Des échanges scolaires sur le thème de l’eau entre des classes sénégalaises, belges et burkinabés, par Michel Elias
Un projet de campagne éducative, L’eau, un pont entre le Nord et le Sud, a été conçu par l’ONG belge Solidarité socialiste. Dans la perspective du développement durable, il a développé, sur une durée de deux ans, des échanges scolaires sur le thème de l’eau entre des classes du Nord et du Sud de la planète. Les objectifs généraux du projet étaient :
Quant aux objectifs plus spécifiques, ils avaient été énumérés comme suit : Offrir l’opportunité aux enfants de la fin de l’école primaire de se rendre compte :
En conséquence,
1. de leur permettre de mieux comprendre ce que peuvent être les multiples et complexes problématiques locales de développement, au Nord et au Sud, liées à la gestion des ressources en eau.
2. de les accompagner dans la compréhension des interrelations entre les problèmes locaux pour qu’ils parviennent à se construire une représentation globale
3. d’analyser avec eux de manière critique et en fonction de leurs connaissances et de leur compréhension des problématiques locales et globales, le fonctionnement des systèmes de gestion de l’eau et des processus de coopération internationale et d’aide au développement en ce domaine
4. de les inviter à une réflexion sur les valeurs
5. de les inviter à s’engager individuellement pour changer leurs attitudes et leurs comportements par rapport à la ressource eau
6. de leur demander d’imaginer et de mettre en œuvre collectivement des projets de classes qui envisagent par exemple des solutions aux problèmes rencontrés en utilisant les moyens disponibles à leur niveau
7. de favoriser localement la constitution de partenariats avec des ONG, des administrations, des entreprises pour la réalisation des projets de classes
8. enfin, de s’ouvrir au regard critique de l’autre (mon voisin de classe pour mes engagements individuels, mes collègues du Sud pour les projets de classes).
Solidarité socialiste a élaboré une méthodologie du projet basée sur :
Les partenaires impliqués dans l’action étaient :
Qu’avons-nous à apprendre de l’impact du partenariat Nord-Sud dans ce projet ?
Pour répondre à cette question, une évaluation du projet a été réalisée en cours et au terme de celui-ci par les principaux partenaires. Cette évaluation « à chaud » a été complétée par l’envoi d’une mission d’évaluation au Sénégal quelques mois après la fin du projet et par un texte écrit par le coordinateur du projet au Sénégal, qui a lui-même décrit ce qui a constitué à son avis les impacts de ce projet dans son contexte de pays du Sud.
Si l’on remonte à l’origine du projet, on constate que les partenaires du Sud n’ont pas été impliqués dans sa conception. Le projet a été conçu au Nord, de manière unilatérale avec une méconnaissance du Sud. Les partenaires ont dû prendre le train en marche, ce qui a eu pour conséquence des relations inégalitaires entre les différents acteurs. Un manque de clarté est apparu sur les rôles et responsabilités de ceux-ci qui, heureusement, a pu être relativement rattrapé par le fait qu’il y a eu une bonne communication interpersonnelle entre les animateurs du projet. Il y a cependant eu des problèmes de communication qui ont entravé le projet.
USE et Asmade sont des partenaires de Solidarité socialiste dans le sens où leurs actions sont, en partie, appuyées financièrement par cette dernière. USE surtout est un partenaire déjà ancien de Solsoc. Quant à Djokoo, c’est un partenaire plus récent l. USE est bien connue de l’ONG belge mais c’est la première fois qu’USE allait être confrontée à une nouvelle logique qui est celle de l’éducation au développement et ils ne la maîtrisaient pas nécessairement. Une mise à niveau au départ n’avait pas été réalisée non plus pour expliquer le contexte et ce qu’est l’éducation au développement. Pour USE, le projet était une « chose en plus » dans leur programme avec Solidarité socialiste, pour Djokoo par contre, le projet était un enjeu, représentait un défi de plus à relever qui lui permettrait de faire ses preuves et d’accroître sa crédibilité dans son contexte local et par rapport à Solsoc. Ajoutons que Djokoo est le seul partenaire du Sud à avoir un accès direct, de par sa mission (éducation informelle), aux élèves de l’âge requis (mais pas aux écoles).
Au Sénégal, comme on le verra dans l’article d’Abdoulaye Faye (pages 46 à 50 de ce numéro), les retombées ont été très concrètes, tant dans l’amélioration des conditions de vie par rapport à l’eau, que dans la valorisation institutionnelle des acteurs, l’échange entre classes urbaines et rurales, que sur le plan pédagogique où les enfants ont pu acquérir certaines aptitudes telles qu’une meilleure expression écrite, la gestion d’un projet…
Le projet a duré deux ans, les résultats éducatifs recherchés, du moins, en ce qui concerne l’aspect global du thème (eau, patrimoine de l’humanité) sont apparus en fin de projet. Le projet aurait pu ou aurait dû durer plus longtemps pour atteindre tous les objectifs. De plus l’évaluation montre qu’une stratégie de pérennisation n’a pas été suffisamment mise en place : « les gens partent mais les institutions restent ». On constate aussi que le projet aurait pu mettre davantage les personnes relais au centre du processus car les retombées sont surtout importantes pour eux (changement de vision de l’enseignement, par exemple).
Des enfants ont continué à être en contact, même après la fin du projet, certains enfants au Nord ont organisé une collecte de matériel à envoyer dans le Sud. Ce n’était pas l’objectif du projet qui voulait plutôt éviter ce genre d’action (don, charité), ce qui montre qu’il est important de travailler sur la représentation de l’autre et sur les valeurs (échanges, aide, solidarité, responsabilité…) avec les enfants.
Si le projet a été conçu au Nord, avec une méconnaissance du Sud, notamment en ce qui concerne l’environnement institutionnel, les partenaires du Sud sont parvenus à l’adapter à leur réalité, mais cela a sans doute pris un certain temps. Dans les failles du projet, ainsi que rapporté par les personnes concernées au Sénégal (maître d’écoles, inspecteurs, animateurs…) on retrouve des éléments qui ont un lien avec la conception initiale :
Il y a de ce fait des retombées positives et très concrètes du projet :
Quant aux retombées pédagogiques, elles sont évidentes :
Mais qu’en est-il des effets sur la perception des problèmes liés à l’eau ? Les enfants ont évidemment appris sur ce sujet un certain nombre de choses :
Des effets plus controversés ont également vu le jour, qui mettent l’accent sur la gestion pédagogique des stéréotypes Nord-Sud réciproques que peuvent entretenir les élèves (et peut-être aussi certains maîtres…).
Si d’une part les élèves du Nord comme du Sud ont globalement fait des progrès dans l’apprentissage de l’autogestion, de la mobilisation et de la gestion financière, des conduites individuelles et collectives de demandes et offre d’argent ou de cadeaux ont pu être observés.
Ce qui dénote l’existence de stéréotypes des élèves du Nord pour lesquels le Sud est d’abord un appel à l’aide et parallèlement de stéréotypes des élèves du Sud pour lesquels le Nord est d’abord un pourvoyeur d’aide. Les animateurs du projet ont eu à gérer ces ambiguïtés et sont parfois arrivés à les maîtriser :
les élèves de Belgique ont appris à découvrir des valeurs culturelles du Sud, des ressources et des compétences qu’ils ignoraient exister là-bas tandis que les élèves du Sud ont appris à ne compter que sur eux-mêmes… La correspondance scolaire collective et encadrée par le maître a permis de ramener vers la réalité des représentations imaginaires de l’autre tout compte fait mythiques. Mais les correspondances individuelles entre élèves (et échappant aux maîtres) ont parfois contrecarré ce résultat en réactivant les stéréotypes. On revient alors au rapport classique où le Nord croit devoir donner de l’argent au Sud et le Sud sait pouvoir demander des cadeaux au Nord.
Des correspondances « privées » se sont amorcées entre élèves du Sud et du Nord à l’occasion du projet. C’est un résultat quelque peu inattendu du projet. Il est positif sur le plan du rapport à l’écriture et à la langue française. Mais il peut aussi souvent générer l’effet pervers du renforcement des stéréotypes dont nous avons parlé. Il serait peut-être souhaitable de créer une structure pédagogique d’accompagnement de ces correspondances. Cela nous fut suggéré à Djokoo et par l’inspecteur d’académie de Pikine. Parfois les maîtres ne semblent pas conscients du problème qui se crée, lorsqu’ils se réjouissent : « les enfants ont bénéficié des cadeaux de nos partenaires… ». Notons en passant que des stéréotypes existent aussi au Sénégal entre les écoles de la ville et les écoles de la campagne. Certains instituteurs nous ont dit que le projet avait amélioré les images croisées des uns sur les autres.
Autre effet pervers : l’information « brute » donnée par des élèves du Nord sur le nombre de litres d’eau que chacun utilise quotidiennement en Belgique vient contredire la leçon d’économie de l’eau que chacun devrait faire au Nord comme au Sud…
Disons enfin, pour conclure, que les objectifs pédagogiques les plus ambitieux ( permettre aux élèves de faire une analyse critique des systèmes économiques et d’aide au développement dans la perspective de l’eau partagée, premier bien commun mondial ) ont été assez peu atteints. Ces objectifs très politiques et « abstraits » d’interdépendance, d’inégalité et de globalité du problème de l’eau sont difficilement ou inégalement passés auprès des petits acteurs de base qui sont la plupart du temps restés fixés à leur environnement quotidien et immédiat.