Les deux âmes du commerce équitable

Mise en ligne: 21 septembre 2015

Les activités de sensibilisation sur le commerce équitable en Europe sont conçues, organisées et réalisées sans participation significative des groupes de producteurs, par Angelo Caserta

Lorsque ITECO, dans le cadre d’une recherche sur le partenariat Nord-Sud en éducation au développement, a demandé à différentes organisations du commerce alternatif en Europe de soumettre des études de cas, on pensait que les cas intéressants n’allaient pas manquer. Le commerce équitable est, en effet, généralement perçu comme une approche alternative au commerce conventionnel, basé sur un partenariat entre organisations de pays économiquement développés, appelés couramment « le Nord », et des pays économiquement moins développés, dits « le Sud ». Par rapport aux ONG d’éducation au développement classiques, les organisations du commerce alternatif semblaient a priori plus familiarisées avec le concept du partenariat Nord-Sud. Etonnamment, ce n’était pas le cas. En pratique, sans exception, les activités d’éducation Les deux âmes du commerce équitable et de sensibilisation sur le commerce équitable en Europe sont conçues, organisées et réalisées sans participation significative des groupes de producteurs du Sud. Il est important d’en analyser brièvement les raisons pour stimuler les organisations de commerce équitable tant dans les pays économiquement développés que dans ceux moins économiquement développés à prêter plus d’attention et à investir davantage dans le partenariat en éducation au développement.

Les principes de base du commerce équitable sont deux, qui constituent les deux « âmes » du mouvement :

  • payer des plus justes prix aux producteurs pour améliorer leurs conditions de vie et permettre leur propre développement et
  • éveiller la conscience des citoyens pour obtenir leur soutien dans la lutte pour le changement des lois économiques internationales inéquitables.

Alors qu’au début du commerce équitable, vers la fin des années soixante, celui-ci avait une approche fort paternaliste (le riche Nord aidant le pauvre Sud), la théorie et la pratique ont évolué peu à peu et sont parvenues à un concept nouveau de partenariat entre les organisations du commerce alternatif du Nord et les producteurs de base. Par partenariat, les organisations du commerce alternatif entendent travailler ensemble sur une base équitable avec une implication réelle des organisations des producteurs de base dans les processus de décisions. Les bénéfices produits par cette nouvelle approche en termes d’appropriation et de renforcement des capacités sont tellement importants que construire un partenariat authentique est maintenant déclaré comme le premier besoin des producteurs de base, avant même le fait de recevoir un prix plus élevé pour leurs produits. A travers les partenariats commerciaux, les organisations du commerce alternatif peuvent développer de nouveaux produits mieux commercialisables, suivant les tendances de la mode, aménageant les cycles de production, accroissant l’efficacité, attirant de nouveaux consommateurs. Les producteurs se sentent intégrés dans un mouvement en tant qu’acteurs plutôt que comme bénéficiaires passifs avec des conséquences positives sur leur capacité à être impliqués dans des activités non-commerciales.

La croissance du partenariat dans les aspects liés au commerce contraste avec son absence dans la sensibilisation, les campagnes, le plaidoyer. Si on analyse le cycle de vie typique d’une campagne de commerce équitable ou d’un projet d’éducation, il apparaît clairement que les producteurs ont un rôle marginal dans la phase de conception. Dans les meilleurs cas, ils sont vus ou bien comme ressources sur le fond, comme ceux qui apportent des informations sur la situation locale, ou alors comme des témoins venant confirmer le bienfondé du commerce équitable en racontant des histoires qui soutiennent les objectifs des activités et donnant un visage aux campagnes, qui resteraient autrement anonymes.

Rares sont les cas où les producteurs peuvent jouer un rôle plus actif, par exemple, décider ensemble, avec leurs contreparties dans les pays économiquement développés, sur les thèmes, les stratégies, les méthodologies, les publics-cible. Il arrive aussi qu’on ne leur demande pas de vérifier si les messages qui parlent d’eux, de leurs vies, de leurs attentes, véhiculés par les organisations du commerce alternatif dans les pays économiquement développés correspondent à ce qu’ils voudraient ou voulaient dire.

Même une très grande campagne, bien préparée comme « Make Trade Fair  », menée par des organisations qui ont une très longue histoire de contacts et de coopération avec des producteurs comme celles intégrant Oxfam international, semble avoir été conçue et réalisée sans contribution significative des partenaires des pays économiquement moins développés.

Comment cela peut-il arriver ? Pourquoi cette étrange dichotomie d’avoir un bon accroissement des partenariats commerciaux et l’absence significative de partenariat dans la sensibilisation et l’éducation ? Cinq principales raisons peuvent être identifiées :

  • la prédominance de l’idée que le commerce équitable est principalement du business
  • une approche paternaliste des organisations du commerce alternatif des pays économiquement développés
  • le besoin de quelques grosses organisations du commerce alternatif de promouvoir plutôt leur image de marque que leur objet qui est le commerce équitable
  • la faiblesse des organisations du commerce alternatif tant des pays économiquement développés que de celles des pays moins économiquement développés
  • la spécialisation dans le commerce équitable et la délégation de l’action éducative et politique à d’autres acteurs sociaux.

Le commerce équitable c’est du business

Un changement de position graduel est bien reflété dans la définition du commerce équitable qui a été agrée par les quatre principaux réseaux internationaux (IFAT, FLO, NEWS, EFTA) en 2001 à la conférence d’IFAT à Arusha, en Tanzanie. Le concept de partenariat s’applique uniquement aux aspects commerciaux [1].

« Le commerce équitable est un partenariat commercial, basé sur le dialogue, la transparence et le respect, qui cherche la plus grande équité dans le commerce international. Il contribue au développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et en sécurisant les droits des producteurs et travailleurs, spécialement dans le Sud.

« Les organisations de commerce équitable, soutenues par les consommateurs, sont engagées activement dans le soutien aux producteurs, la sensibilisation et les campagnes pour changer les règles et les pratiques du commerce conventionnel international ».

La dichotomie entre les deux âmes, commerciale et éducative, est subtile, basée sur la séparation de ce qu’est le commerce équitable (le partenariat commercial) et de ce que fait le commerce équitable (la sensibilisation et les campagnes). Malgré le fait que cette définition soit formellement acceptée par tous les membres des quatre réseaux, elle ne recueille pas un large consensus et est remise en question par les organisations qui ont une vision davantage politique et éducative.

Cependant, beaucoup d’organisations du commerce alternatif tant dans les pays économiquement développés que dans ceux moins économiquement développés, à l’exception des magasins du commerce équitable et de quelques importateurs plus orientés vers le politique, partagent maintenant l’idée que les producteurs ont seulement besoin de d’étendre leurs opportunités sur le marché. Dès lors, l’éducation, la sensibilisation, les campagnes et le plaidoyer sont les uns et les autres subordonnés à cet objectif, l’âme commerciale grignotant peu à peu ce qu’il restait d’utopie et de volonté de changement du monde. Même les revendications les plus politiques du mouvement, du moins en Europe, s’orientent de plus en plus vers les besoins d’augmenter les ventes du commerce équitable, au lieu d’essayer de changer drastiquement les règles du jeu.

Par exemple, une des demandes « politiques » des membres d’EFTA, est d’introduire des critères de commerce équitable dans les appels d’offres des « achats publics » . Le but est clairement d’ouvrir de nouveaux marchés pour les produits équitables, un but positif, bien sûr, mais limité, dans son impact, au petit nombre de producteurs de produits alimentaires, principalement le café. Les autres producteurs restent en dehors des bénéfices possibles, car il n’y pas de demandes plus générales et radicales, comme, par exemple, la mise en discussion du paradigme néolibéral. On voit encore cette tendance dans la difficulté de plusieurs personnes à accepter l’idée que le commerce équitable soit lié au discours des droits humains fondamentaux, et donc à s’engager sérieusement dans toute question liée à ce débat, comme la responsabilité sociale des entreprises et la mondialisation des droits humains, entre autres. Par exemple, le débat sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ou l’élaboration du Green Paper de la Commission européenne sur la responsabilité sociale des entreprises ont vu une participation sporadique des associations de commerce alternatif, alors qu’il s’agissait de thèmes qui touchent les bases sur lesquelles s’appuie l’action du commerce équitable.

La sensibilisation, l’éducation au développement, les campagnes dans les pays économiquement développés deviennent, dès lors, un outil de marketing social visant à accroître le nombre d’acheteurs du commerce équitable et à pénétrer le marché. C’est la vision de la majorité des organisations de labels, par exemple. Le principal objectif devient de changer l’attitude d’achat des consommateurs plutôt que chercher des changements à long terme dans les règles internationales inéquitables et dans la mentalité des citoyens. Bien sûr, les deux aspects sont reliés et le changement d’attitude par rapport à l’achat peut être un indicateur du changement de mentalité. Et, bien sûr, le marketing social des organisation de commerce équitable a aussi contribué à sensibiliser à propos des problèmes Nord-Sud. Mais, si l’accent est surtout mis sur la pénétration des marchés, alors la participation active des producteurs n’est pas ou plus pertinente. Le plus important devient d’élaborer des slogans faciles et alléchants qui peuvent attirer de nouveaux groupes de consommateurs. Il y a un peu d’espace pour que les producteurs puissent contribuer à une campagne de commercialisation, alors qu’ils pourraient faire beaucoup dans les campagnes éducatives ou politiques. Dans le marketing social, les producteurs deviennent des témoins qui confirment, à travers leurs histoires, un message qui est produit par les organisations des pays économiquement développés pour leur public.

Une autre conséquence de cette mentalité très orientée vers le marché est que les thèmes commencent à être choisis pour soutenir le lancement de nouveaux produits ou faire du battage pour remonter des ventes stagnantes. C’est pourquoi, par exemple, les campagnes sur le café ont été si fréquentes ces dix dernières années. Le café est le produit le plus vendu, avec une part de marché d’environ 30 % pour le commerce équitable. Les organisations de commerce équitable ont organisé plusieurs fois des campagnes sur le café, l’utilisant comme un exemple, comme la campagne « Food For Thought » ou pour inverser une tendance des ventes négatives, comme dans les campagnes de FLO. Récemment, à cause d’une diminution des prix payés par les marchés internationaux et une baisse des ventes en Europe, plusieurs organisations du commerce alternatif ont décidé de faire, une nouvelle fois, campagne sur le café. Bien sûr, il y a d’autres produits qui souffrent de la dénommée « crise des marchés des produits » : le sucre, le thé, les épices, ou de la stagnation du marché du commerce équitable, comme l’artisanat, mais ils sont considérés comme moins importants à cause du faible volume de ventes qu’ils représentent.

La responsabilité de cette approche dans la sensibilisation se trouve aussi dans les groupes de producteurs. La majorité de ces organisations sont plus intéressées par le fait de mieux survivre dans ce système que par le changement de ce dernier. C’est compréhensible puisqu’ils ont souvent des besoins immédiats à satisfaire. Mais, en même temps, le fait que les causes des injustices mondiales ne soient pas prises en compte ni questionnées réduit la possibilité d’obtenir des effets à long terme. Il y aurait un travail très important à faire dans les pays du Sud afin de sensibiliser également la population locale par rapport aux mécanismes d’injustice, un travail qui pourrait être fait en collaboration entre des acteurs sociaux et les organisations du commerce alternatif de ces pays.

Ce bon vieux paternalisme

Toutes les organisations du commerce alternatif tant dans les pays économiquement développés que dans les pays économiquement moins développés n’acceptent pas cette vision orientée vers le business. Cependant, même si ces organisations investissent des ressources humaines et financières dans la sensibilisation ou dans l’éducation, elles ne montrent pas de cas de partenariat Nord-Sud significatifs. L’impression est que c’est principalement une approche paternaliste jamais révoquée et jamais reconnue de la part des organisations du commerce alternatif des pays économiquement développés. Les gens, dans ces organisations, ont souvent une longue histoire de travail dans le commerce équitable, sont convaincus qu’ils ont la connaissance sur ce que le continu politique des campagnes et des activités devrait être, tandis que les groupes de producteurs n’ont pas assez de « vision ». Avec cette hypothèse, il est facile de construire des projets pour informer ou éduquer le public sur les injustices dans le monde, sans regarder le fait que ces injustices sont perçues de la même façon par les producteurs ou sans regarder les solutions que ces groupes envisagent.

Très peu d’organisations du commerce alternatif sont réellement engagées dans un dialogue sur les paradigmes du développement, dans l’élaboration d’une vision commune et d’une stratégie partagée sur la manière de défier les causes structurelles de l’injustice économique.

Importance de l’image de marque

Le besoin de promouvoir une « image de marque » plutôt que le commerce équitable lui-même, semble être une autre raison possible. Dans certains cas, on peut avoir l’impression que certaines campagnes ont aussi l’objectif non déclaré d’augmenter le profil du promoteur, qui vise à devenir une référence pour le commerce équitable dans une région ou dans un pays. Plus l’organisation est grande, plus la promotion d’une identité de corps est forte. Dans ce cas, la promotion d’un logo ou d’une marque est le réel objectif d’un projet éducatif ou informatif, ce qui rend de nouveau la participation des groupes de producteurs non importante ou même contre-productive, étant donné qu’ils pourraient faire de l’ombre à la visibilité du promoteur.

Manque de capacité

Certaines organisations, même si elles veulent établir un partenariat authentique en éducation et sensibilisation, n’ont pas suffisamment de capacités pour y arriver. C’est particulièrement vrai quand on considère les petites organisations comme les magasins du commerce équitable en Europe ou les petits groupes de producteurs dans les pays du Sud.

La grande majorité des opérateurs des magasins du commerce équitable ont encore une vision fort politique par rapport au commerce équitable et prêtent beaucoup d’attention aux activités non-commerciales. Cependant, ils manquent généralement de ressources et de capacités pour établir des relations à long terme avec les groupes de producteurs. Même dans les groupes les plus actifs, les contacts avec les producteurs pour concevoir et réaliser ensemble des activités d’éducation est encore marginal et réduit à l’organisation de conférences ou de rencontres pour lesquelles des représentants de producteurs sont invités.

Dans quelques pays européens, les importateurs stimulent les magasins de commerce équitable à initier des partenariats avec de petits groupes de producteurs, en les aidait par des contacts et, dans certains cas, avec des ressources financières. C’est un exercice prometteur qui devra être évalué dans quelques années. Cependant, dans d’autres pays, les détaillants de commerce équitable ne sont pas autorisés par les organisations du commerce alternatif importatrices à avoir des contacts avec les producteurs, une interdiction qui entrave tout espoir sérieux d’établir une quelconque forme de partenariat.

Spécialisation dans le commerce équitable (et délégation de l’action éducative et politique à d’autres acteurs sociaux)

Par manque de ressources, de spécialisation sur les thèmes économiques mondiaux et de volonté d’approfondir leurs sujets, certaines organisations de commerce alternatif se spécialisent dans le business du commerce équitable tout en renvoyant les personnes intéressées par d’autres sujets, comme les enjeux globaux, vers les ONG ou mouvements sociaux qui mènent des campagnes à ce sujet. Certaines relaient ou réalisent elles-mêmes des campagnes comme la campagne Vêtements propres et même d’autres sur l’Organisation mondiale du commerce ou sont membres de plates-formes, comme le Forum social mondial. Parfois, cette action « en réseau » peut être très efficace, mais l’apport du commerce équitable pourrait être plus important en termes de liens avec les producteurs et leurs revendications à travers des contacts avec des organisations de base.

D’une manière générale, au-delà de la problématique du commerce équitable, on peut parfois s’inquiéter d’une certaine compartimentation au sein des ONG. Il est tout à fait normal que les ONG ne puissent pas « tout » faire, qu’elles ont tout intérêt à avoir une connaissance pointue et des actions bien ciblées. Cependant, il y a chez elles, ( et chez d’autres acteurs) une tendance à se « décharger » d’une problématique si elle est traitée par d’autres. Si les actions peuvent rester compartimentées, il est cependant malheureux que la pensée, l’analyse, la vision sur les problèmes du monde le soient. Chaque organisation ou coupole en arrive souvent à vouloir défendre à tout prix « ses » priorités sans les envisager dans un ensemble plus large, sans les replacer par rapport aux priorités des autres et sans chercher suffisamment les connections, les convergences qui rendent les actions complémentaires, mais aussi parfois contradictoires. Cette façon de voir fait appel à une vision systémique, de croisements, d’interactions alors que le monde associatif, notamment poussé dans le dos par les bailleurs de fonds, devient de plus en plus technocratique.

Dans le cas du commerce équitable, la tendance à se replier sur « son » business, « ses » producteurs, « ses consommateurs », isole le mouvement d’un combat plus large. Il serait pourtant fondamental que l’âme politique se glisse à nouveau dans le milieu pour que les opérateurs du commerce équitable, du nord et du sud, replacent leurs actions dans le contexte plus large de la mondialisation néo-libérale, se posent plus de questions sur leurs limites, car, parfois, emportés par des vagues de succès (augmentation des ventes), ils en arrivent à développer un secteur « à part », un îlot qui a de la chance, tout comme une association d’éducation du sud, qui ne produit rien de vendable, peut avoir, un jour, « la chance » de rencontrer des bailleurs du nord. Si le commerce équitable devient une autre façon de soutenir des actions dans les pays économiquement moins développés, avec un autre mode de financement, sans agir sur la formation des prix des matières qu’elles commercialisent, sans monter au créneau pour dénoncer l’abus des droits des travailleurs, sans dénoncer ce qui appauvrit les gens (comme le poids de la dette par exemple), elles devront mettre de plus en plus d’énergie pour vendre au risque d’avoir un discours de plus en plus simplificateur qui ne dit rien sur les causes, qui sort du champ de l’éducation au développement et qui peut même faire du tort aux discours plus radicaux qui s’attaquent aux causes profondes du « sous-développement ». Il faut être vigilant par rapport au fait qu’acheter commerce équitable peut aussi devenir, pour les consommateurs, une façon de se « décharger » de responsabilités civiques plus larges. Quelques petits ingrédients plus « politiques » sur le commerce non-équitable éduqueraient pourtant la population. Pour agir en faveur d’une autre mondialisation, le commerce équitable devrait se présenter plus souvent comme un exemple qui devrait s’étendre à d’autres secteurs, comme une solution temporaire, plutôt que comme une solution en soi.

La scène internationale offre de bons exemples de ce travail coopératif entre différentes organisations, des exemples qui peuvent devenir des pistes de réflexion pour élargir la participation des organisations du Sud. La campagne Vêtements propres (Clean Clothes Campaign) par exemple, a réussi à intégrer les visions, les attentes et les revendications des bénéficiaires, des travailleurs du secteur textile, créant un espace pour une élaboration des objectifs, des stratégies, des méthodologies, des demandes communes. Quelques organisations du commerce équitable sont en effet opérateurs de cette campagne, avec d’autres mouvements sociaux où les organisations des pays économiquement moins développés ont une forte voix politique. Cette collaboration ouvre de nouvelles opportunités de partenariat Nord-Sud allant plus loin que le commerce et le business, visant à créer des changements structurels dans les institutions qui règlent le commerce international et le travail, et changeant les mentalités et le comportement des consommateurs, tant dans le Nord que dans le Sud.

Un changement de vision

Malgré ce tableau critique, le commerce équitable reste une excellente opportunité pour activer le partenariat en éducation au développement et en sensibilisation. Tout d’abord, parce que le concept est déjà largement accepté en ce qui concerne l’aspect commercial. Ensuite, parce que, malgré le glissement vers « plus de marché », il y a encore des organisations qui donnent priorité à l’éducation et à la sensibilisation comme piliers du commerce équitable en mettant l’accent sur le fait que le commerce équitable a une valeur d’exemple.

Même en l’absence de réel partenariat et même lorsque l’approche reste celle du business, les efforts de beaucoup d’organisations du commerce équitable ont sans aucun doute contribué à sensibiliser, au moins en Europe, sur les causes du sous-développement et de la pauvreté mondiale.

Une future et importante amélioration peut avoir lieu si l’actuelle vision prédominante sur le rôle du commerce équitable et de chaque organisation à l’intérieur est défiée. Les groupes de producteurs doivent être considérés et se considérer eux-mêmes comme des acteurs véritables sur la scène du commerce équitable, également en éducation et en sensibilisation, et pas seulement comme pourvoyeurs de produits. IFAT, la Fédération internationale du commerce alternatif, fait un excellent travail pour mettre ensemble des organisations du commerce alternatif du Nord et du Sud et pour les encourager à entreprendre des actions communes non commerciales. Pour le moment, l’accent est davantage mis sur le plaidoyer, mais il peut s’étendre également à l’éducation au développement.

Les organisations du Nord et du Sud ont beaucoup à gagner de ce processus. Premièrement, une plus grande crédibilité par rapport aux propositions du commerce équitable, étant donné qu’un nombre croissant de personnes sont attentives à la cohérence entre les actions et les principes. Deuxièmement, de nouvelles opportunités d’engager davantage de personnes dans le monde dans le combat pour plus de justice sociale, en lien avec d’autres mouvements sociaux. Troisièmement, un meilleur impact sur les activités d’éducation au développement en Europe, en créant des liens plus étroits entre les consommateurs dans les pays économiquement développés et des producteurs dans les pays économiquement moins développés.

[1IFAT, International Federation for Alternative Trade, est une association internationale de producteurs, importateurs et magasins de commerce alternatif. FLO, Fair Trade Labelling Organisation est la fédération internationale des organisations de label. EFTA, European Fair Trade Association, est une association des douze importateurs avec le chiffre d’affaires le plus important en Europe. NEWS !, Network of European World Shops est l’association européenne des magasins de commerce alternatif.