Rien sans les femmes !

Mise en ligne: 1er mars 2023

Les actions de l’APEF pour le renforcement des femmes par Cécilia Diaz.

En République Démocratique du Congo, les forces de sécurité et des groupes armés sont responsables de nombreuses agressions contre la population civile, allant des pillages aux actes de torture, viols et meurtres. Les femmes sont les plus exposées à cette violence. Ainsi, on estime que plus de mille femmes seraient violées par jour dans le pays. La souffrance des victimes de viol se double d’une nouvelle injustice : le rejet et la discrimination de la part de leur communauté qui les marginalise.

Lors des élections de décembre 2018, il n’y a pas eu de progrès significatifs en termes de représentation des femmes : sur 485 députés nationaux, seules 50 femmes ont été recensées. La participation féminine aux assemblées provinciales est toute aussi faible, avec un taux qui ne dépasse pas les 12%. Par ailleurs, on estime que huit personnes sur dix vivent sous le seuil de pauvreté absolue et les données de l’enquête de l’Institut national des statistiques montrent que la pauvreté est fortement ressentie par les femmes et les jeunes.
Et que fait-on face à cette réalité ? Au mois d’avril 2019, nous nous trouvions à Bukavu, au Sud-Kivu, pour une formation à la citoyenneté mondiale et aux relations Nord-Sud [1]. Cette fois-ci, des femmes défavorisées de Bukavu participent à la formation ; elles sont apprenantes en couture, teinture et broderie. Le centre de formation de l’Association pour l’entreprenariat féminin, Apef, leur permet d’acquérir un métier ainsi que de se former aux droits de la femme.

Mes collègues viennent à peine de terminer l’animation sur les inégalités, le « jeu de chaises », qui rend visible les inégalités en termes d’accès à la richesse dans le monde et la richesse est représentée par des chaises. Révoltée par le fait de voir qu’en Afrique on n’a pas assez de chaises pour toute la population, et qu’en Amérique du Nord il y a des chaises de trop, une des apprenantes se lève et avance vers les chaises de l’Amérique du Nord et dit : mais, qu’est-ce qui nous empêche d’aller chercher les chaises là, où on en a de trop ! ». Si seulement on pouvait se lever et aller chercher les chaises là où on en a en abondance ! plein de mécanismes, certains devenus « légaux », empêchent parfois de se lever, souvent d’aller en chercher là-bas.

Salufa Nunu, coordinatrice de l’Apef, prend la parole et s’adresse aux participantes de la formation. Ceci n’est qu’un jeu pédagogique, dit-elle, mais il montre bien la situation de l’Afrique. Contente de constater que les femmes sont révoltées par ces injustices frappantes dans le monde, Maman Salufa profite de cette occasion pour leur rappeler combien elles devront lutter pour s’imposer et se faire respecter, surtout dans un pays comme le Congo d’aujourd’hui.

Tout au long de la formation, les femmes se demandent pourquoi au Congo, qui est si riche, les gens sont si pauvres. Elles savent que le Congo possède du coltan, du cuivre et plein d’autres minerais utiles pour la fabrication d’appareils dont la technologie est la plus avancée, mais elles savent aussi qu’elles ne profitent pas de cette richesse. Plusieurs d’entre elles racontent qu’elles sont des femmes « répudiées » par leurs maris, partis travailler dans les mines, ou ailleurs, et qui n’ont rien laissé pour les nombreux enfants qu’ils ont eu avec elles. Elles veulent savoir comment faire pour vivre dans un pays où il est normal d’envoyer ses enfants à l’école ou de pouvoir accoucher dans des hôpitaux. Elles veulent un autre avenir pour elles et pour leurs enfants. Elles se demandent comment construire cet avenir qui semble un rêve dans un pays comme le Congo.

Maman Salufa raconte, explique et encourage les femmes : il ne faut pas se laisser abattre, il ne faut pas croire que c’est leur faute si elles se trouvent dans cette situation tellement critique. Il faut lever la tête, apprendre un métier et le mettre en pratique. Il faut s’unir, s’organiser et s’imposer en tant que femmes. Un jour, nous les femmes, dit-elle, nous serons aussi dans le gouvernement et dans des instances de pouvoir et nous pourrons changer beaucoup de choses. Mais aujourd’hui, notre tâche est de nous révolter et de nous organiser pour exiger une place dans la société.

Salufa Nunu se bat depuis son jeune âge pour « partager les chaises », tout particulièrement en faveur de femmes qui sont les premières et les principales victimes de la pauvreté, de l’injustice, des inégalités et de la violence. Il y a 23 ans que l’Apef a été créée à Bukavu afin de travailler avec les femmes qui, en s’échappant de la guerre mortifère surtout à la campagne, sont venues s’installer en ville pour se protéger. A l’époque, la plupart des femmes étaient les seules responsables de leurs familles. Elles devaient travailler dans le secteur informel pour pouvoir se nourrir, et elles ne comptaient sur l’aide de personne.

Il y a quinze ans, nous avions interviewé Salufa Nunu concernant la situation des femmes en RDC. A l’époque, elle nous avait dit : « ce sont les femmes qui pallient en grande partie aux besoins familiaux ou qui assument le paiement des frais scolaires des enfants, les soins de santé, les dépenses, la nourriture. Les besoins sont énormes. Les femmes demandent à être soutenues dans leurs multiples difficultés, elles veulent faire entendre leur voix et nous nous conscientisons ensemble afin de nous renforcer mutuellement et que nous puissions être représentées au travers des postes de décisions. Prenons l’exemple de Zita Kavungirwa, ancienne coordinatrice de l’Apef. Elle est maintenant devenue maire de Bukavu. Ceci traduit que la femme a aujourd’hui davantage de pouvoir, qu’elle est mieux reconnue, davantage en mesure de se défendre ». Mais, aujourd’hui, en décembre 2022, Zita Kavungirwa n’est plus là et le bourgmestre de Bukavu est bien un homme.