Enseigner les médias ou le français ?

Mise en ligne: 3 juin 2017

Qui a écrit éducation aux médias dans son journal de classe ces cinq dernières années ?, par Tito Dupret

Namur a accueilli au crépuscule d’avril une journée consacrée à l’éducation aux médias dans la formation des enseignants. Trois tables rondes et une présentation d’outils ont segmenté le flux d’échanges organisé par e-MEL, e-Media Education Lab.

Le constat est unanime : depuis trente ans qu’elle existe, la discipline est mal comprise par les enseignants. Transdisciplinaire, elle est supposée être abordée par chacun au sein de son programme de cours. Mais cela ne fonctionne pas. « Certains sont à fond alors que d’autres sont totalement démunis ».

L’un des intervenants annonce que « sur cent professeurs du secondaire supérieur interrogés, un seul y a consacré un cours pendant l’année scolaire ». Un deuxième explique que « c’est l’intercalaire du programme qu’on n’ouvre jamais ». Un troisième se souvient que « la télévision scolaire était dans le coin de la classe, sous un drap protecteur » mais depuis « l’école est dépassée par les réalités numériques des élèves ».

Si l’éducation par les médias est acquise, l’éducation aux médias ne passe pas. Ceux-ci restent dans l’esprit de la majorité des enseignants « culturellement marginaux, technologiques et divertissants ». Réduits à des outils secondant craies et tableau noir, le pas vers une réflexion sur les médias et non avec eux, semble infranchissable.

C’est ce qu’on appelle la littératie médiatique : « comment communiquer avec quels outils, selon quelle réflexion sur les médias ? ». C’est tout l’enjeu de « transformer les médias comme outils de réflexion plutôt que tuyaux de transmission ». Or « ce n’est pas au cours de bureautique ou d’informatique de faire cela ». Littératie numérique n’est pas littératie médiatique.

Alors que faire ?

Il faut « mettre l’accent sur les compétences plutôt que sur la pratique de tel ou tel logiciel rapidement obsolète ». Ceci dans un contexte où « l’enjeu est d’apprendre à coder plutôt que d’éduquer aux médias ». Par contre « il existe une corrélation claire entre le cours de philosophie et de citoyenneté et l’éducation aux médias ». Il y a donc deux fronts parallèles à mettre en place : la technique et l’usage fait de cette technique.

Le danger rencontré à ce stade, celui de demander à tous les enseignants de participer un peu, est de « transformer la transversalité de la discipline en sa dilution ». C’est ce qui a cours au mieux. Mais en réalité il y a « très peu de demandes des enseignants et de sollicitations des branches-tronc comme math, français et éveil ».

L’éducation aux médias souffre du cloisonnement même des disciplines et des programmes par degrés. Il en résulte que sa transdisciplinarité de nature et son obligation d’enseigner ne sont pas appliquées.

« Qui a écrit éducation aux médias dans son journal de classe dans les cinq dernières années ? ». « Quel inspecteur s’y est intéressé ? ». « Les audits sont fait sur les cours de base mais jamais en éducation aux médias ». « Les enseignants n’ont pas conscience du besoin ni de l’obligation d’enseigner la discipline ». « Ceux qui s’y forment, c’est par défaut, même s’ils sont ravis après ». Et puis « il existe des enseignants sans ordinateur versus des auto-formations en ligne. Tous ne sont pas convaincus par les outils ». « Il faudrait trois sommets : la formation initiale, la formation continuée et les plateformes en ligne. Donc une triangulation et complémentarité plutôt qu’un traitement prioritaire. Et-et-et au lieu de ou-ou-ou ». « Faut-il laisser le choix aux enseignants de se passer des outils numériques et de l’éducation aux médias ? ». « Ce choix est à organiser dans les établissements ».

En tous cas, les outils ne manquent pas, liant parfois « présentiel » et formation à distance : E-mediaeducationlab, Formeam (s’inscrire via cette adresse) et l’exemplaire Conseil supérieur de l’éducation aux médias ont tous les trois été présentés pendant la journée.

Cependant la question du niveau de littératie médiatique des enseignants reste entière. Il y a un « gros travail de conscientisation à faire : apprendre à s’informer, apprendre à apprendre, intégrer la compréhension à l’usage ». Et aussi articuler les différentes compétences avec celles prévues au programme de chaque discipline.

D’où l’idée qu’il vaut mieux « travailler par modules évaluables. Il est essentiel que l’éducation aux médias soit dans le bulletin sinon elle restera périphérique, ludique et généraliste. Donc travailler par séquences courtes en lien avec les programmes et des compétences bien identifiées. Ceci pour vaincre la crainte des profs qui n’en font pas car la discipline est trop vaste et complexe ».

Et les élèves ?

Si les profs n’en font pas, quid des élèves ? Ne sont-ils pas aussi en cause ? L’élève, acteur central, manque à cette journée de réflexion. C’est lui le public ciblé. On se cantonne à une réflexion administrative et conceptuelle à destination des enseignants, hors du terrain.

Je suis moi-même enseignant en communication et établir, comme cela est suggéré, des compétences propres à l’éducation aux médias afin de les évaluer, c’est amener à la quadrature. Lorsque je demande à mes élèves du secondaire supérieur de rassembler trois sources d’information indépendantes afin de les croiser et d’en faire la synthèse — une compétence de base en éducation aux médias –, mon problème est que les élèves ont déjà du mal à répondre aux questions fondamentales des 5W (what-who-where-when-why).

Ils ne maîtrisent pas la compétence préalable de résumer. Que ce soit un article, une interview, un texte, une vidéo. Ainsi mes cours d’éducation aux médias dans trois de quatre écoles à Bruxelles ces cinq dernières années, ont surtout fini par un cours de remédiation au français. Avant d’enseigner la littératie médiatique ou numérique, il y a un problème de littératie tout court.

J’ai soulevé la question lors des échanges mais elle reste entière, évacuée par son apparente trivialité : comment prétendre enseigner l’éducation aux médias si les bases de la langue d’enseignement ne sont pas acquises ? Et comment encourager les enseignants à s’emparer de l’éducation aux médias puisqu’ils voient bien que ce prérequis est insuffisant chez leurs élèves ?