Le pont, vu du Sénégal

Mise en ligne: 17 septembre 2015

L’impact du partenariat entre Solidarité socialiste et l’association sénégalaise Djokoo, dans le cadre du projet « L’eau, un pont entre le Nord et le Sud », par Abdoulaye Faye

Djokoo-AJC3 est une association de développement de quartier créée en 1988 par des jeunes du quartier Cité Icotaf 3 de Pikine, dans la banlieue de Dakar, au Sénégal, en vue de se retrouver et de mener des actions de solidarité et d’entraide entre eux. A cet effet, l’intervention proposée tournait autour du renforcement scolaire des jeunes du quartier par des cours de suivi organisés dans une villa prise en location. C’est dans ce contexte qu’est née l’idée de créer une école de devoirs où les activités de suivi scolaire sont accompagnées par des ateliers d’animations dans le domaine de l’expression artistique et du théâtre. Cette école accueille des enfants de trois à treize ans fréquentant les écoles publiques et ceux n’ayant pas eu la chance d’y être inscrits. Le système de suivi instauré favorise une aide aux devoirs pour ceux qui fréquentent les structures publiques et un accompagnement pour ceux qui n’ont pas bénéficié d’une inscription dans les écoles formelles. Son approche est basée sur le développement d’activités d’animations autour de thématiques traitant de l’inter culturalité. Dans ce cadre Djokoo a développé avec ses partenaires des programmes d’échanges thématiques impliquant les enfants de dix à treize ans.

Des échanges scolaires sont développées avec une école multiculturelle à Bruxelles (école Sint Joris) portant sur la diversité culturelle et, dans un cadre plus formalisé, avec la campagne éducative L’eau, un pont entre le Nord et le Sud.

Le partenariat entre Solidarité socialiste et Djokoo s’est construit dans un cadre général d’appui à une initiative à la base, l’implantation de l’école de devoirs. Cette intervention ponctuelle était beaucoup plus inscrite dans une perspective de développer un partenariat dans le cadre d’un projet à caractère social à court terme. Il n’existait pas à proprement parler de cadre d’échanges et de partenariat entre Djokoo et son partenaire Solidarité socialiste basé sur des thématiques développées à partir d’un partage de vision.

Dans cette optique, l’action « L’eau, un pont entre le Nord et le Sud » peut être considérée comme une expérience nouvelle pour notre organisation par rapport à d’autres actions régulièrement développées par notre partenaire Solidarité socialiste, parmi lesquelles on peut citer l’éducation au développement. Cette action nous a permis de capitaliser une autre expérience en matière d’échanges thématiques impliquant un public cible plus large, ce public n’étant pas à priori inscrit dans notre champ d’intervention qui est restreint à l’éducation non-formelle.

Le cadre de partenariat ainsi établi induit un changement dans nos méthodologies d’approche et dans nos démarches. Ce partenariat influence de manière notoire le type de rapports qui existe entre les structures éducatives formelles —les écoles publiques— et celles non formelles —les écoles communautaires de base comme la nôtre.

D’une manière déterminante, les rapports entre notre structure et Solidarité socialiste ont évolué dans le sens d’un partenariat stratégique. Cette situation a un impact réel sur l’évolution de notre organisation au plan institutionnel et sur le développement de notre partenariat avec les structures éducatives publiques. Le partenariat avec Solidarité socialiste, dans le cadre de cette campagne, a facilité notre contact avec les structures formelles dans la mesure où il a renforcé notre crédibilité et notre ancrage dans notre zone d’intervention.

L’impact de l’action sur Djokoo  : Dans le cadre de cette action Djokoo s’est impliqué comme facilitateur dans la coordination de l’action à Pikine, en zone périurbaine, et comme acteur avec la participation de deux classes.

L’impact de l’action pourrait se mesurer à plusieurs égards :

  • à travers cette action la capacité de l’organisation s’est renforcée dans le domaine de l’animation thématique ; la méthodologie adoptée consistant à partir d’un questionnement et d’une recherche –action pour aboutir à l’action a créé la possibilité de développer des aptitudes pour les animateurs de Djokoo en charge de la coordination et de l’animation de l’action.
  • le partenariat qui s’est noué entre les écoles publiques et notre structure est significatif d’un changement de perception mutuelle entre les structures éducatives formelles et celles non- formelles. Les liens qui existaient avec les écoles publiques se limitaient seulement aux facilités accordées par celles-ci lors des inscriptions des enfants issus des structures comme la nôtre. -*le lien qui s’est créé entre notre structure et Asmade, au Burkina Faso, a suggéré des orientations nouvelles par rapport au développement d’un réseau d’échanges Sud-Sud. A travers les échanges et les visites croisées entre acteurs au Burkina et au Sénégal, nous avons pu mesurer toutes les possibilités de synergie autour de thématiques et problématiques de développement.

D’une part, avec Asmade, nous avons des points de vue convergents sur des projets d’échanges entre écoles du Burkina et du Sénégal que nous devrons identifier et mettre en place. D’autre part nos deux structures ont initié chacune en ce qui la concerne, un programme basé sur l’utilisation des nouvelles technologies comme support de communication approprié et accessible pour faciliter les échanges. Des deux côtés, nous avons inscrit ce programme dans nos plans d’action quinquennaux. Des discussions sont en cours pour formaliser ce cadre de partenariat.

  • au Sénégal, le lien qui s’est créé entre notre organisation et une autre ONG sénégalaise, l’Union pour la solidarité et l’entraide, USE, vise à promouvoir une relation ville-campagne dans le domaine de l’éducation et de la formation des jeunes. A travers les visites effectuées sur le terrain, les écoles de Nganda —zone d’intervention de l’USE— ont manifesté la volonté de mettre sur pied un projet de visites avec des écoles de Pikine. L’objectif visé à travers ces échanges est de créer un réseau de jumelages entre les écoles de Nganda et celles de Pikine.

Du point de vue institutionnel, l’action « L’eau, un pont entre le Nord et le Sud » a eu un impact positif sur le développement et l’ancrage de l’association dans sa zone d’intervention. Dans ce cadre, des actions d’éducation au développement sont inscrites en perspective dans le moyen terme.

Impact de l’action dans les écoles

Diverses appréciations peuvent être portées quant à l’impact de l’action dans les écoles. La problématique abordée dans le cadre de cette action traduit quatre niveaux d’implication perceptibles dans les écoles :

  • le développement des connaissances
  • le développement des capacités d’analyse de la problématique
  • le besoin d’échange et de partage
  • le changement des attitudes et le développement des aptitudes.

L’impact de l’action « L’eau, un pont entre le Nord et le Sud » dans les écoles de Pikine pourrait se mesurer par rapport à ces quatre niveaux d’implication.

Le développement des connaissances

A Pikine, les animations en classe ont été accompagnées de visites en rapport avec le questionnement sur différents aspects traités lors des échanges. On peut noter que ces visites-découvertes au-delà de l’aspect excursion ont eu un impact réel sur le plan pédagogique. On pourrait citer les différents aspects abordés :

  • la connaissance sur la ressource eau dans le monde
  • la connaissance sur le système de distribution en eau en milieu urbain
  • la connaissance sur les pratiques en matière d’accès et de gestion de la ressource eau -*la connaissance sur les éléments de l’environnement et la biodiversité
  • la connaissance sur les phénomènes climatiques et leur incidence sur l’environnement -*la découverte sur le monde
  • la connaissance sur la problématique de l’eau vécue dans des endroits différents.

Malgré la surcharge de travail des enseignants, les questions abordées ont constitué un apport pédagogique appréciable. Cela peut se mesurer par les résultats scolaires satisfaisants observés dans les classes impliquées dans l’action en ce qui concerne surtout les élèves plus en vue dans les activités.

La diversité dans l’analyse

Selon que l’on se situe dans une classe ou une autre, la problématique n’est pas abordée de la même manière. Autant dans une classe on s’est appesanti sur les aspects accès et gestion de l’eau, autant dans l’autre on a insisté sur les liens entre l’eau et l’environnement et entre l’eau, l’environnement et la santé. Les activités ont tourné autour de la sensibilisation des élèves de l’école et des parents. A l’école 8 A de Pikine , l’analyse s’est orientée vers l’identification et la planification des actions visant la résolution des problèmes d’accès à l’eau potable et dans l’amélioration de l’environnement à l’école. A l’école 3 A de Pikine, l’analyse a porté sur l’impact de l’environnement sur l’eau et les conséquences de la gestion de la ressource eau. Dans les classes de Djokoo, l’analyse s’est focalisée sur la prise de conscience par rapport à la problématique de l’eau vécue diversement dans le monde.

Le besoin d’échange et de partage

A travers les correspondances, une connaissance mutuelle s’est installée entre des enfants de Belgique et ceux du Sénégal. Par le biais des courriers collectifs et individuels les enfants ont pu échanger sur leur culture, leur pays , leurs connaissances sur le monde. Pour les enfants de Pikine, les échanges de courrier ont été une occasion unique de pouvoir communiquer avec d’autres enfants et d’échanger sur la culture et le mode de vie. Ces échanges ont eu une influence réelle sur le déroulement de la campagne par le fait que les enfants se sont sentis relayés dans leur action de sensibilisation de l’opinion publique sur les problèmes de l’école. L’impact de l’action peut se mesurer par la quantité de courriers échangés dans les deux sens et la poursuite des correspondances malgré la fin de la campagne. A travers les liens qui se sont créés entre eux, les enfants se sont sentis valorisés et plus responsabilisés par rapport à la marche de leur école. On note en outre que les élèves qui ont changé d’école continuent de suivre les activités de l’école en s’impliquant dans l’association des anciens élève. A travers cette association ils apportent leur appui aux plus jeunes et aident les enseignants dans les projets de l’école.

Le changement d’attitudes et le développement des aptitudes

L’objectif visé à travers cette campagne était de sensibiliser un large public, par le biais de l’école, sur les enjeux de la problématique de l’eau dans le monde. Les actions de sensibilisation menées avaient pour but d’œuvrer pour un changement de comportements dans la gestion de la ressource eau. L’école est utilisée comme porte d’entrée pour permettre ce changement dans les ménages. Cette campagne a eu un impact positif sur les comportements des élèves dans la gestion de leur environnement. En effet, on a constaté une implication plus marquée des élèves dans la résolution des problèmes qui se posent à l’école. Ce changement est plus remarqué dans les écoles publiques où l’on a constaté que :

  • les problèmes d’accès à l’eau potable ont été résolus grâce aux démarches entreprises auprès des autorités locales ; les arriérés de paiement ont été réglés et des engagements fermes ont été pris pour le règlement définitif de la prise en charge des factures d’eau des écoles comme il était de coutume
  • sur initiatives propres, des points d’eau ont été aménagés par une campagne de récolte de fonds pour l’achat de pompes à eau dans deux écoles, l’organisation de kermesses, la vente de cartes de voeux ; ces initiatives ont permis de développer des activités de jardinage et de plantation d’arbres dans les cours et les arrière-cours des écoles
  • l’environnement et le cadre de vie se sont améliorés : installations sanitaires améliorées, décor de l’école plus attrayant
  • une prise de responsabilité plus accrue des élèves dans la recherche de solutions pour l’amélioration de leurs conditions de vie et d’étude
  • le changement d’attitudes des enseignants face aux problèmes vécus par l’école ; une implication plus active dans la recherche de solutions
  • une ouverture d’esprit des enseignants des écoles publiques par rapport aux changements structurels qui s’opèrent désormais dans l’enseignement par le développement des activités pratiques éducatives encore inconnues au programme.