réciprocité Nord-Sud, il faut se poser la question de comment nos partenaires du Sud ont-ils accès aux nouvelles technologies de l’information et comment ils peuvent eux-mêmes expérimenter des voyages interculturels au Nord.