Les médias à l’épreuve de l’interculturel

Mise en ligne: 3 juin 2017

Des messages stigmatisants circulent à propos des minorités. Faut-il s’en étonner ?, par Olivier de Halleux

Les récentes élections françaises ont rappelé ô combien l’interculturel est au centre du domaine public. Non pas qu’il ait été traité par les candidats lors des débats mais plutôt par le fait qu’il a brillé par son absence dans les propos des concernés mais aussi dans les analyses proposées par les médias.

Cela étant, et au-delà des amalgames et stéréotypes sur les minorités décriés par une partie de la population, c’est la manière dont est abordé l’interculturel dans les médias qui pose question. En effet, deux positions s’opposent, entre d’une part son rejet au nom d’une certaine laïcité et, d’autre, part sa valorisation au risque d’exacerber les singularités des cultures multiples. Dans les deux cas, la réalité des intéressés semble oubliée et masquée par des composantes médiatiques —vocabulaire, image, son— inappropriées rejoignant peu sa complexité [1]

Par ailleurs, étant donné que l’interculturel est principalement envisagé par le biais des médias qui véhiculent une multitude d’informations et d’artefacts à son sujet, il est légitime de comprendre comment il est représenté par ceux-ci. Mais d’où vient la notion d’interculturel et pourquoi est-elle devenue si importante dans notre société ? A quelle réalité fait-elle référence ? Comment est-elle communiquée et donc traitée dans les médias ?

Discuté depuis les années septante et quatre-vingt [2], tant par les milieux professionnels, universitaires, médiatiques et sociales, de nombreuses avancées sémantiques ont été réalisées en la matière. Sans revenir sur les nombreuses approches du concept d’interculturel, Martine Abdallah-Pretceille explique que « la démarche interculturelle (...) met l’accent sur les processus et les interactions qui unissent et définissent les individus et les groupes les uns par rapport aux autres. Il ne s’agit pas de s’arrêter sur les caractéristiques auto-attribuées ou hétéro-attribuées des autres, mais d’opérer, dans le même temps, un retour sur soi » [3] Ajoutons qu’il ne s’agit pas d’un concept clos et établi mais plutôt d’un outil à utiliser « dont les contours ne sont pas fixés » [4]. Au contraire du multiculturel, qui est de l’ordre du constat, et qui correspond à la présence de différentes cultures au sein d’une société sans qu’elles n’aient une quelconque interaction [5].

Dans le cadre de l’éducation aux médias qui représente « un projet de transmission de valeurs, qui intègre les médias à la fois comme emblème de la démocratie et comme savoir fondamental » [6] , l’interculturel doit donc être envisagé dans sa globalité. Pour ce faire « les médias deviennent de fait des outils qu’il faut apprendre à utiliser (éventuellement en les créant soi-même) parce que, dans une société démocratique, qui met l’accent sur la pluralité des points de vue, les médias sont bien au centre des pratiques démocratiques » [7]. On peut concilier ces deux concepts en avançant que l’éducation aux médias, dans l’approche de l’interculturel, vise à déchiffrer les éléments multiculturels existant dans les médias. Autrement dit, elle a pour objectif de donner les outils d’analyse permettant de comprendre l’interculturel présent dans les médias et donc de discerner les discours antagonistes. A la différence de l’éducation par les médias qui utilise ces derniers pour l’exprimer, l’éducation aux médias vise à comprendre cette représentation ou cette signification de l’interculturel.

Cependant, la tendance à ne représenter que les conséquences néfastes, ou non-désirables, de la diversité culturelle est assez symptomatique des médias et plus particulièrement de la presse écrite et des journaux télévisés. La question est en effet souvent traitée en visant une frange de la population par exemple au travers du terrorisme, de faits divers violents aux accents communautaristes, ou encore selon des sujets tendus comme le port du voile ou la la place de la femme. Dès lors, comment aborder un concept si large alors qu’il est abordé sous un angle plutôt restreint et pessimiste ? Ce qui pose problème dans cette approche, n’est pas tant une certaine division des multiples cultures que compte la société, mais plutôt la peur de l’autre véhiculée qui peut mener à des comportements et des politiques désastreuses. Par conséquent, on peut déplorer le manque de représentation de réussites interculturelles au sein de la société.

En regardant et comparant la presse écrite et les journaux télévisés, on peut repérer des indices d’une approche différente de l’interculturel et ce malgré les similitudes de présentation —format, découpage, rubriques, double-présentateur lors des analyses. Comment ces médias traitent- ils le sujet ? Quelle est la représentation des minorités culturelles ?

Concernant le traitement de l’interculturel, la presse fait office de précurseur puisque, dès 1994, des recommandations avait été faites par l’Association des journalistes professionnels [8] en matière de diversité culturelle notamment sur la légitimité et l’utilité de la mention de l’origine ou de la nationalité de la personne ainsi que sur la dramatisation, par exemple. Actuellement, ces recommandations ne semblent pas toujours suivies par l’ensemble du corps professionnel. La dramatisation, au travers de titres chocs, est par exemple une technique encore souvent utilisée par certains journalistes, dont le but est d’attirer le lecteur. Une illustration pourra également accentuer l’effet dramatique et ancrer des stéréotypes. Malgré ces dérives, propres à une presse à sensation, des journalistes tentent d’utiliser un vocabulaire plus approprié évitant les écueils du communautarisme.

Dans ce sillage, les minorités sont souvent représentées notamment au sein des rubriques internationales des journaux télévisés. Qu’est-ce qui explique la place importante d’une actualité étrangère plus qu’une autre dans les médias ? La question reste posée, il serait trop long d’y répondre tant les arguments sont nombreux. En termes d’éducation, cette interrogation permet néanmoins de se rendre compte que les choix journalistiques peuvent avoir un impact sur notre vision du monde et de notre propre culture.

Dès lors, la presse écrite et les journaux télévisés n’ont pas la même approche de l’interculturel du fait de leur méthode et de leur présentation. Alors que la première peut se permettre de traiter un sujet plus en profondeur, les seconds doivent favoriser les formats courts et combiner plusieurs attributs, à savoir le son, l’image et les commentaires. Cela étant, les méthodes journalistiques des médias visés ne permettent d’aborder l’interculturel dans son ensemble.

Les médias actuels donnent la possibilité de nous ouvrir au monde comme jamais auparavant. L’instantanéité de l’information, les communications interconnectées et les nombreux supports offrent un nouvel espace de rencontre entre les cultures. Mais cette interaction doit être réfléchie et menée selon la large conception de l’interculturel. Par ailleurs, il est indéniable qu’il faut se concentrer sur les populations les plus influençables et les plus consommatrices de médias. Les jeunes sont certainement les premiers à devoir être éduqués à leur utilisation et à leur déchiffrage.

En se basant sur les contenus proposés par les médias, Media animation propose d’analyser le reflet de la diversité culturelle dans les pratiques médiatiques des jeunes de 13 à 20 ans [9]. En prenant comme critère exclusif, pour définir l’origine culturelle, la langue parlée, les auteurs de l’étude notent que les jeunes s’informent principalement via internet et la télévision et, que leur utilisation ne diffèrent que très peu en fonction de ce critère. La diversité culturelle ne se vérifie donc pas nécessairement dans les comportements médiatiques des jeunes. C’est-à-dire que les jeunes sont quasiment identiques dans leurs utilisations et représentent donc un groupe assez homogène.

Ce constat n’est cependant pas définitif mais il indique comment éduquer aux médias dans une approche interculturelle. Dans ce sens, les auteurs soulignent que les jeunes sont déjà en partie familiarisés avec les médias puisqu’ils n’hésitent pas à confronter leurs ressources et à privilégier celles de spécialistes ou journalistes. Toutefois, ils restent cantonnés à des contenus de l’ordre du divertissement —musique, sport— et des formes spécifiques —internet, réseaux sociaux, séries grand public, jeux vidéos— principalement issues du monde anglo-saxon. L’objectif de l’éducation aux médias serait par conséquent d’ouvrir les jeunes à d’autres sujets et
cultures ainsi qu’à d’autres manières de consommer et de produire des médias. Les réseaux peuvent être une porte d’entrée à la sensibilisation à l’interculturel.

L’interculturel étant une notion en perpétuelle construction, il apparaît complexe pour les médias de l’aborder dans sa globalité. A cela il faut ajouter la structuration de ces médias qui ne permettent pas d’atteindre les objectifs de l’interculturel. A retenir aussi que les médias représentent une certaine image de la société. Cette dernière est gérée, en partie, selon des prescriptions politiques qui n’ont pas encore résolues l’intégration des minorités. Il n’est donc pas étonnant de voir encore certains messages stigmatisants ou xénophobes circuler à leur propos. L’interculturel dans les médias ou les médias dans une société interculturelle, c’est le travail d’éducation qui doit être mené pour prôner la diversité.

[1Otman Louaret, Incorrect le politiquement correct ?, Antipodes n°181.

[2Marco Martinello, Promouvoir des relations interculturelles cohésives dans les villes européennes”, dans Administration générale de la Culture, Conceptions du dialogue interculturel en Wallonie et à Bruxelles, Service général de la jeunesse et de l’éducation permanente, 2012, pp. 35 - 45.

[3Martine Abdallah-Pretceille, L’éducation interculturelle, Paris, Presses universitaires de France, 2013.

[4De Villanova, Hily, Varro, Construire l’interculturel ? De la notion aux pratiques, Paris, L’Harmattan, 2001.

[5Loicq, M., Médias et interculturalité : l’éducation aux médias dans une perspective comparative internationale (Australie, Québec, France). Thèse de doctorat non publiée, Université Laval, Québec et Université Paris III Sorbonne nouvelle, Paris, 2012. Marc Totté, Des différences entre inter, multi, pluri et transculturel, Inter-mondes Belgique, 2015.

[6Corroy-Labardens, Barbey, Klyindou, Education aux médias à l’heure des réseaux sociaux, Paris, L’Harmattan, 2015.

[7Op cit

[8AJP, Recommandations pour l’information relative aux allochtones », Bruxelles, juin 1994.

[9Media animation Médias sans frontières, Bruxelles, 2011.